Le foot selon le G14
À quoi ressemblerait le monde du foot si le G14 finissait par avoir gain de cause sur tous les fronts? Avec, en exclusivité, l'anatomie du footballeur international, morceau par morceau. Extrait du n°36 des Cahiers du football.
Auteur : Thibault Lécuyer et Jérôme Latta
le 11 Juil 2007
Le G14 est un groupe de combat. Certes pas au sens guévariste du terme, mais il partage avec certains révolutionnaires le sens de la guérilla et une absence totale de pitié à l’endroit de ceux qui s’opposent à sa doxa. La lutte de cette petite assemblée de clubs contre tout ce qui peut limiter leur capacité à générer des bénéfices se livre face à une multitude de résistants qui, à l’occasion, tentent de préserver ce qui reste d’esprit sportif dans le football. L’exercice imaginaire qui suit prouve surtout que la fiction est aujourd’hui dangereusement proche de la réalité.
Des usines à footballeurs à la sortie des usines de ballons
La menace est brandie régulièrement, assortie de sa sempiternelle argumentation: la formation coûterait trop cher en regard des bénéfices qu’elle rapporte. Le raisonnement sert surtout à justifier que les clubs ramassent et rejettent à loisir tout ce qui est masculin, marche sur deux pattes, et est susceptible de devenir joueur professionnel. Et peu importe si la législation du travail est foulée aux pieds, ou qu’on rejette dans la nature à seize ans des ados désespérés de voir leur rêve s’envoler (et parfois dépourvus de papiers). Celui du G14 est bien plus ambitieux: réduire la colonne "coûts" à sa plus simple expression, en délocalisant entièrement la formation dans des contrées pas moins riches en futurs génies, mais bien plus hospitalières financièrement (1).
Quoi de plus logique en effet que de produire des footballeurs à quelques encablures des usines qui produisent les ballons que les meilleurs d’entre eux utiliseront à terme? Nos lobbystes n’hésiteront pas à concrétiser l’image des joueurs "morts de faim". Et si quelques talents devaient subsister dans les pays occidentaux, il deviendrait alors aisé de les inviter à rejoindre ces terres éloignées pour les former à moindre coût.
Des petits clubs transformés en sous-traitants
Grâce à ses relations étroites avec les géants du marketing et les plus grands annonceurs du football, le G14 – devenu G24 – accomplira sa révolution libérale: il se substituera à l’UEFA (qui ne s’occupera plus que des compétitions de jeunes et féminines) et organisera lui-même une Ligue des champions avec trente-deux places dont vingt-quatre réservées. La Coupe de l’UEFA ne concernera plus que les équipes des deuxièmes divisions nationales et sera diffusée sur Direct 8. Les clubs non-membres se transformeront en centres de post-formation, sortes d’incubateurs de champions qu’ils livreront à maturité aux cadors européens (contre un remboursement intégral des frais de cantine)
La nécessité de disposer d’un réservoir de clients à fort pouvoir d’achat et d’optimiser les clubs en tant qu’outils de communication et d’influence conduira à la construction de stades dont la moitié des tribunes sera occupée par des loges. Les moins fortunés des supporters suivront les matches par extraits sur leurs téléphones mobiles.
L’empire de la Ligue des champions
Le cauchemar ne commencerait qu’avec le véritable lancement de la saison et les trente-trois interminables soirées de Ligue des champions, entrecoupées d’insipides matches de championnat et de coupes nationales... Lesquels n’auraient d’autre intérêt que de présenter alternativement l’équipe B des clubs du G24 coller des branlées aux sparring-partners de leurs pays respectifs, ou ces sparring-partners se mesurer poussivement les uns aux autres.
Pour résister, les fédérations se réuniront pour créer le championnat du Bénélux, le championnat du hareng (Danemark, Suède, Norvège, Finlande), le championnat atlantique (Portugal, Irlande, Écosse, Galles), le championnat des Balkans, etc.
Les compétitions internationales, elles, seront disputées par des joueurs essorés au dernier degré qui devront improviser une équipe sans aucun match de préparation. Les sélectionneurs auront des quotes-parts de temps de jeu pour les internationaux, et seront sous la menace de lourdes pénalités financières en cas de blessure.
L’Europe en tournée
Un G24 omnipotent n’hésiterait pas à organiser des matches officiels en Asie ou aux États-Unis, rentabilisant ainsi encore mieux des tournées devenues un passage obligé tant celles-ci sont rémunératrices, à la fois en termes d’image et de revenus commerciaux. Une amère ironie a voulu que soit annoncée au même moment la tenue en Chine du prochain Trophée des champions qui opposera Lyon à Sochaux. Le ver était déjà dans le fruit, et il commence à se régaler.
Les matches amicaux lors de ces tournées estivales étaient déjà plus rentables que des matches officiels joués chez soi, le différentiel deviendra phénoménal dès lors que les clubs auront pris l’habitude d’y disputer des rencontres à enjeu. Dans la pratique, rien n’empêche ces clubs d’étendre cette expérience et, à terme, de commencer leur championnat à l’étranger en compagnie d’une poignée d’adversaires de leur pays qui auront fait le voyage. Après tout, le Tour de France passe bien par Cologne, Bruxelles ou Cork. Cela permettra d’asphyxier le football local, tout en laissant, sur le Vieux Continent, les clubs des pays mineurs se disputer en plein été un strapontin pour la C1 qui, elle non plus, n’a théoriquement aucune raison de se disputer en Europe. Les joueurs de la NBA ne passent-ils pas la moitié de leur année dans des hôtels pour disputer des matches au quatre coins de leur pays-continent?
(1) En 2003, sous la pression de la Ligue, la fédération a levé l’obligation pour les clubs pros de disposer d’un centre de formation.