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12 juillet [10/13]

Dixième épisode. Guivarc’h a raté l’immanquable et Louise a shooté dans une bouteille, aspergeant Giovanni au passage. La tension monte, d’autant que Nat est réapparue à côté d’un petit gros au maillot bleu et que Desailly vient de se faire expulser.

Auteur : Bruno Colombari le 13 Dec 2005

 

DIXIÈME ÉPISODE
 
* * *

22H33
GIOVANNI
Allez, les Brésiliens! A onze contre dix, vous avez une chance! C’est vrai, ce serait plus drôle s’ils marquaient un but, ça relancerait l’intérêt du match. Et puis j’ai toujours été pour les perdants. A qui ça sert, d’abord, de soutenir ceux qui gagnent? La vie est déjà assez injuste comme ça, pas la peine d’en rajouter.
Pour moi, si le foot était un sport idéal, le public viendrait pour voir le match le plus spectaculaire possible. Et sur le terrain, les joueurs feraient en sorte que le niveau de jeu s’élève. Ils encourageraient leur adversaire plutôt que lui rentrer dedans. Ils prendraient des risques insensés rien que pour la beauté du geste, et leur objectif serait de marquer un but de plus que ceux d’en face. Pourquoi pas?
C’est pas très gentil ce qu’il vient de faire, Barthez. Sur un long ballon donné par un Brésilien, les défenseurs français ont laissé leur gardien intervenir. Barthez a contrôlé au pied. Et quand il a vu Ronaldo s’approcher de lui, il s’est mis à genoux. Non pas pour se prosterner, mais pour se coucher sur la balle au ralenti, comme s’il venait de faire l’arrêt le plus difficile du monde. Ça me rappelle ceux qui jouaient dans la cour de récré, à l’école: quand le but était trop facile à marquer, l’attaquant se mettait à quatre pattes et poussait la balle de la tête. Tu comprends que l’autre lève les bras au ciel: de la colère autant que de l’impuissance. Parfois, ça se terminait par un bon coup de pied au cul. Et pendant ce temps, l’heure tourne.
La frustration, c’est un drôle de sentiment. et parfois je me dis que devenir adulte, c’est avoir dépassé la frustration, c’est pouvoir s’appuyer dessus plutôt que se cogner dedans. A ce compte-là, il est certain que je ne suis pas adulte.
Mais combien le sont? Ceux qui vivent leur vie comme ils l’entendent, heureux avec ce qu’ils ont, indifférents à ce qu’ils n’ont pas, disponibles aux autres, attentifs à eux-mêmes, hermétiques à la pression sociale qui leur dit de faire ceci ou de penser cela. Honnêtement, je n’en connais pas beaucoup, mais ça ne veut pas dire que ça n’existe pas.
Je me souviens de cette nuit, à Aix, dans le petit studio que je louais. Cette nuit que nous avons passée ensemble, avec Louise. Nous avons parlé, parlé, et on se sentait si bien qu’on n’arrivait pas à se quitter. Elle n’avait pas envie de partir, et je ne pouvais supporter l’idée de me retrouver seul. Vers trois heures du matin, épuisés, on a fini par s’endormir. Elle blottie dans un fauteuil, moi allongé sur la moquette. Pas plus loin l’un de l’autre que maintenant.
Tu t’en souviens, Louise? C’est si loin tout ça, tant de choses ont changé, des milliers de jours, des milliers de nuits ont passé, des rêves des espoirs des craintes des colères des peurs des surprises et nous voilà ici, ce soir, avec Fred qui fait les cents pas derrière et Nat qui ne peut pas nous voir devant.
Quand on s’est réveillés, six heures plus tard, l’instant de grâce avait disparu. Je ne sais pas ce qui aurait pu se passer cette nuit-là, mais quand j’y repense, ça me donne le vertige. Imagine que l’un de nous ait tendu la main vers l’autre, caressé son visage, longé du bout des doigts la ligne du cou, de l’épaule, de la taille et des hanches. Imagine que nous ayons partagé mon lit, imagine qu’au matin, bras et jambes emmêlés, on se soit dit que notre histoire commençait là...
Il y a des bifurcations qu’il ne vaut mieux pas trop explorer. Elles laissent un goût amer dans la bouche.



* * *

22H37
LOUISE

 

