Dis-moi comment s'appelle ton stade...
Le "naming" est prêt à profaner nos temples sportifs. Faut-il enterrer Félix Bollaert et Geoffroy Guichard et se rendre sans états d'âme à la Auchan Arena? Extrait du #38 des Cahiers du football.
C’est devenu un thème récurrent, de plus en plus médiatisé – notamment parce que la Ligue en a fait un de ses chevaux de bataille: la modernisation de nos stades. Évidemment présentée sous l’angle du "retard français" (on peut s’amuser de ce que toute différence nationale est immanquablement qualifiée de "retard").
L'appel au public
Le problème est patent, du moins au regard des dogmes économiques actuels: inconfortables, nos enceintes se prêtent très mal à la multiplication des exploitations et des ressources qui permettraient d’épaissir le portefeuille de nos clubs. Ayant raté le train des rénovations de 1998 (effectuées sur un modèle déjà périmé), la France du foot espère que les exemples de Grenoble ou Le Mans feront école, que des métropoles comme Nice et Lille finissent par se doter d’équipements dignes, ou encore que Jean-Michel Aulas place un joyau moderne au centre de son OL Land.
Les contribuables, eux, doivent encore serrer les fesses, dans la mesure où les partenariats public-privé tant vantés s’apparentent à la dernière mode pour collectiviser les dépenses et privatiser les profits. D’autant que les élus locaux n’ont pas renoncé à exploiter ce filon politique en s’associant à des réalisations de prestige, quitte à les surdimensionner ou à offrir généreusement les bretelles d’autoroute ou les transports publics pour y accéder.
Conforama Stadium
Alors, pour financer des infrastructures peut-être plus difficiles à justifier que des écoles ou des hôpitaux, voilà qu’un remède est de plus en plus souvent évoqué: le naming, forcément moderne puisqu’il vient des États-Unis et qu’il fait fureur en Angleterre et en Allemagne. À nous la Casino Arena à Saint-Étienne, le Paribas des Princes à Paris ou le Conforama Stadium à Rennes. Opportunément, voilà qu’un sondage révèle que 48% des amateurs français de foot y seraient favorables. Sondage commandité par l’agence de marketing Sportfive, qui en assure le service après-vente. On est toujours d’une incroyable naïveté s’agissant des intérêts communs aux sondeurs et à leurs clients, mais passons. Cette enquête annonce également 44% d’individus prêts à voir leur club changer de nom pour prendre celui d’un sponsor... On devrait créer des équipes spécialement pour ce gibier de marketing.
Adieu Félix
Dans ce débat, on n’a plus le choix. "Le naming est un moyen de financement privé souhaitable et même indispensable", selon Frédéric Thiriez. "Rien ne s’oppose à ce que notre stade prenne le nom d’une société privée", assure Gervais Martel. Le président du RC Lens propose toutefois de "veiller à garder l’historique de l’ancien nom (...) pourquoi pas en appelant 'Bollaert' une des tribunes". Merci pour l’aumône, Félix appréciera. Cette obligation serait du même ordre que la nécessité absolue de tartiner le maillot d’un maximum de sponsors aussi laids que possible, en écartant un choix plus qualitatif. Voilà qui énonce bien la façon dont toute autre considération qu’économique devrait abdiquer devant cette nouvelle fatalité (en plus de la mort)... On en avait eu un exemple frappant, la saison passée, avec le début de sponsoring du maillot barcelonais: l’ONG humanitaire servant de cheval de Troie aux futurs sponsors.
À l'impératif
On dira qu’on ne doit pas faire abstraction des impératifs économiques. Mais étrangement, personne ne dit qu’on ne doit pas faire abstraction des impératifs symboliques. Il semble donc inimaginable que des dirigeants décident, en leur âme et conscience, de conserver le nom de baptême originel de leur enceinte, simplement parce que ce symbole a plus de valeur que les 500.000 à 5 millions d’euros annuels de recettes envisageables (selon Christophe Bouchet, désormais directeur général de l’agence Sportfive).
"Il faut surmonter nos réticences culturelles nationales", insiste Thiriez. Eh oui, notre culture est un obstacle. Pourtant, d’habitude, on fustige notre manque de culture footballistique. Difficile de s’y retrouver, sauf à comprendre qu’il faut dissoudre notre peu de patrimoine dans le grand creuset du marketing. Le football anglais y survit, pour le moment (1). Mais le nôtre ?
(1) Avec une majorité de clubs de Premier League sous contrôle d’actionnaires étrangers, des monuments historiques comme Highbury et bientôt Anfield liquidés, une formation et une sélection nationale sacrifiées, on peut quand même se demander si un seuil critique ne va pas être atteint.