Les sondages rendent idiot
L'Équipe a cru bon de demander aux Français leur avis sur l'épilogue du championnat, sans démêler les "opinions" des pronostics ou des souhaits. L'essentiel, c'est de remplir.
Auteur : Pierre Martini
le 17 Mai 2008
"Lyon sacré, Paris relégué!" Ce n'est pas l'annonce des résultats de la dernière journée du championnat, mais le titre de une de L'Équipe de vendredi... précédé de la mention "Notre sondage".
Succédané de journalisme
La consultation a été commanditée par le quotidien sportif auprès de l'institut CSA afin de savoir comment "les Français" se représentaient l'issue de la compétition en leur demandant quelle équipe sera sacrée, quelle formation jouera le tour préliminaire de la Ligue des champions (1) et quel club sera le dernier relégable.
La démarche indique d'abord que l'on en est rendu au point où l'on suppose que l'ensemble de la nation, non seulement se préoccupe grandement de football, mais a en outre une opinion sur le classement final du championnat national. Poser aux gens des questions qu'ils ne se posent pas, voilà un principe de base des sondages d'opinion et de leur usage immodéré comme substitut à la démocratie et au journalisme. Jérôme Touboul, habitué aux sophismes et aux supputations en tant qu'expert du PSG, a ainsi besoin de postuler, dans l'article principal, que "Toute la France (ou presque) a désormais son avis sur la question"...
Opinions, pronostics, souhaits...
En l'occurrence, comment démêler le sens des réponses selon ce qu'y ont mis les sondés? Il y a ceux qui, connaissant un tant soit peu le sujet, y ont exprimé une forme d'analyse sous forme de pronostic. Ceux qui n'ont émis qu'un pronostic, comme s'ils jouaient au Loto Foot. Ceux qui ont confié un souhait personnel. Et encore, ceux qui ont répondu au hasard ou en donnant les réponses qu'ils pensaient être les "bonnes".
Surtout, au départ comme à l'arrivée, quel est l'intérêt informatif de cette consultation, en dehors de remplir avantageusement des pages sans trop fournir d'efforts et d'inciter à des titres spectaculaires ("L'OL plébiscité, PSG enterré" – 2)? Ni l'édito – traditionnel exercice de délayage qui avoue à demi-mot l'inanité de cette initiative (3) –, ni les commentaires des résultats n'apportent d'autre réponse. Ô surprise, la majorité pense que Lyon sera champion et, seul vague enseignement à tirer (mais qui ne l'est pas), une proportion plus forte voit le PSG descendre plutôt que Lens ou Toulouse: à force d'entendre dire que le Paris Saint-Germain est nul, le grand public doit se demander pourquoi il n'est pas encore en Ligue 2 (les Lensois, en tant que Ch'tis, étant probablement trop sympas pour un tel malheur).
Fast sociologie
Les interprétations confinent aux élucubrations quand les variations de chiffres sont vues comme l'effet d'une sympathie pour l'équipe en question. Le fait que les moins de trente ans voient, plus que les autres catégories d'âge, l'OL champion, est ainsi présenté comme une confirmation de la "popularité de l'OL parmi les plus jeunes"... Idem pour le "régionalisme" qui expliquerait que 62% des sondés de la "région Méditerranée" (?) voient l'OM conquérir la troisième place – alors que la partie des personnes interrogées qui s'intéressent de près au football a la même perception... L'article verse même dans la sociologie ésotérique lorsqu'il prétend analyse le "vote" des chômeurs, celui des retraités ou des professions libérales. À la louche.
On objectera que l'exercice ne fait pas grand mal et qu'il faut bien moudre du grain. C'est juste. On peut cependant souligner qu'il consiste à prendre ses lecteurs pour des sondés et à remplacer l'analyse ou la critique par des pourcentages inutiles.
(1) On peut s'amuser que les sondeurs semblent avoir considéré que l'ensemble des Français (incluant votre belle-sœur) connaît le principe du tour préliminaire de C1.
(2) Le club parisien est bizarrement privé de son article défini, au contraire de son homologue lyonnais.
(3) "Pour mettre de l'ambiance, il fallait bien un sondage", lit-on. On note aussi une référence au Collaro Show et l'invention du concept de "sondage sportif".