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12 juillet [9/13]

Neuvième épisode. Giovanni raconte à Louise qu’il a vu Nat dans les tribunes. Voilà qui explique l’étrange comportement de l’Italien après le premier but de Zidane. Fred ne tient plus en place et tremble quand Barthez se troue devant Rivaldo sur une touche longue.

Auteur : Bruno Colombari le 6 Dec 2005

 

NEUVIÈME ÉPISODE
 
* * *

22H22
GIOVANNI


Cette fois c’est sûr, je l’ai vue. La caméra a longé les premiers rangs dans le public, les supporters se sont levés pour qu’on les reconnaisse et elle était là. Radieuse. Magnifique. Un petit haut blanc à fines bretelles et probablement rien dessous. J’avoue que ça a été trop vite pour que je m’en assure, mais il me semble bien. Combien de fois, à la fac, je la regardais de loin en essayant de me représenter son corps, ses jambes longues et minces, son ventre à peine arrondi, ses épaules un peu larges, ses seins fermes et ronds?
Elle était là, et il y avait un type à côté d’elle, les cheveux en brosse, un peu bedonnant, revêtu d’un maillot bleu qui avait du lui coûter dans les 400 francs. Je ne sais pas s’ils étaient ensemble. Je ne le crois pas, parce qu’il n’était pas si près que ça d’elle, et ils ne se regardaient pas. Disons que je n’ai pas envie de le croire.
Nat est le genre de fille dont tu ne veux pas croire qu’elle est avec quelqu’un, aussi invraisemblable que ça puisse paraître. Tu l’imagines plutôt malheureuse, incomprise, déçue par tous ceux qui lui tournent autour en espérant juste la mettre dans leur lit. Tu la rêves libre et disponible, disponible pour toi, bien entendu. Ce qu’il y a de bien, avec les fantasmes, c’est qu’ils n’ont aucun souci de la vraisemblance. Tu veux que je te dise? Les fantasmes des adultes, ce n’est rien d’autre que le prolongement de l’imaginaire des enfants.
Elle est toujours aussi belle, c’est sûr. Peut-être même plus belle qu’avant. Louise l’a vue, elle aussi. Elle s’est penchée vers moi et m’a glissé à l’oreille:
— Gagné!
Ses lèvres m’ont frôlé et j’ai senti son souffle sur ma joue.
Puis elle s’est redressée d’un bond: le 9 bleu, qu’on n’avait pas vu depuis un moment, vient de refaire des siennes. Sur un grand coup de pied de dégagement d’un défenseur, Guivarc’h a commencé par glisser, puis il s’est relevé, le ballon a rebondi bien haut en repartant en arrière, comme une balle coupée au tennis. Du coup, le grand Brésilien a complètement raté son geste, je crois qu’il voulait faire une passe de la tête au gardien. Là, le 9 bleu récupère le ballon, il s’approche, il n’y a personne entre le gardien et lui, et il tire au-dessus.
C’est pourtant haut, une cage de foot, presque aussi haut que le plafond d’un appartement. Quand on est à dix mètres, ça paraît facile de ne pas manquer la cible.
De dépit, Louise balance un grand coup de pied dans la bouteille en plastique que j’avais posée par terre. C’est malin! La bouteille part en vrille, s’écrase sur le poteau contre lequel je suis appuyé et me retombe dessus. Faut le faire, quand même! Elle était encore à moitié pleine, et me voilà trempé.
Devant mon air ébahi, Louise éclate de rire. Entre deux hoquets, elle me lance:
— Allez, ça te rafraîchit les idées! T’as plus qu’à enlever le T-shirt, maintenant!
Elle me regarde d’un air si malicieux que je me demande si elle ne l’a pas fait exprès.