Un peu moins d’un quart d’heure avant la fin. Fred est sous pression, il ne tient pas en place. Calme-toi, mon gars, c’est pas grave! Il ne leur arrivera rien, aux Bleus. Les Brésiliens ont le ballon presque tout le temps mais ils ne savent pas quoi en faire.
Parfois, ça ressemble à du handball, avec une équipe en position d’attaque devant la zone, et l’équipe adverse repliée en arc de cercle. Depuis qu’ils jouent à dix, les Français ne cherchent même plus à jouer, ils se dégagent comme s’il n’y avait plus qu’une seule cage sur le terrain.
D’ailleurs, Jacquet a fait sortir l’un des Arméniens, Djorkaeff et l’a remplacé par le grand, là, Vieira je crois. Je ne verrai pas  Henry, ni Trezeguet, il n’y a plus de changement possible maintenant.
Barthez, surtout ne te fais pas mal, sinon on se retrouve à neuf! Tout à l’heure, un ralenti nous l’a montré de près: il se frottait les yeux comme s’il n’arrivait pas à y croire, puis il se donnait des petites tapes sur les joues comme pour se tenir éveillé. Non, tu ne rêves pas, Fabien: dans un quart d’heure tu seras champion du monde. Beaucoup plus facilement que tu ne le croyais, en plus.
Si au moins ce match pouvait rendre à Fred sa joie de vivre. Il est si renfermé, depuis quelques temps. Quand on s’est rencontré, il était apparemment plus mal en point qu’aujourd’hui, mais je ne suis plus sûre de rien. Ce qui lui est arrivé en 89, il n’en guérira sans doute jamais.
Personne ne sait ce qui s’est passé exactement ce 7 novembre au soir. Fred conduisait sa vieille Audi, il pleuvait, c’était sur une ligne droite bordée de platanes dans l’arrière-pays aixois. A l’hôpital, les examens n’ont pas montré de trace d’alcool dans le sang. Fred ne buvait presque jamais avant l’accident.
Quand les pompiers sont arrivés, alertés par un petit vieux qui rentrait chez lui, la voiture était si déformée qu’elle était méconnaissable. Il a fallu plus d’une heure pour dégager les corps, et la mère de Fred m’a dit qu’ils n’espéraient plus trouver quelqu’un de vivant dans cet amas de ferraille.
D’une certaine façon, Fred s’en est tiré, dans le sens où il n’est pas biologiquement mort ce soir-là. Disons qu’il a continué à vivre. Mais quelque chose de lui a disparu à tout jamais sur cette nationale déserte. Une foi dans la vie, la confiance dans l’avenir, la capacité à faire des projets, la certitude que rien de grave ne peut nous arriver. Même s’il évite d’en parler, je sais qu’il aurait préféré échanger son sort avec son passager avant, qui lui a été tué sur le coup.
Ce passager, c’était son père.

 

* * *

22H40
FRED

 

Avec ces commentaires télé, impossible de suivre le match les yeux fermés. J’ai essayé, à l’instant, ça ne marche pas. Même si le foot est un sport télégénique, pour moi il n’a pas le même impact qu’à la radio. D’abord les commentateurs sont en général bien plus compétents dans le poste: ils n’ont pas le temps de faire des digressions débiles et xénophobes du genre “l’Ecossais est radin” ou “l’Argentin est truqueur”. Quand tu racontes un match à la radio, tu ne te contentes pas d’égrener les noms des joueurs qui touchent le ballon, et de pousser des cris de goret à chaque occasion de but: il faut sans arrêt situer l’action sur le terrain, décrire les mouvements, évoquer les conditions météo ou l’ambiance dans les tribunes.
C’est un art difficile, et, tout petit, les radioreporters me faisaient rêver quand j’écoutais les matches dans mon lit, lumière éteinte, le poste posé sur l’oreiller près de ma tête. Mes premiers souvenirs de foot, ce n’est pas à la télé que je les dois — on n’avait pas ça à la maison, dans les années soixante-dix, et les matches retransmis étaient rares, une douzaine dans l’année au maximum — mais à la radio.
Comme j’étais encore un petit garçon, et que je n’avais jamais assisté à un vrai match, mon imaginaire s’appuyait sur des bases plutôt fantaisistes: quand le type disait que les Verts remontaient le terrain, je voyais une pelouse en pente, comme le talus d’une colline. Une autre fois, lors d’un déplacement de Saint-Etienne en Écosse, j’étais convaincu que les joueurs des Glasgow Rangers jouaient avec un chapeau de cow-boy sur la tête, ce qui devait considérablement les gêner sur les balles hautes.
Bien sûr, aujourd’hui les progrès de la technique permettent des ralentis si nets que le moindre tacle glissé prend des allures de chorégraphie, et qu’il est facile de lire les insultes sur les lèvres du joueur averti par l’arbitre. Mais je ne crois pas que les plans serrés sur un avant-centre qui se mouche en se bouchant une narine fassent beaucoup pour la compréhension du jeu, ni pour sa gloire.
Aujourd’hui encore, tu vois, je reste fidèle à la radio. Le soir, en faisant la vaisselle (une activité qui ne demande pas une grande concentration), j’écoute le championnat de France et je laisse mon esprit dériver de Geoffroy-Guichard à la Meinau en passant par la Beaujoire ou Félix-Bollaert. J’imagine ce que doivent ressentir tous ceux qui écoutent France-Brésil dans le poste, en ce moment: ça doit être délicieusement insupportable.
Zidane, il est en train de les rendre fous, les cariocas. Tout à l’heure, il a grappillé quelques secondes en se tenant le genou, allongé dans l’herbe (ce qui a provoqué une mini crise de nerfs chez Edmundo, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle l’Animal), et là il vient d’en balader trois le long de la touche. Ce soir, tout lui réussit.


À suivre...

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Réactions

  • la rédaction le 13/12/2005 à 01h08
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