Le cable réseau du serveur étant presque saturé, merci de ne vous connecter qu'en cas d'absolue nécessité de vous amuser. Attention à ne pas confondre vos minuscules et vos majuscules.
Vous avez oublié votre mot de passe ?
Inscription
Vous avez oublié votre mot de passe ? Il reste un espoir ! Saisissez votre adresse e-mail ; nous vous enverrons un nouveau mot de passe. Cette procédure est quasiment gratuite : elle ne vous coûtera qu'un clic humiliant.
Nous vous avons envoyé un email sur votre adresse, merci d'y jeter un oeil !

CONDITIONS D'INSCRIPTION :

1. Vous devez nous adresser, via le formulaire ci-dessous, un texte (format .txt inférieur à 100 ko) en rapport avec le football, dont la forme est libre : explication de votre passion, anecdote, aventure, souvenir, essai, commentaire composé, portrait, autobiographie, apologie, réquisitoire, etc. Vous serez ensuite informés de la validation de votre inscription par mail. Les meilleurs textes seront mis en ligne sur le Forum.

2. Nous ne disposons pas d'assez de temps pour justifier les retards d'inscription ou les non-inscriptions, et ne pouvons pas nous engager à suivre une éventuelle correspondance à ce sujet. Merci de votre compréhension.

Nous avons bien reçu votre candidature, on y jette un oeil dès que possible. Merci !

Partager :

12 juillet [12/13]

Douzième épisode. La finale est presque terminée et déjà c’est l’heure des bilans. Louise regrette de n’avoir pas eu d’enfant avec Fred, lequel a une pensée émue pour Platini, installé tout près d’une coupe du monde qu’il n’aura jamais gagnée.

Auteur : Bruno Colombari le 11 Jan 2006

 

DOUZIÈME ÉPISODE
 
* * *

22H48
GIOVANNI

 
Tiens, les remplaçants français sont dans le même état que Fred: debout, ils ne tiennent plus en place. A moins que ce ne soit lui qui se prenne pour un remplaçant.
Finalement, même à onze contre dix, ils ne seront jamais passés, les Jaunes. Ils auront campé la moitié du match dans le camp des Bleus, pour rien. Pour eux le temps doit s’écouler à toute vitesse, alors que pour les Français il doit s’étirer comme du chewing-gum. Comme quoi, tout est relatif. Si je compare le premier mois que j’ai passé avec Erika et le premier mois que je viens de vivre sans elle, l’un m’a semblé ne durer qu’une journée, alors que pendant l’autre je me suis vu vieillir.
Un copain m’a raconté une chose étrange: il habitait avec son amie dans un petit appartement aménagé dans d’anciennes chambres de bonnes, au quatrième étage d’un immeuble bourgeois de Marseille. Un jour, en rentrant, il a levé la tête dans les escaliers et a vu le visage de sa compagne se découper tout en haut, éclairé par la verrière, au-dessus de la rampe. Elle était radieuse. Elle lui a dit tout simplement:
— Je suis enceinte!
— C’est alors, m’a-t-il raconté, que j’ai senti en moi un compte à rebours se mettre en route. En montant lentement la trentaine de marches restantes, j’ai réalisé que j’étais adulte, enfin, et que cette minuscule vie qui poussait, cette petite chose que nous avions faite à deux me rapprochait à coup sûr de ma mort. Ce n’était pas une menace, pas un ultimatum. Juste une échéance, un horizon lointain qui allait devenir chaque jour un peu plus visible. Chaque marche que je montais m’éloignait de mon enfance.
Je me souviens de ça. J’en étais un peu jaloux, et à chaque fois que j’imagine ce que c’est d’être père, je repense à cette histoire.
Ils devraient quand même faire attention les Français, s’ils ne veulent pas se prendre un but au dernier moment. Les Jaunes se rapprochent, le 19 entre dans la surface, il tire... juste au-dessus! Vraiment raté de peu. Les remplaçants soufflent, se tiennent la tête, certains rigolent. Louise aussi. Son visage est radieux. Elle a la tête de quelqu’un qui vient de poser à terre un poids énorme et qui se sent soudain prêt à s’envoler.
Sur la barre! On le voit bien au ralenti: le ballon ripe sur le dessus de la barre et le gardien est battu. Rien à faire, ça ne passe pas.