* * *

22H26
LOUISE

Pauvre Giovanni, tu aurais vu sa tête! Il ne s’attendait pas à ça. Moi non plus, d’ailleurs. Mais mon coup de pied est parti tout seul, quand j’ai vu l’autre tirer à côté c’est la bouteille qui a pris.
Note que ça me vaut un joli spectacle, maintenant. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas vu l’Italien torse nu, au moins depuis l’époque où on allait à la piscine à la fac. Giovanni n’est pas du genre exhibitionniste. On ne peut pas dire qu’il soit dodu, mais il est beaucoup plus poilu que Fred.
Boghossian et Djorkaeff. Il y a deux Arméniens sur la pelouse maintenant, ça doit bien être la première fois que ça arrive en finale de la coupe du monde. L’ambiance qu’il doit y avoir à Erevan, en ce moment!
L’Arménie, c’est le pays d’origine de mon arrière grand-mère, Flora. C’est elle qui m’a élevée. Et le crois-tu? Jusqu’à sa mort, il y a deux ans, elle a toujours dit qu’elle avait passé avec moi les plus belles années de sa vie.
Il faut dire qu’elle n’a pas tiré le gros lot, Flora: elle avait dix-neuf ans au moment du génocide, dont elle a réchappé par miracle, puis elle est arrivée à Marseille en pleine première guerre, elle s’est mariée en dix-sept, son mari est mort de la grippe espagnole l’année suivante, juste le temps de lui faire des jumeaux, Christophe et Anne.
Quand Pétain demande l’Armistice aux Allemands, Flora a quarante-six ans. Son fils, Christophe, entre dans la Résistance, est arrêté en quarante-trois et fusillé. A la Libération, il ne lui reste plus que sa fille, Anne, et trois petits-enfants, dont Sophie, ma mère.
Et en soixante-huit, quand mes parents se séparent avant même que je naisse, c’est elle qui s’est proposée pour s’occuper de mon frère Hugues et de moi. Elle avait soixante-douze ans, pour une personne de sa génération c’était déjà vieux, il n’y avait pas de clubs pour les seniors, de gymnastique volontaire et tout ce business du troisième âge qui se développe aujourd’hui. Mais elle était solide, Flora, après tout ce qu’elle avait vécu, ce n’était pas un garçon de trois ans et un bébé qui allaient lui faire peur.
En soixante-treize, Hugues est allé vivre chez son père et donc j’avais ma mamie pour moi toute seule. Je peux témoigner du fait qu’elle m’a donné confiance en moi, qu’elle m’a aimé inconditionnellement, et si aujourd’hui j’ai cette intuition qui me rend proche des autres, c’est à elle que je le dois. Elle me disait de faire ce qui était juste, d’écouter ce que me disait ma conscience.
Elle est morte cent jours avant ses cent ans, paisiblement, dans sa petite maison, sans docteur, sans infirmière, sans perfusion. Elle m’avait dit adieu trois jours plus tôt, après m’avoir longuement serrée sur son cœur pour la dernière fois.
— Louisette, tu es la petite lumière qui a éclairé la fin de ma vie.
Je n’oublierai jamais ses dernières paroles.
L’Arménie. Ça me rappelle aussi Atom Egoyan. Comment faire mieux que son dernier film, d’après toi? Quand j’ai vu De beaux lendemains, l’automne dernier, j’ai mis au moins une semaine à m’en remettre. Comme Fred si les Bleus gagnent ce soir. Ce sera leurs beaux lendemains à eux...
En sortant du ciné, je me suis précipitée sur les articles qui parlaient du film: les quotidiens, les hebdos, les mensuels spécialisés, tout. Je voulais tout lire, tout comprendre, rien ne devait m’échapper. Et quand je me suis imbibée de ce film comme une éponge, je suis retournée le voir. Avec, comme toujours, un peu d’appréhension: est-ce que ça sera aussi bien que la première fois? Mieux? Ou bien la déception l’emportera-t-elle? Je l’ai revu, et j’ai adoré. Définitivement. A mon panthéon personnel, le film d’Egoyan est tout en haut, et sans doute pour longtemps. Quel choc! Pas de Brésiliens, pas de coup de tête de Zidane, pas de tir de Ronaldo. Mais une mise en scène renversante à tout point de vue, où les flash-back font glisser le temps sur une sorte de looping visuel: la caméra part du sol, monte vers le ciel, s’y attarde quelques instants et quand elle redescend, on a changé de jour.
Car De beaux lendemains, c’est surtout un scénario millimétré, avec une construction d’une complexité incroyable, un peu comme le cheminement de la pensée. Ça ne part pas d’un point pour aller à un autre, ça saute, ça se répète, ça prend la tangente, ça revient en arrière. Egoyan lui même a dénombré trente-deux jours différents dans son film, pas dans l’ordre chronologique évidemment, ce serait trop simple. Exactement comme dans nos souvenirs, le temps a éclaté, au sens de volé en éclats. La chute du car scolaire dans le lac gelé, très précisément au milieu du film, c’est comme un trou dans le récit. Tout le reste est construit en cercles concentriques, avant et après. Quand les enfants disparaissent, il n’y a plus de passé, plus d’avenir. Juste un éternel présent.
Tu me diras, derrière le film d’Egoyan, il y a le livre de Russel Banks. Il y a aussi la légende du joueur de flûte d’Hamelin, l’un répondant à l’autre, le roman se nourrissant du mythe. Là où il est très fort, le réalisateur, c’est qu’il prend deux éléments existants et qu’avec ça, il en fabrique un troisième. Tout comme lui-même est né en Égypte de parents arméniens avant de grandir au Canada.
C’est ça que ça veut dire, tu vois, on ne vient pas de nulle part, on est le produit d’un homme et d’une femme, de l’histoire et de la géographie. Né à tel endroit, à telle date, de tels parents.
Egoyan, pour moi, c’est au cinéma ce que Nancy Huston (une Canadienne, elle aussi) est à la littérature: quand je vois les films de l’un et que je lis les livres de l’autre, j’en suis à la fois reconnaissante et humiliée. Comment faire mieux que ça? Qui tu es, ma pauvre Louise, pour avoir ne serait-ce que le vague projet d’adapter au cinéma Instrument des ténèbres? Jamais tu n’arriveras à faire aussi bien, et à quoi bon faire plus mal?
Mais c’est si bon parfois de se construire des rêves, des projets fous qui ne verront pas le jour...


