Beckhamalgame
Dans une publicité pour Adidas, le joueur règle ses comptes avec les journalistes. Vu de France, on ne retient que les coupables.
Auteur : Sylvain Zorzin
le 3 Avr 2007
"Le docteur Petiot n’est pas juif. Alors que le docteur Schwartzenberg [cancérologue NLDR], si. Cela dit, il n’y a aucun rapport entre Petiot et Schwartzenberg, je ne sais même pas pourquoi je fais le rapprochement. Je veux dire que Schwartzenberg, lui, il fait pas exprès de tuer les gens". Dans ce sketch vieux de déjà vingt ans, Pierre Desproges opère ce que l’on pourrait appeler un amalgame tendancieux. Il joue d’ailleurs lui-même de ce lien qu’opère à peu près le cerveau, auquel on propose de rapprocher deux faits a priori distincts.
Pour ceux qui ne possèderaient pas le DVD du spectacle de 1986, Adidas nous propose par chance d’observer actuellement le même mécanisme. La marque s’est offert une campagne de publicité et David Beckham par la même occasion. Sur un fond très terne, ce dernier gribouille un bonhomme et résume sa vie en environ dix phrases – ce qui n’est pas sans rappeler la tentative récente de sa femme, contactée récemment par un éditeur pour écrire sa biographie.
Le début du texte, sous-titré, que raconte le "Spice Boy" (surnom, là aussi, hérité de Victoria Beckham, qui a voulu accrocher un crucifix avec des clous de girofle) est celui-ci:
"Mon nom est David Beckham et voici mon histoire. Je repense souvent à la Coupe du monde 98 et, bien sûr, j'aurais aimé que cela n'arrive pas [il évoque ici son carton rouge reçu contre l’Argentine en huitième de finale]. Parce que j'ai réagi comme un gamin. Je crois que j'en ai même pleuré pendant cinq ou dix minutes. Ensuite, j'ai reçu des menaces de mort. Pendant trois ans et demi je ne me suis jamais senti en sécurité. Cette période m'a tellement meurtri que j'étais à deux doigts de tout plaquer".
Mea maxima culpa
C’est terrible, ébranlant, des paires d’yeux diaboliques clignotent sur l’écran, et pour une fois le texte anglais est à peu près bien traduit. Donc menaces de mort, climat délétère, le héros est blessé dans son âme et dans sa chair – sans compter son fils de cinq ans qui lui pose des colles de maths avec ses additions.
Et là surgit la suite du monologue de David B., qui a décidé d’éviter les transitions:
"Le jour où j'ai marqué ce but contre la Grèce, tous les journalistes sportifs se sont levés et ont commencé à m'applaudir". Puis on apprend que ça lui a fait super plaisir et que grâce à Adidas il a remonté la pente, ou alors Adidas n’y est pour rien mais il aime beaucoup ses nouvelles chaussures.
Vu d’un trait pourtant, cette publicité – elle-même un résumé d’une version longue de près de trois minutes – établit un lien extrêmement tendancieux entre deux faits: le héros humilié et les journalistes sportifs qui jugent. Le gladiateur bafoué dans l’arène et les journalistes qui, après l’avoir d’un geste du pouce voué aux gémonies, se fendent d’un mea culpa, d’une "autocritique" comme on appelait ça dans les dictatures soviétiques.
Le lien d’ailleurs, n’est sans doute pas le fruit du hasard: il faut savoir qu’à l’issue du match de 1998, Beckham fut considéré par beaucoup comme le responsable de l’élimination de l’Angleterre. Violemment caricaturé, il fut même présenté par le quotidien anglais Daily Mirror au centre d'une cible pour fléchettes.
Cabale au centre
Mais pour le téléspectateur français, qui ignore ce contexte, et plus encore la tradition de certains tabloïds britanniques de jeter des litres d’huile sur le feu, le contexte culturel s’efface. Face à cette publicité importée à l’état brut, sans la moindre précaution, un seul fait demeure: les journalistes sportifs sont des salauds, ils incitent carrément au meurtre (!), et en tout cas ne devraient pas s’aventurer à salir les idoles nationales. Qui a eu cette idée folle un jour de leur donner le droit à la parole, à la critique? On repense même à la cabale anti-Jacquet qui a déjà jeté une lourde suspicion sur certains médias.
Alors évidemment, il y a de quoi rougir de honte lorsqu’on entend Thierry Adam, Jean-Michel Larqué ou Dominique Grimaud. Mais à notre époque où on trouve naturel de poser côte à côté "immigration" et "identité nationale", ou "islam" et "terrorisme", il y a des raccourcis qu’il vaut mieux éviter de provoquer. Même lorsqu’un David Beckham veut user de son pouvoir pour régler ses comptes. Sinon on pourra mettre en vente libre de nouveaux permis pour la chasse aux boucs émissaires.