Spirale du pire moment de la saison
Du comique, le football passe parfois au tragi-comique, voire au franchement tragique. Entre moments de purs ennui et vrais drames, le choix sera probablement vite fait cette saison.
le 19 Juin 2007
Le football que l’on essaye de nous faire avaler à grands coups de surenchères dans le superlatif foireux évoque le royaume merveilleux des Bisounours. Dans ce monde-là, le paroxysme du pire est atteint par une relance aléatoire de Jean-Alain Boumsong, une sortie aérienne – ou presque – de Damien Grégorini, ou encore un contrôle orienté audacieux de Sammy Traoré dans sa surface de réparation.
Mais dans la vraie vie, ce qui est sûr avec le football, c’est qu’on n’est jamais déçu dans le domaine du pire. On croit toujours avoir touché le fond, acquis la certitude que cette fois, c’est sûr et certain, on ne tombera pas plus bas... mais il arrive toujours un outsider plus pathétique encore pour alimenter les sermons passéistes adeptes du "c’était mieux avant". Reste à faire le tri dans une trop riche liste d’événements déplorables, car les Dieux du football n’ont pas manqué de créativité, cette fois encore, pour nous pourrir la saison.
De la même façon qu’on se souviendra tous précisément où et avec qui on était quand les fessiers saillants de Schumacher ont fait la connaissance des pré-molaires de Battiston, quand le front de Zidane a choyé la poitrine de Materazzi, ou quand le visage suave de Nicolas Sarkozy est apparu sur nos écrans de télévision le 6 mai dernier à vingt heures, on n’oubliera jamais où et avec qui on était quand la Spirale du pire moment de la saison a croisé nos destinées. La Spirale qui fait tellement mal qu’on jurerait qu’on nous l’a vissé lentement dans l’œil sans la moindre compassion pour nos cris de douleur.
Vous pouvez d'ores et déjà voter pour les Spirales des Cahiers 2006-2007, ou attendre que tous les lauréats vous aient été présentés sur nos pages. Autre solution: le sondage grandeur nature sur eurosport.fr. Notez que les lauréats seront exclusivement désignés par le scrutin en ligne des Cahiers du foot...
Lituanie-France (0-1)
Sans chercher de coupable au déplaisir qu’on a pu avoir à assister à ce match joué sur une pelouse improbable, contre une fausse équipe de football, il reste relativement logique de citer ce rendez-vous dans les moments les plus pénibles que nous ayons eu à subir cette année. Non pas qu’il fut encore plus ennuyeux que les pires des matches que la L1 ait pu nous proposer cette saison – le fait qu’il s’agisse de l’équipe de France joue évidemment – mais principalement pour le côté poussif de cette rencontre étouffante qui ne s'aéra jamais, malgré l’éclair de Nicolas Anelka.
Atout : la banderole raciste déployée dans les tribunes lituaniennes est un atout incontestable.
Faiblesse : ce ne serait vraiment pas sympa d’élire le match qui a signé le grand retour d’Anelka comme pire moment de la saison.
La finale de la Coupe de la Ligue
Le terme même de "finale de Coupe de la Ligue" devrait valoir nomination systématique à ce trophée, tant cette compétition s’est inscrite depuis son origine dans le long processus de dévaluation du football national. Cette année, la vingtaine d’acteurs de la rencontre a en outre mis les bouchées doubles pour faire de ce rendez-vous une véritable purge, à côté duquel un match de championnat des Girondins ressemblait à une partie du Brésil dans les années 60.
Atout : le sourire arboré par Franck Jurietti après sa belle performance de boucher.
Faiblesse : c’est tout de même la défaite qui a empêché Jean-Michel Aulas d’évoquer un "doublé historique qu’aucune autre équipe française n’avait réalisé avant l’Olympique lyonnais".
La mort de Ferenc Puskás
Avec Puskás, c’est une autre idée du football qui disparaît un peu plus en novembre dernier. L’audace et la grâce au service d’une efficacité stupéfiante – les fameux quatre-vingt-trois buts en quatre-vingt-quatre sélections… Un petit gros dont on raillait à l’envi les qualités athlétiques en le voyant débarquer à l’échauffement, qui n’avait pas plus de jeu de tête que de pied droit. Pourtant personne n’aura jamais su contrarier les volontés de sa prodigieuse patte gauche. Si ce n’est un vilain Alzheimer en fin de parcours. Une lutte inégale qui imposera à son entourage de vendre aux enchères ses plus glorieuses reliques afin d'aider un homme devenu désargenté pour n’avoir été trop généreux tout au long de son existence.
Atout : malgré une concurrence de très haut niveau, rien n’aura autant fait de mal au football cette année que les adieux du Major.
Faiblesse : confronter Puskás et la Coupe de la Ligue pour l’attribution d’une même récompense, c’est vraiment trop triste.
PSG-Tel Aviv
Comme un cauchemar, d’un bout à l’autre. D’abord, un match calamiteux pour un PSG dépassé, disputé dans une ambiance tellement tendue que les témoins estiment que le chaos final était couru d’avance. Ensuite, cette ignoble chasse à l’homme organisée par une foule haineuse, sur une Porte de Saint-Cloud étrangement désertée par les forces de police, pourtant déployées en nombre aux abords du Parc... Et cet hallucinant épisode qui voit un flic noir tirer sur des racistes blancs pour défendre un Juif pris à partie, comme dans une pub Benetton particulièrement trash. Enfin, les réactions rivalisant de démagogie des politiques (qui pour la énième fois affirment vouloir combattre un fléau toujours aussi vivace malgré des années de rodomontades jamais suivies d’effets), des joueurs (tous murés, hormis l’exception Kalou, dans un "ça ne nous concerne pas" bien pratique) et des supporters (qui présentent leur camarade mort dans ces circonstances troubles comme "la victime innocente d’un pouvoir policier qui assassine impunément", on croit rêver). Comme un cauchemar, oui, visqueux et malsain.
Atout : ça ferait un peu de pub à la coupe de l’UEFA,
Faiblesse : dans cette catégorie aussi, les Italiens ont été meilleurs que nous cette saison.
L'entrée en bourse de l'OL
Autant être honnête, si cet évènement se trouve dans la liste des candidats au pire moment de la saison, ce n’est pour les conséquences concrètes qu’il peut potentiellement amener, mais pour sa portée symbolique: parce qu’il évoque une insupportable défaite. Défaite contre la financiarisation du football, contre son entrée dans le champ du commerce, qui signe sa sortie définitive du champ du sportif. Il faut être d’indécrottables naïfs pour espérer encore faire revenir le football à sa vocation d’origine: c’est exactement l’esprit de cette nomination. Car le fait qu’il s’agisse d'une première pour un club français fait rentrer brutalement cette réalité dans notre quotidien: les victoires et les défaites se jouent plus dans les comptes de résultats que sur le terrain. On n’arrive pas à s’y faire.
Atout : il est vraiment temps d’effacer ce sourire démoniaque du visage de Jean-Michel Aulas
Faiblesse : la dure chute de l’action quelques jours après sa mise sur le marché est déjà un trophée en soi.