La Roja ronronne
Matchbox : Espagne-Russie, 4-1. L'Espagne rejoint l'Allemagne, le Portugal et les Pays-Bas parmi les nouveaux favoris de l'Euro. Et mène au goal-average.
Auteur : Antoine Faye et José-Karl Bové Marx
le 11 Juin 2008
Espagne-Russie : 4-1
Buts : Villa (20e, 44e, 75e), Fabregas (90e) pour l'Espagne - Pavlyuchenko (86e) pour la Russie.
La nalyse
Guus Hiddink avait raison. À la veille de la rencontre opposant les Russes à l’Espagne, le Batave assurait: “Les Espagnols sont très nettement favoris". Un refrain habituel, qui lui avait bien réussi à la tête de la Corée en 2002, puis à celle de l’Australie en 2006.
Attentisme créatif
Pourtant, si les Espagnols n'ont pas immédiatement endossé ce costume. Hiddink pouvait attendre de la Roja qu’elle prenne le jeu à son compte. Il n’en fut rien. Contrairement à ce qu'ils avaient offert lors des matches de préparation, les Espagnols ont préféré camper sagement dans leur camp, en attendant les erreurs dans la transmission des Russes. Ce n’est pas en tenant le ballon que les Espagnols ont créé le danger, mais plutôt en contre, sur des incursions presque stéréotypées. Vol du ballon, transmission immédiate vers Xavi ou Iniesta et mise sur orbite de Torres ou Villa.
Complètement pris au dépourvus, les Russes ont eu à résoudre le dilemme suivant: prendre le jeu à leur compte, puisqu’on leur laisse, ou ne pas y toucher, en attendant que leurs adversaires perdent la guerre des nerfs. Mais avant que le doute ne s’installe vraiment – après une approche dangereuse de Semchov – le duo Torres-Villa a fait sauter le brinquebalant verrou russe. Sur un dégagement de Capdevila transformé en passe-laser, Torres manœuvre côté gauche de l’attaque espagnole, contourne le poteau télégraphique nommé Kolodin et sert un caviar à Villa qui, seul aux six mètres, pousse le ballon dans le but grand ouvert.
Punition
"Nous avons eu de la chance", confira après coup Luis Aragonés. Il est vrai que l’avantage espagnol a tenu grâce au poteau de San Iker, battu sur une reprise de Semak que tout le monde voyait déjà au fond.
Avec l'ouverture du score, les Espagnols font une pause pour forcer les Russes à sortir de leur camp. L’appât fonctionne: les milieux slaves prennent des risques inconsidérés et la punition est rapide: juste avant la mi-temps, sur un contre parti d'un corner en deux temps atrocement mal tiré, Iniesta délivre une passe impeccable dans l’espace pour Villa, qui trompe à nouveau Akinfeev.
Avec un break fait avant la pause, le match est plié. Hiddink tente alors de donner plus de mordant à ses offensives en remplaçant un Sytchev invisible par le supposément virevoltant ailier droit du Spartak, Vladimir Bystrov. Quelques duels perdus face à Capdevila plus tard, et Bystrov rejoint le banc à son tour, après seulement vingt-cinq minutes de présence sur le terrain. Hiddink l’ignore royalement à sa sortie. Le genre de séquence à détruire mentalement un joueur pour quelques lustres.
Villa tout seul
Pendant ce temps, le match, plutôt agréable avec une recherche obstinée du jeu au sol de part et d’autre, se poursuit. Mais revenues fatiguées des vestiaires, les deux équipes offrent une deuxième mi-temps qui ressemble de plus en plus à une prolongation, avec crampes et regards désespérés sur le banc. Mais si les Espagnols font tourner, les Russes, eux, n'effectueront pas de troisième changement. Peut-être Hiddink voulait-il conserver la possibilité de remplacer Adamov, le remplaçant de Bystrov?
L’entrée de Cesc – pardon, Fàbregas – permet à Luis Aragonés de configurer son équipe en 4-5-1, comme de coutume. Refusant obstinément de marquer le troisième but, les Espagnols attendent donc que Villa le fasse tout seul. Nouveau contre, petits dribbles dans la surface, cette fois autour de Chirokov, frappe croisée du droit et un hat-trick pour le Valencian, qui aura eu plus de mal à récupérer le ballon du match qu’à le promener dans la défense russe.
Dans les dernières minutes, les coéquipiers de l’impeccable mais impuissant Akinfeev parviennent quand même à semer quelques doutes dans les esprits espagnols, mettant notamment en évidence les lacunes de ces derniers sur corner, plongeant les hommes d’Aragonés dans une certaine nervosité. L’avant-centre du Spartak, Pavlyuchenko, peu en réussite par ailleurs, finit par obtenir un but amplement mérité. Mais les quelques minutes de fébrilité espagnole sont achevées par Cesc, pardon Fàbregas – le milieu a changé le nom apparaissant sur son maillot de sélection espagnole voyant qu’il ne marquait pas – qui profite dans les arrêts de jeu d’un ballon repoussé par Akinfeev pour marquer le quatrième et dernier but espagnol, entaché du hors-jeu le moins contesté de toute la compétition.
Le Calvaire d’Albelda
Non retenu par Luis Aragonés, David Albelda est dévolu au traditionnel job d’été du footballeur pas international ou de l’entraîneur de club dont le salaire annuel à sept chiffres ne suffit pas: consultant. Et pour ainsi dire, la Cadena Ser, qui l’emploie pour ces quelques semaines, ne ménage pas sa monture.
Début de deuxième mi-temps: David Albelda trouve curieux que Hiddink n’ait pas fait rentrer un deuxième attaquant. Réponse d’un commentateur: “Ah, mais Albelda, il est meilleur comme consultant que comme joueur!”. Le Valencien répond un “merci” poli, avant de s’entendre dire “C’est même pour ça que Luis l’a pas pris dans les 23!”
