La corruption pour les nuls
Il y a un peu plus d'un an sortait Comment truquer un match de foot. Retour sur une enquête à sensations avec, en bonus, notre quiz "Qui a triché?"
Auteur : Thibault Lécuyer
le 7 Jan 2010
Quelle attention porter à un livre qui affirme détenir la preuve qu'il y a de la corruption dans le foot? Quiconque s'intéressant au ballon rond depuis quelques années sait que des centaines d'affaires ont émaillé son histoire. Paru en France en septembre 2008 et promu avec un accrocheur "des résultats de matches de la dernière Coupe du monde étaient connus à l'avance", l'enquête de Declan Hill ambitionnait avant tout de décortiquer le mécanisme qui mène au truquage de matches.
Développement pandémique
Avant de se plonger dans ce pavé, il faut d'abord lui accorder un postulat de bonne foi. Il ne servirait à rien de le lire sans essayer de croire ce qui y est écrit. Le CV de l'auteur aide: Hill est docteur à l'université d'Oxford, et journaliste d'investigation multi primé pour son travail sur le crime organisé. Ainsi que supporter d'Arsenal.
Dans son entreprise de déconstruction du processus, Hill commence son enquête en Asie, Eldorado des parieurs – près de 80% des paris y seraient illégaux – et donc des corrupteurs. On doit vite avouer un intérêt limité à ces histoires de mafia malaisienne, qui semblent plus à leur place dans un téléfilm de deuxième partie de soirée. Mais le journaliste ménage ses effets: en expliquant patiemment comment la corruption s'organise à l'Est, il détaille ses histoires en les rapprochant vers l'Ouest. Le foyer démarre en Chine, puis la Thaïlande, la Malaisie, la Turquie, l'Allemagne… En s'affranchissant de la chronologie, mêlant investigation et récit d'affaires connues, Hill fait débarquer la corruption à nos portes comme s'il s'agissait de la grippe porcine, et livre un récit délibérément anxiogène.
Primes de matches inversées
Reste que ce "petit manuel du corrupteur" livre une foule de détails passionnants : un bon truqueur ne se charge jamais lui-même de la basse besogne. C'est un "coursier" qui prend les contacts. Souvent un ancien joueur – insoupçonnable – voire un journaliste, qui se charge de se lier d'amitié avec les joueurs ciblés et de les amener progressivement à accepter de "rendre service". Leurs favoris sont des joueurs psychologiquement faibles, avec un penchant pour les femmes ou la drogue, auxquels on peut par exemple faire accepter des "primes" après une victoire, avant de leur offrir un marché inverse.
Terrain de jeu préféré des truqueurs: un championnat ayant bonne réputation et joueurs mal payés. Plusieurs ligues asiatiques ont ainsi été gangrenées avant de péricliter sous une suspicion généralisée. Telles des sauterelles, les truqueurs se repaissent d'une zone avant de passer à une autre.
Un bon truqueur saura aussi qu'il vaut mieux effectuer son pari à quelques minutes du début du match, afin que la côte n'ait pas le temps de se retourner sous l'effet de la somme pariée. Les joueurs, eux, préfèreront assurer leur mission au plus vite lors d'une rencontre. Hill affirme avoir effectué des mesures sur cent trente matches reconnus par la justice comme étant truqués, et les avoir comparés à cent trente matches au hasard. Les buts sont en moyenne marqués plus tôt lorsqu'il s'agit d'un match arrangé.
À l'assaut du vieux continent
S'il se concentre sur la corruption de joueurs, Hill n'oublie pas les faveurs aux arbitres, ou les arrangements entre clubs (les fameuses mallettes de fin de saison, par exemple), qui eux sortent du cadre des paris. Les fins de saison sont souvent l'occasion de "vendre" des points à des équipes en difficulté. Lorsque l'on sait qu'une relégation de Premier League en Division One coûte environ 60 millions d'euros…
Le journaliste affirme que c'est justement l'inflation des enjeux en Europe, associée à la réputation de respectabilité de nos championnats – en comparaison avec la dégénérescence des ligues asiatiques – qui a amené en masse des truqueurs de l'Extrême-Orient à venir "travailler" en Europe. Et le développement du web n'arrange rien. C'est un ponte thaïlandais, reconnu comme un truqueur majeur en Asie, qui lui affirmera qu'il a arrangé quatre matches de Coupe du monde 2006: Italie-Ghana (2-0), Ukraine-Italie (0-3), Equateur-Angleterre (0-1) et Brésil-Ghana (3-0).
Une agence mondiale anticorruption ?
Au-delà d'une révélation d'une telle ampleur qui, parions-le, ne changera absolument rien (Hill rappelle par exemple que Tapie est un des rares corrupteurs avérés à avoir fait de la prison) le livre souffre de quelques écueils. En voulant insister sur l'infréquentabilité des personnes concernées, l'auteur passe beaucoup de temps à expliquer qu'il y a des gens pas toujours bien intentionnés dans le sport, ce qui n'est pas une nouvelle de première fraîcheur. Et sur les seules affaires familières, on s'aperçoit qu'Hill prend le parti systématique de faire sienne la version du procureur: les paroles d'Eydelie sont par exemple prises pour argent comptant. La crédibilité des autres récits s'en trouve amoindrie.
À de nombreux égards, le problème de la corruption paraît ressembler à celui du dopage. Une tricherie invisible à l'œil nu, des instances qui font l'autruche, une lutte minimale. Hill ne voit d'ailleurs comme seule solution que la création d'une institution indépendante sur le modèle de l'Agence mondiale antidopage, sachant à l'avance qu'il s'agit d'un jeu du chat et de la souris qui ne s'arrêtera jamais.
Le problème le plus crucial, c'est qu'on referme le livre sans avoir obtenu de réponse à la question fondamentale que l'on se pose tout au long des 444 pages: pourquoi des joueurs qui font régulièrement perdre leur équipe sont-ils toujours alignés par leur entraîneur?
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Declan Hill, Comment truquer un match de foot?, Éditions Florent Massot, 2008, 444p., 21,99 euros.
Quiz : qui a triché ?
Declan Hill répertorie les techniques les plus "discrètes" pour perdre en match en le faisant exprès. Grâce à la liste de ces techniques ci-dessous, devinez quels joueurs de L1 sont susceptibles d'avoir été corrompus.
1. Le gardien sort de sa surface pour réceptionner un ballon, mais trop lentement, laissant le temps à un attaquant de l'intercepter.
2. Le gardien se place mal sur sa ligne de but.
3. Le gardien relâche le ballon au lieu de le capter.
4. Les arrières latéraux n'aident pas le libéro lorsqu'il est en difficulté.
5. Le joueur fait une passe trop molle à son gardien, laissant le temps à un attaquant de l'intercepter.
6. Le défenseur fait semblant de chercher le hors-jeu, mais remonte trop tard.
7.Un milieu de terrain garde le ballon trop longtemps, laissant le temps à l'adversaire de le prendre.
8. Un milieu dribble droit vers l'adversaire, augmentant les chances de le perdre.
9. Un attaquant rate les opportunités de marquer, soit en tirant sur le gardien, soit en ratant totalement son tir.
a. Sylvain Armand
b. Grégory Bourillon
c. Modeste M'Bami
d. Cédric Carrasso
e. Habib Bamogo
f. Grégory Coupet
g. Bolo Zenden
h. Hatem Ben Arfa
i. Damien Gregorini
Réponses : 1-f, 2-d, 3-i, 4-a, 5-g, 6-b, 7-h, 8-c, 9-e