L'agonie des Canaris
Le foot français doit-il se résoudre à voir le FC Nantes, que l'on croyait éternel, disparaître du paysage de l'élite? Comment est-il devenu l'ombre de lui-même? Retour sur plusieurs décennies d'une si grande histoire...
Auteur : Jean-Pascal Gayant
le 19 Fev 2007
Pour une fraction considérable des mâles quadragénaires (ou peu s’en faut) de ce pays, le FC Nantes fait partie du paysage. Pour ceux-là, depuis que le monde est monde, la République est cinquième, la Loire inférieure est atlantique, le film du dimanche soir est un "de Funès", Michel Sardou est chanteur populaire sur RTL, la voiture du tonton est une Peugeot, et les jaunes sont les Nantais. Mieux encore, les Canaris sont immanquablement les rivaux de choix de l’équipe vers laquelle va la ferveur populaire : stéphanoise, bordelaise, marseillaise, parisienne, le cas échéant lyonnaise…
Rio en R8 Gordini
Les petits Nantais sont devenus grands au cœur des trente glorieuses, alors que de Gaulle s’extirpait à peine des bourbiers coloniaux. Un petit Basque autoritaire avait su métamorphoser l’équipe de "balle au pied" d’une ville bourgeoise en machine à vaincre du football moderne. Les sexagénaires de l’estuaire évoquent encore, un verre de gros-plant à la main et de l’émotion plein le gosier, les Gondet, Eon, Blanchet, de Michele, Budzinsky… Le petit club du stade Marcel-Saupin pouvait légitimement imaginer se tracer un chemin de grand d’Europe quand, en 1973, il conquérait un troisième titre de champion de France après dix saisons passées dans l’élite. Dans la France Pompidolienne, un Nantes-Nice était un sommet du championnat, Patrice Rio pouvait crâner en R8 Gordini et la largeur des pattes de pantalon de Jean-Paul Bertrand-Demanes n’avait d’égale que la hauteur monumentale du bonhomme.
Les Verts en R5
Quand le futur académicien Giscard se résolut à nommer Chirac Premier ministre (c’était il y a un tiers de siècle), c’est pourtant vers la grisaille du Forez que les regards et les cœurs se tournèrent. Perdants magnifiques en Europe, les stéphanois eurent même droit à une descente des Champs-Elysées juchés sur des Renault 5, et l’on revoit la crinière rousse de Robert Herbin émerger de cette marée verte tant bien que mal contenue par des fonctionnaires de police incroyablement moustachus et chevelus. C’était un temps où "l’on faisait sauter les bouchons quand Saint-Étienne était champion" et même si le jeune Maxime Bossis et sa troupe contrecarraient régulièrement les libations promises, le cœur de la nation était vert jusqu’aux frontières des Pays de la Loire. De caisses noires en errements stratégiques, le fruit stéphanois était pourtant trop mûr (ou, s’il m’est permis d’oser, le "vert" était dans le fruit). Les années Mitterrand sonnaient le glas d’une épopée que les retransmissions télévisées en direct avaient façonnée…
Au début de l’été 1983, un sixième titre national semblait ouvrir aux Canaris le temps de la reconnaissance, d’autant que l’Euro 1984 allait offrir une grande arène toute neuve aux Brésiliens de l’hexagone. Hélas, à l’instar de l’Eglise de l’abbé Castagnet, la Beaujoire allait s’avérer être une Notre Dame des courants d’air et les jaunes et verts ne manquèrent pas de s’enrhumer. Les errements incompréhensibles d’un club supposé empocher le pactole à la vente de chacune de ses perles aboutissaient à de surprenantes casseroles budgétaires. La maison jaune commençait à chanceler…
Premier champion du nouveau millénaire
À l'heure où le vieux lion de Jarnac cédait sa place au pétulant tigre corrézien, un salvateur retour aux sources permit de croire au retour du printemps : les Pedros, Loko, Ouedec, Karembeu ou Makelele servirent le champagne chaque quinzaine à la Beaujoire et permirent de rêver à une embellie durable. Las, à la fin du millénaire, les oisillons étaient en équilibre précaire au bord du nid et il s’en fallu d’un cheveu qu’ils ne s’écrasent sur le tarmac de la Ligue 2. Cet oisillon-là était finalement un phœnix : l’espace d’une saison, le club redevint l’ogre insatiable du football français, le tueur sans merci. Premier champion du nouveau millénaire, le FC Nantes pouvait croire le mal vaincu, en dépit de l’incontestable essoufflement de son modèle économique et sportif. Rebelote quatre années plus tard : à l’issue d’une lente dérive, les Canaris abordaient une 38e journée en condamné à mort qu’aucune grâce présidentielle ne semblait pouvoir sauver. Un miracle abracadabrantesque survint alors: oui, les Canaris appartenaient donc pour l’éternité au paysage du football français. La question était alors de savoir si le club pourrait tenir tout au long du troisième millénaire…
Il y a quelques jours à la Beaujoire, Budzynski et Suaudeau en spectateurs du désastre...
Éteinte, cette idée du jeu...
Vingt mois plus tard, la vieille carcasse d’un gros oiseau déplumé hante la pelouse d’un stade frileux et plein de colère. La fin semble proche. Par une curieuse coïncidence, c’est à l’instant où le Stade Marcel-Saupin – mémorable enceinte bordant la Loire majestueuse – vient d’être rasé que sonne le glas du canari. Comme si ce vieux stade, demeuré vide pendant plus de vingt ans, avait contenu l’esprit du FC Nantes éternel. Finie, donc, cette équipe préférant les atmosphères feutrées aux outrances verbales des dirigeants m’as-tu-vu, éteinte cette idée du jeu, enfouie cette adhésion à l’aventure collective d’un groupe…
Les petits garçons qui admiraient la pondération, le calme et la maîtrise de soi du grand Max sont devenus grands… Pourtant, ce gâchis leur donne envie de pleurer. On ne délaisse pas si facilement ses espoirs d’enfant.