Dix minutes plus tard, alors que le match entre dans une période d'accalmie, Albelda subit une nouvelle agression: “Alors, David, qu’est ce que tu penses de ton remplaçant en sélection, Marcos Senna?” Poli, et pas forcément mal inspiré, le nouveau chômeur valencien salue le travail ingrat mais utile du joueur de la Selección.
Les muchachos
Sans faire un match du feu de Dieu, San Iker n’a pris qu’un but, malgré le déluge, et un poteau. Un petit miracle.
En défense, Sergio Ramos fut moins à son avantage que d’habitude, trouvant même le moyen de se compliquer la tâche de temps à autre. Marchena n’a pas fait d’erreur majeure dans la relance. Puyol fut sobre et efficace, et dernier rempart parfois utile. Quand à Capdevila, il a marqué le match d’une ouverture décisive sur le premier but espagnol.
Le milieu fut excellent. Devant un Senna impeccable et volumineux dans le jeu, Iniesta et Xavi se sont régalé, offrant un festin de passes rasant le gazon en direction de Villa et Torres. Silva fut plus discret. L’entrée de Cesc a donné de l’air dans un milieu fatigué, tout comme celle de Cazorla.
Devant, le duo Torres-Villa a fait parler la poudre. Torres en passeur impeccable sur le premier but, et Villa en tant qu'auteur du premier hat-trick du tournoi, malgré une fatigue visible dès le début de la deuxième mi-temps.
Les Russkofs
Akinfeev n’a pas grand-chose à se reprocher, tant il fut laissé à l’abandon par une défense centrale calamiteuse que les retours des latéraux ne purent pas toujours suppléer.
Chez ceux-ci, justement, si Anuykov à droite fut plutôt neutre, Zhirkov a été la seule vraie réussite d’Hiddink sur ce match. Placé arrière gauche pour monter et, en combinant avec Bilyaletdinov, empêcher Ramos d’apporter le surnombre, l’habituel milieu gauche du CSKA a réalisé quelques débordements superbes et un ou deux retours défensifs remarquables. Dommage que ses comparses n’aient pas été à l’unisson.
Au milieu, Semak, Zyrianov, Bilyaletdinov et Semchov se montrèrent plutôt habiles dans la conservation et la circulation de balle, rivalisant parfois dans l’exercice avec les Espagnols. Mais l’apport quelconque de Sytchev à droite et les difficultés de Pavluychenko en pointe ont empêché les Russes d’aller au bout de leurs intentions, avant que les rouges ne les épuisent comme des matadors enchaînant les passes (à dix). On les reverra cependant avec intérêt face aux Grecs, dans un match qui pourrait bien voir du changement en défense, et surtout face aux Suédois, avec le retour de suspension de la perle Archavine. Mais la qualif sera-t-elle encore jouable?
La phrase
Fàbregas : "On commence comme au Mondial, donc on est prévenus. On voulait gagner et bien jouer, mais on a beaucoup de choses à améliorer".
Le joueur à suivre
N'importe quel milieu espagnol, mais en prévoyant sa dose d'EPO, sinon on finit comme les joueurs russes, les bras en croix sur la pelouse, à chercher son souffle.
Le joueur à ne pas suivre
Vladimir Bystrov aura connu une humiliation rare si l'on ne s'appelle pas Freddy Guarin, celle d’entrer en jeu avant d’être remplacé par son coach mécontent. Pourtant, l’ailier spartakiste, qui avait disputé jusqu’au bout une place de titulaire à Sytchev, était censé être le joker idéal si la Russie se retrouvait menée. Plus offensif qu’un Sytchev désormais reconnu pour son application dans le replacement, il n’a pas gagné un duel contre Capdevila et a fini par se faire éjecter au bout de vingt-cinq minutes. Dans ces conditions, on ne va pas le suivre. Laissons-le plutôt pudiquement s’éloigner dans la nuit, une bouteille à la main.
Les gestes du match
• La reprise du gauche qui fracasse la barre de Pavluychenko, à la suite d'un de ses coups francs repoussé par le mur, et accompagnée d’une faute sur le voltigeur espagnol. Une séquence qu’on n’aura pas comprise en direct puisque le réalisateur avait choisi ce moment pour faire joujou avec sa caméra suspendue dans l’hyperespace à la verticale du terrain.
• La série de feintes de frappes de Cazorla, Silva et Villa, sur lesquelles les défenseurs russes se couchent consciencieusement comme des dominos.
• Le petit exter d’Iniesta entre deux défenseurs, qui décale si parfaitement Villa que même Djibril Cissé aurait marqué.
• L’enchaînement de crochets de Villa pour son troisième but, histoire de montrer qu’il pouvait marquer autrement que sur des passes décisives immanquables.
Les anti-gestes du match
• La défense de Kolodine sur Torres sur le premier but.
• Le corner en deux temps des Russes sur le deuxième but.
• La défense de Chirokov sur Villa sur le troisième but.
• Le sens de la rareté de l'arbitre assistant sur le dernier but, décidant de valider une tête plongeante de Fabregas, conscient qu’on n’en verra pas souvent dans sa carrière.
Les observations en vrac
• Y a pas à dire, voir une dizaine de milieux techniques qui se disputent la balle sur une profondeur de trente mètres, ça nous rappelle pourquoi on apprécie ce sport.
• Anioukov est un enfant Rooney élevé dans la taïga.
• Marrant de voir que Michael Laudrup joue discrètement avec l’Espagne sous le blaze de Xabi Alonso.
• Charles Villeneuve aurait proposé dix millions d’euros pour Kolodine.