* * *

22H28
FRED

Bon, quand ils auront fini de faire les pitres, tous les deux, je pourrais peut-être regarder la fin du match, non?
Je commence à comprendre. Si Louise a tant insisté pour que Giovanni reste ce soir, c’était sans doute parce qu’il n’avait pas l’air bien. Mais surtout, c’était pour ne pas rester seule avec moi. Depuis qu’il est là, elle est beaucoup plus vive, toute excitée comme une adolescente.
C’est vrai que je ne suis pas facile à vivre pour elle, en ce moment. Même si j’ai mes raisons. Ça fait quatre ans qu’on est ensemble, et parfois je sens que le ressort est cassé. Trop de silences, trop de soirées sans un mot échangé.
Louise tient beaucoup à notre relation, je peux le comprendre. Quand on s’est rencontrés, à l’été 1994, très vite elle m’a dit qu’elle voulait vivre avec moi une longue histoire d’amour. Je ne savais pas trop où j’allais, à l’époque j’étais encore sous le choc de ce qui m’étais arrivé et la seul chose dont j’étais sûr c’est que la vie est extrêmement fragile. Un simple courant d’air suffit à éteindre la flamme à tout jamais.
J’ai avoué à Louise que pour la longue histoire je ne garantissais rien: vivons l’instant présent, aujourd’hui, et puis demain, et puis après-demain. Méfions-nous des grandes phrases et des bonnes intentions.
C’est cet été-là, en 1994, que le Brésil a gagné sa quatrième coupe du monde contre l’Italie, à Los Angeles. Une finale à mourir d’ennui, d’ailleurs, zéro-zéro et tirs aux buts. Celle de ce soir est déjà bien plus passionnante. Encore un corner dégagé, c’est déjà le cinquième pour le Brésil en deuxième mi-temps.
Oh, Desailly, il veut partir au but! Djorkaeff lui remet la balle, elle est un peu longue. Cafu est en avance, il coupe la trajectoire. Ouf! Méchant tacle que tu as fait là, Marcel, fais attention!
Et voilà, trop tard, Saïd Belqola met la main à la poche. Deuxième carton jaune, dehors Desailly. Il a compris, il quitte le terrain sans même se retourner, il n’attend pas que le rouge sorte. Il s’est vu trop beau, le grand Marcel, sur le coup. C’est vrai qu’il n’y avait plus qu’un seul défenseur dans la moitié de terrain brésilienne, et que s’il l’évitait, Desailly avait le champ libre jusqu’au gardien. Je ne sais pas s’il aurait marqué, en tout cas il ne pouvait pas faire plus mal que Guivarc’h. Sauf que Desailly, c’est un arrière, et là il se retrouvait dans la position d’un attaquant de pointe. Mais une fois le ballon perdu, il a eu ce geste instinctif du défenseur, et ça lui a coûté cher.
Décidément, les Bleus ne veulent pas finir à onze: Zidane au premier tour, Blanc en demi-finale, et maintenant Desailly. Nous voilà donc à dix, avec vingt-deux minutes à tenir. Autant dire que ça va défendre encore plus si c’est possible, et qu’il n’y aura plus personne pour jouer les contres.
Sauf peut-être Dugarry: lui, son rêve, c’est de marquer le dernier but des Bleus, après avoir ouvert la série contre l’Afrique du sud. Pendant ce temps, Denilson tricote: il vient d’enchaîner quatre passements de jambe sans toucher le ballon, mais Thuram, imperturbable, n’a pas bronché, et Boghossian est venu le contrer. Quel sang-froid! Ils sont imprenables en défense, ce soir. Et s’ils tiennent encore vingt-cinq minutes, ils entrent dans l’histoire. Dans quarante ans, on parlera encore de ce 12 juillet.
Dans quarante ans, ça nous mène où? En 2038, c’est ça. J’aurai soixante-dix ans, misère. Je serai alors plus vieux que mon père, j’atteindrai cette dernière partie de la vie qu’il n’a pas connue.
Qu’est-ce que je pourrais bien faire, à soixante-dix ans? Je crois que je serai seul. Pas d’enfants pour venir me voir le dimanche, pas de petits-enfants à garder pendant les vacances. Rien. Le silence, la méditation. Le bilan final.
Ma vieillesse, j’aimerais la passer dans l’Arizona, en pleine réserve navajo. Auprès d’eux, s’ils veulent bien de moi. Loin en tout cas de cette société futile et agressive, où chacun doit se mesurer en permanence avec les autres et avec soi-même.
Soixante-dix ans. Encore faut-il que j’arrive jusque là. Rien n’est moins sûr, tu peux me croire. Encore faut-il échapper à la maladie, aux accidents (ça, pour l’instant, je sais faire), aux attentats qui risquent de se multiplier si le monde continue allègrement de partir dans tous les sens. Encore faut-il en avoir envie, tout simplement. Rien ne nous empêche, à tout moment, de tirer le rideau, n’est-ce pas?

À suivre...

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Réactions

  • la rédaction le 06/12/2005 à 00h21
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