Ribéry : comète ou météorite ?
L'astéroïde Ribéry passe sur la Bundesliga. Sans surprise, il fait tourner les têtes et met le feu aux imaginations. Au-delà d'un personnage qui suscite une fascination ambiguë, quelle dimension prendra le joueur dans les années à venir?
Auteur : Jérôme Latta
le 28 Août 2007
Il y a un peu plus d'un an, au moment des hymnes du France-Suisse qui sonnait les difficiles débuts des Bleus en Coupe du monde, le caméraman chargé du traditionnel travelling de présentation des joueurs, interloqué, ne put s'empêcher de s'arrêter plus que de raison sur le visage raboté de Franck Ribéry. À peu près inconnu à ce niveau de compétition, le néo-international français fit, cette fois encore sur ce technicien audiovisuel, l'éternelle même première impression. Il suffit en effet d'un seul plan pour que le garçon entre directement, aux yeux de ceux qui le découvrent, au panthéon des gueules cassées du football.
À l'époque, il avait déjà été consacré comme le phénomène de la saison de Ligue 1 précédente, qui avait enflammé le Vélodrome et les pelouses nationales, justifiant une campagne en sa faveur qui devait l'amener sur les listes de Raymond Domenech. Il était donc, avant ce coup d'envoi-là, la nouvelle star d'une équipe de France dont les matches de préparation avaient été marqués par les entrées en jeu tonitruantes du Boulonnais. Et les articles ou reportages consacrés au joueur se comptaient déjà par centaines.
Strip tease
Ribéry, en effet, mobilise au-delà du seul périmètre footballistique. Son histoire excite les gazettes, comme un conte de fées dans lequel la grenouille resterait grenouille, mais réussirait dans le show-biz, ou qui ferait de Simplet le héros d'un Walt Disney à lui tout seul. Il y a en effet un peu de commisération dans cette fascination pour les stigmates du garçon, un peu de voyeurisme social, aussi, lorsqu'on met en scène sa famille ou ses copains: d'ordinaire, les populations déshéritées du Nord-Pas-de-Calais, font plutôt l'objet de sarcasmes et se voient placées sous le régime de la beauferie – qu'on pense à Tony Vairelles ou Djézon Boutoille, moindres footballeurs qui n'ont jamais eu droit à tant d'égards. Ribéry a le privilège d'être placé du côté de Jean-Pierre Papin, autre natif de Boulogne-sur-Mer dont la popularité de joueur présente rétrospectivement quelques analogies avec la sienne.
Ainsi, Franck Ribéry est divertissant pour les médias, parfois à la manière dérangeante des vedettes malgré elles de l'émission Strip tease – qui aurait pu avantageusement lui consacrer une saison entière. Ce qui serait fustigé comme du crétinisme chez d'autres est donc magnifié chez lui comme une réjouissante simplicité ou une belle authenticité. Même ses blagues gentiment consternantes (mettre du poivre dans le dentifrice de ses coéquipiers – à moins que ce ne soit l'inverse) sont jugées irrésistibles. Heureux les simples d'esprit, car le royaume des cieux leur appartient. De temps à autre.
Amitié francko-germanique
Immanquablement, l'histoire s'est répétée en Allemagne. À ceci près que l'engouement pour le football en général et le Bayern en particulier y décuple la sensation. En droite ligne de sa propre philosophie, Ribéry y est allé à fond d'entrée, avant même le premier match disputé. "Je me serais acheté pour 100 millions d'euros!" ou "Je suis venu pour tout gagner", furent ses premières déclarations outre-Rhin. Il ne se départit pas de son aisance naturelle pour revêtir la traditionnelle culotte de peau bavaroise ou, improvisant, le gilet d'un vigile du camp d'entraînement. Comme quoi, le joueur a un certain talent pour se mettre en scène, et l'on aurait bien tort de le prendre pour un idiot.
Très vite, il arrive en tête d'un sondage auprès des lecteurs du magazine Bild qui le désigne future star n°1 de la Bundesliga. Mark Van Bommel assure qu'il peut devenir le meilleur joueur du monde et ses facéties séduisent l'effectif, le staff, les médias et les sponsors d'un seul mouvement. Nike ne s'y trompe pas, qui déploie dans le centre de Munich une bâche à la gloire du transfuge marseillais.
Mais ce sont ses prestations estivales qui plient le débat. Entre un doublé inaugural en Coupe de la Ligue et une Panenka assortie de quelques exploits lors d'un retentissant 4-0 face au Werder Brême, lors de la deuxième journée du championnat, Ribéry a mis tout le monde dans sa poche. Même Franz Beckenbauer, redoutable pisse-vinaigre, est sous le charme et adoube l'usage du surnom "Kaiser Franck" que les médias adoptent très vite: "C'est un honneur pour moi qu'on me le compare", commente l'ancien organisateur de la Weltmeisterschaft. "Sa façon de jouer est fascinante. Il enrichit la Bundesliga. Il appartient à une autre dimension", énonce-t-il avant de conclure: "Il n'éclabousse pas seulement le jeu de sa classe, mais aussi de son art. Il transcende l'équipe".
Un peu de folie dans les défenses
L'habit est taillé, et ce n'est pas un costard. Mais comme on le disait plus haut, Ribéry est un adepte des démarrages enflammés et est rarement comptable de ses propres efforts... au risque de griller un capital physique sans lequel il a du mal à exprimer ses qualités. En témoigne une saison en demi-teinte avec l'OM, saison certes excusée par les pépins physiques, mais qui s'est achevée sur le constat d'une deuxième prestation ratée en finale de Coupe de France. Ribéry n'est pas un ange non plus, ni juste un clown. Son départ impromptu de Metz vers Galatasaray, son retour en France avec contentieux juridique à la clé et son feuilleton du mercato 2006 ont diversement altéré l'icône. Il a ainsi donné aux supporters marseillais des raisons (de plus ou moins bonne foi) de ne pas trop le regretter.
Bixente Lizarazu et Willy Sagnol se sont souvent demandés ce qui manquait à la Bundesliga pour intéresser enfin les Français. On a peut-être la réponse. Mais l'enjeu national que représente la suite de la carrière de Ribéry excède celui-ci. Sa Coupe du monde 2006 a montré qu'il pouvait être indispensable aux Bleus, et pourrait le devenir encore plus. Il incarne aussi ce type de footballeur devenu rare, capable de dribbler, de mettre un peu de folie dans le strict ordonnancement des défenses contemporaines. Et toute complaisance mise à part, son personnage a effectivement l'étoffe de ceux auxquels l'histoire du foot peut réserver une place à part. Franck Ribéry a vingt-quatre ans et un avenir devant lui. À lui d'établir la différence entre une comète, qui éclaire plusieurs fois les mêmes cieux, et un météorite, qui s'y dissout une fois pour toutes.