La Coupe de l'autre côté du monde
Tribune des lecteurs – Comment vivre le Mondial et lui survivre quand il se déroule en pleine nuit? Un expatrié au Japon explique sa méthode mais aussi son système d'évaluation des matches…
Auteur : Jean-Noël Polet, à Osaka
le 16 Juin 2006
Chers lecteurs des Cahiers en France, à qui j'adresse mes salutations fraternelles, je souhaitais vous faire part de la difficulté, pour un passionné de football normalement constitué, de suivre la Coupe du monde à l'autre bout de la terre. L'édition 2002 nous avait permis de nous moquer de vous qui pestiez derrière votre bureau pendant que nous, Asahi, Sapporo ou Foster à la main, pouvions suivre les rencontres en toute quiétude. Ce Mondial 2006 sonne comme votre revanche et elle constitue pour nous un véritable parcours du combattant…
Des nuits saucissonnées
Sachant que le coup d'envoi du premier match est donné à 22h00 au Japon, celui-ci résonne comme la récompense légitime d'une dure journée de labeur. Il se termine aux environs de minuit. Après douche de rigueur compte tenu de la chaleur et de l'humidité du climat en cette saison (celle-ci peut être prise à la mi-temps), on peut espérer pénétrer dans l'univers des songes vers 0h30 voire un peu plus tard si l'état d'excitation est trop avancé. Aussi, on évite les cafés, les alcools forts qui provoquent le sommeil de manière anticipée mais aussi la bière qui entraîne des remontées d'acide peu élégantes lorsque l'on devra rejoindre l'épouse qui nous attend sagement au lit. Cependant, la bière a la vertu de ne pas endormir mais aussi de pouvoir, tactiquement, éviter l'accomplissement d'un devoir conjugal qui, compte tenu des circonstances, tiendrait de l'exploit de Maradona contre la Belgique en 1986.
Le réveil étant programmé à 7h30, il nous reste sept heures de sommeil. La nuit blanche rend absolument impossible la réalisation de notre travail. Toutefois, si un salarié japonais dort entre cinq et six heures par nuit, nous pouvons raisonnablement nous permettre de regarder un match supplémentaire quitte à transporter les bagages d'Henri Emile le lendemain sous les paupières. Intervient alors le choix cornélien du match à suivre. Le deuxième match se déroule de 1h00 à 3h00 et le troisième de 4h00 à 6h00.
Certes, le critère sportif est important mais il n'est pas toujours déterminant. Par ses dernières minutes intenses autant que par les cris de dépit stridents du commentateur japonais, le match Japon-Austalie avait plus de chances de nous tenir en forme jusqu'à 1h00 pour République tchèque-Etats Unis et, de ce fait, nous faire manquer les premiers pas de l'équipe italienne dans la Coupe du monde.
Il nous faut donc opter entre deux configurations : la première étant la nuit courte mais effectuée d'un trait. On a l'avantage de dormir quatre heures non-stop mais l'on devra accepter de supporter une période d'alcoolémie plus longue qui garantit la gueule de bois et des stigmates physiques lorsque l'impitoyable réveil nous sortira du lit. La seconde étant la nuit la nuit tranchée. En théorie, elle nous permet de dormir un peu plus longtemps (de 0h30 à 4h00 et de 6h00 à 7h30) et réduit notre consommation d'alcool. Prendre une bière après trois heures trente de sommeil équivaut à boire le vinaigre blanc de notre grand-mère au goulot. En réalité, après un Argentine-Côte d'Ivoire, comment peut-on trouver le sommeil alors qu'il fait plein jour et que les camionnettes de livreurs sadiques font vibrer leur moteur diesel sous la fenêtre?
Les symptômes
Les conséquences physiques d'un tel rythme de vie apparaissent après quelques jours. Elles se manifestent par ce que l'on pourrait appeler le "syndrome Edith Cresson" c'est-à-dire un état de fatigue qui nous amène à suivre passivement l'ensemble du troupeau des travailleurs. Il s'exprime par une patience inattendue dans les files d'attentes et les lieux publics toujours bondés, par une capacité à dormir debout dans le métro, par une absence totale de réaction aux remontrances du chef du service japonais (ce dernier préfère le baseball dont la diffusion se termine à 22h00) et, enfin, par une aptitude insoupçonnée à avaler d'un trait les nourritures les plus étranges : le tofu, la soupe de miso, le poisson cru et autres nouilles trempées dans un jus d'apparence suspecte.
Mais les conséquences psychologiques sont sans doute plus graves et déstabilisent les esprit les plus aguerris. Ainsi étions-nous sur une plage de Tahiti, cernés de créatures de rêve lorsqu'une voix nous fit ouvrir l'oeil et découvrir soudainement la vision terrible de Koller les bras levés au ciel après son but. Comment ne pas parler de cette villa avec vue sur le golfe de Saint-Tropez dont nous signions l'acquisition lorsque trois coups de sifflets cruels nous mirent face au regard désespéré de Zewlakow dans la défaite. Le football dans ces nuits sans sommeil apporte aussi des retours en enfance. Par son scénario maintes fois aperçu dans le passé, le match Allemagne-Pologne fleurait bon les parties de Subbuteo endiablées, les figurines Panini et les tartines au Nutella.
Notre contribution
Sachant que nous ne sommes pas en mesure de porter des jugements sur les matchse à la manière des spécialistes qui dorment la nuit et regardent la compétition le jour, nous proposons néanmoins d'apporter notre modeste contribution à la compréhension de notre sport favori de manière singulière et originale. Après une semaine de Coupe du monde, nous réalisons que notre capacité à lutter contre le sommeil dépend de critères sportifs objectifs que nous pourrions appeler l'indice de potentialité morphéique (IPM). Les amateurs de football de la zone Pacifique pourraient, à la manière des magazines, attribuer une note aux deuxièmes et troisièmes rencontres selon leur période d'assoupissement. Un point IPM correspondrait à un cinquième de sommeil durant le match, soit 18 minutes. Par exemple : Angleterre-Paraguay n'est pas loin de la note maximum de 5 IPM.
Voici les notes des rencontres que nous avons vues ou que nous avons essayé de voir.
- Argentine-Côte d'Ivoire : 2 IPM
- Etats-Unis- République Tchèque : 1,5 IPM
- France-Suisse : 4,5 IPM
- Allemagne-Pologne : 3 IPM
Nous attendons la suite de la compétition avec impatience pour décerner le gourdin d'or, c'est-à-dire le prix de la partie la plus assommante et j'invite les lecteurs de la zone Pacifique à attribuer leurs notes sans délai.