* * *

22H50
LOUISE
Le sourire de Platini, juste à l’instant, dans la tribune. Il serrait ses poings, l’air de dire “allez les gars, c’est bon, vous avez gagné!”. Comme le gros plan était sur lui, on ne peut pas savoir à qui il adressait ça, à un joueur sur le terrain ou plutôt aux remplaçants sur la touche.
J’étais ado en 1982, quatorze ans à peine, mais Hugues adorait le foot et je me souviens dans quel état il était, le frangin, le soir de France-Allemagne. Il n’en croyait pas ses yeux, tous ces buts, trois à trois, les pénalties... Je revois Platini accablé, après l’égalisation allemande en prolongation. Le match n’était pas fini, il devait bien rester dix minutes, mais lui, il avait tout compris.
C’était ça sa force, à Platini, il comprenait le jeu mieux que quiconque. A cet instant, il savait que le sort avait tourné, que c’était l’ultime rebondissement. Ce soir, il sent que c’est gagné, même si les Brésiliens tirent encore un corner. Qu’importe s’ils marquent maintenant.
Non, ils ne marqueront pas. Dugarry sort le ballon de la surface. Il part. Les Brésiliens s’en fichent, il peut y aller. A sa gauche, un Bleu pique un sprint. C’est qui, lui? Le remplaçant de tout à l’heure, le grand. Il n’est pas fatigué, au moins. Et il y en a un autre qui court comme s’il avait la mort aux trousses. Lui, je le reconnais, c’est Petit.
Vieira lui donne le ballon... et voilà! But!
Bien joué, mon gars! Trois à zéro!
Ce que les attaquants n’ont pas su faire, il l’a fait. Et facilement, en plus: le ballon lui arrive de la gauche, un Brésilien va le contrer, il n’a pas beaucoup de temps, il ne contrôle pas et tire du pied gauche. Le gardien qui allait s’avancer n’a pas le temps de réagir, et le ballon lui passe sous la main.
C’est de la folie. Les remplaçants se tombent dans les bras. Tout le monde s’embrasse. Giovanni est à côté de moi, à portée de bise. Je le serre contre moi et lui plaque un baiser en pleine bouche.
Il n’en revient pas, l’Italien! Moi non plus d’ailleurs. Tu m’aurais dit il y a cinq minutes que j’allais faire un truc pareil, je ne l’aurais pas cru.
La réaction de Giovanni, c’est la même que s’il s’était pris un seau d’eau glacée sur le ventre: son buste et ses épaules se crispent en arrière sous l’effet de la surprise. Mais ses lèvres sont douces. Et ses yeux si brillants...
Fred n’a rien vu. Il est derrière nous, accroupi, et il se tient la tête dans les mains. Abasourdi. Prostré. Décidément, rien ne se passe comme d’habitude. Dans la télé, le délire continue. On revoit le but en boucle. Barthez dans les bras de Deschamps. Chirac les mains tendues comme s’il bénissait la foule. L’arbitre siffle la fin.
Je regarde ma montre: 22h52’30.
Dugarry pleure dans les bras de Zidane. Barthez est maintenant à genoux, prostré lui aussi. Les deux sélectionneurs, le Brésilien et le Français, très calmes, très dignes, se tapent dans le dos comme pour se dire: « Allez mon vieux, c’est pas grave, tout ça n’est qu’un jeu ». Ronaldo a exactement la même tête qu’avant le match: complètement ailleurs. Dans la quatrième dimension.
On est tous dans la quatrième dimension ce soir.
Longueur, largeur, hauteur. Temps.
Le temps s’est arrêté.


* * *

22H54
FRED

C’est arrivé à l’instant et je ne peux pas y croire. Tout ça n’est qu’une hallucination je suis encore dans ce lit d’hôpital je dérive dans des strates inconnues et je rêve de la coupe du monde. Elle se jouerait en France ce serait la finale dans un stade gigantesque qui ressemble à une soucoupe volante et ce soir les martiens ne seraient pas verts ni jaunes mais bleus. Pour se porter chance ils auraient le même maillot que celui de 1984 avec une large bande rouge horizontale soulignée de trois bandes blanches. Leur Platini à eux ce serait un beur de Marseille au crâne précocement dégarni et à la technique de feu. Il ferait le plus grand match de sa vie et marquerait deux buts. Il y en aurait même un troisième préparé comme un coup de théâtre. Un but marqué par un joueur que la vie n’a pas épargné lui dont le frère aîné est mort alors qu’il n’avait pas vingt ans. Une vie fauchée brusquement une carrière professionnelle en mémoire d’un disparu et là dans la dernière minute de la finale de la coupe du monde il s’en va marquer un but beau comme un point final. On dirait que ce serait le millième but de l’histoire des Bleus.
Ce n’est qu’un rêve Fred dans quelques instants tu vas ouvrir les yeux tu vas apprendre que tu es vivant quel coup de chance en revanche pour ton père ça c’est moins bien passé comment ça moins bien passé? il ne s’est pas réveillé voilà. Il ne se réveillera plus jamais. Plus jamais. Et toi tu te souviendras de ton rêve absurde et tu te maudiras pour ça.
Ouvre les yeux, Fred.
C’est bien en train de se passer.
Ton père est mort il y a bientôt neuf ans, toi tu es toujours vivant, Louise et Giovanni sont là aussi, le match est terminé.
Trois zéro, c’est ça, trois zéro.
Blanc embrasse le crâne de Barthez qui pleure dans ses gants, chacun essaie d’assimiler les événements récents et visiblement ça ne va pas à la même vitesse pour tout le monde.
En tout cas, la pub est toujours là, preuve qu’on est bien dans la réalité. Mais bon sang, ils peuvent pas s’en empêcher, même un soir comme celui-là! Tu parles, surtout un soirt comme celui-là. Vite, vite, faut profiter de l’ambiance, les gens heureux ont plus envie de consommer, du moins on imagine. Ça t’a plu, ce que tu viens de voir, hein? Ça t’a touché, ça t’a ému, ça t’a fait décoller du quotidien? Alors maintenant, passe à la caisse, vieux, vide ton caddie et sors ta carte bancaire!
Et c’est parti pour une femme à poil sous une cascade, des vaches violettes dans les Alpes, de l’eau pour les athlètes du quotidien, un parfum qui te conseille de ne pas imiter, d’innover... Tu parles.
Si la pub était honnête, elle annoncerait franchement la couleur:
« Je vais vous vendre un produit dont vous n’avez pas besoin et dont vous ignoriez l’existence il y a dix secondes de ça. Pour vous inciter à l’acheter, je vais faire jouer les pires ressorts qui sont en vous: jalousie, envie, possessivité, orgueil, goût de la domination et bien sûr frustration. Et je vous ferai croire qu’un simple geste peut vous rendre heureux: il suffit d’acheter ce shampoing, cette voiture, ce chocolat, ces chaussures ou cette boisson gazeuse. Pourquoi vivre vraiment, pourquoi nouer des amitiés, se lancer dans une aventure amoureuse, faire du bénévolat, travailler sur soi-même, puisqu’il suffit de dépenser son pognon pour être heureux? »
C’est fini. On revient au stade. Mais quelque part, la magie est rompue.

 

Réactions

  • la rédaction le 11/01/2006 à 01h47
    Nous vous remercions de ne pas réagir ici et d'adresser vos éventuels commentaires via le formulaire "contact" ou sur le site de l'auteur

La revue des Cahiers du football