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12 juillet [6/13]

Sixième épisode. Guivarc’h vient de manquer une occasion énorme dans cette finale presque trop facile aux yeux de Fred. Louise trouve les shorts trop longs et se souvient des lettres de démotivation de Giovanni, lequel se sent solidaire d’Emmanuel Petit...

Auteur : Bruno Colombari le 15 Nov 2005

 

SIXIÈME ÉPISODE
 
* * *

21H46
GIOVANNI


Et de deux! Sur le coup, je n’ai rien vu: la caméra ne montrait pas le fond des filets et c’est allé si vite que je n’ai pas eu le temps de voir où le ballon est passé. Encore Zidane, encore de la tête. Décidément, c’est une manie! Moi qui croyait que le foot se jouait au pied... Il va falloir appeler ça le headball, si ça continue.
Cette fois, il court vers la tribune, il embrasse son maillot. Trois fois. Du coup, on voit le T-Shirt qu’il a mis en dessous, et on distingue parfaitement la pub énorme imprimée en noir. Soyons pas mauvaise langue, je ne crois pas qu’il l’ai fait exprès.
S’il pense au marketing un soir comme celui-là, alors qu’il vient de marquer son deuxième but, c’est que le foot est encore plus malade que je ne le pensais.
En fait, les gros malins, c’est ceux qui fournissent les T-shirts: ils ont bien remarqué que la dernière mode chez les footeux, c’est de relever le maillot sur la tête après avoir marqué un but. Et comme certains joueurs mettent un tricot par dessous — Fred m’a expliqué que pour absorber la transpiration, le coton c’est bien mieux que les matières synthétiques — pourquoi ne pas y mettre de la pub? C’est interdit sur les maillots des équipes nationales, pas sur les sous-vêtements.
Et là, qu’est-ce qu’il fait? Il court vers le bord du terrain. Il veut sortir? Ah non, c’est pour aller embrasser son copain de Bordeaux, comment il s’appelle déjà? Dugarry, c’est ça. Peut-être vais-je revoir les tribunes, peut-être ils vont me remontrer Nat... Tu parles, rien du tout, des pubs sur l’écran avec l’affichage du score, ça oui. Allez, à la régie, faites un effort! Je ne demande pourtant pas grand chose, deux secondes à peine.
Deux secondes, c’est bien plus qu’il n’en faut pour faire une photo. Une infime fraction de temps, une minuscule portion de la journée de la vie d’un homme. Et parfois, avec un peu de chance, on arrive à capturer l’essence de l’instant.
C’est ce que j’ai voulu faire, il y a trois ans, en retournant sur les lieux de mon enfance. Ça m’a pris un mois. J’ai commencé par les colos, au pays basque, dans le Jura et en Normandie. Pas beaucoup de changements, pas de très bons souvenirs. Je ne voulais jamais y aller, et quand j’y étais, je comptais les jours qui me séparaient du retour. Je crois que c’est depuis cette époque que je n’aime pas les grandes vacances.
Puis j’ai pris les maisons dans lesquelles j’ai vécu. Difficile de se rendre compte, vu de l’extérieur. Une façade de HLM, une ruelle dans un centre-ville, une rangée de fenêtres au deuxième étage d’un petit immeuble...
Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’impression que tout avait rétréci. Les avenues qui me paraissaient immenses quand je les traversais en donnant la main à mon père se franchissent en six enjambées. Les maisons à quatre étages qui semblaient monter jusqu’aux nuages ont repris des proportions modestes. Le portail de mon école maternelle, si gigantesque qu’autrefois il bouchait l’horizon, est à peine plus grand que celui d’une maison de campagne.
Comment peux-tu comprendre ce qui se passe dans la tête d’un enfant de quatre ans si tu ne prends pas soin, de temps en temps, de te mettre à sa hauteur, de regarder le monde avec les yeux à un mètre du sol?
En retrouvant ces photos, l’autre jour, j’ai cru y deviner des silhouettes familières, presque transparentes. Un petit garçon joufflu, avec une casquette de marin, un polo à col roulé et un short à carreaux. A côté de lui, un homme aux cheveux aux épaules, des lunettes noires qui masquent ses yeux, un pantalon dont les jambes s’élargissent à la base, les fameuses pattes d’eph’.
Ils se tiennent par la main. Ils semblent parfaitement heureux, l’un de se promener avec son papa, l’autre de faire découvrir le monde à son petit garçon. Rien d’autre n’a d’importance que l’instant qu’ils goûtent tous les deux.
J’ai fermé les yeux, les ai rouvert. Les silhouettes avaient disparu.
L’arbitre ne siffle toujours pas la mi-temps. Qu’est-ce qu’il attend? Attention, le petit chauve du Brésil va tirer un coup-franc. Fred m’a dit qu’il était dangereux, celui-là, avec sa frappe de mule et sa trajectoire banane. Je n’ai jamais vu une mule frapper dans un ballon. Quant à la trajectoire banane, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire?


* * *

21H50
LOUISE

Tout à l’heure, quand la mi-temps a été sifflée, j’ai demandé à Fred si la France avait déjà joué contre le Brésil en coupe du monde.
— Deux fois, il m’a répondu instantanément, sollicitant sans effort sa prodigieuse mémoire. La première, c’était en 1958, en Suède. Le Brésil avait dans ses rangs un débutant qui allait devenir le meilleur joueur du monde. Pelé. La France, elle, alignait Just Fontaine, qui allait faire exploser les records en marquant treize fois en six matches. Et dans l’équipe du Brésil, il y avait leur sélectionneur d’aujourd’hui, Mario Zagallo. Le match avait bien démarré, un à un après dix minutes. Puis le capitaine Français, Robert Penverne, s’est cassé la jambe. A l’époque, tu sais, il n’y avait pas de remplaçants. A dix contre onze, c’était fichu. Pelé a marqué trois buts en deuxième mi-temps et le Brésil a gagné, cinq à deux. La deuxième fois, c’était en 1986, au Mexique.
Celle-là, pas besoin de Fred, je m’en souviens, j’étais en train de passer mon bac et je révisais avec un groupe de copains qui regardaient le Mundial. Je me rappelle d’un tir au but de Platini, complètement raté, et des arrêts extraordinaires de Bats, le gardien français.
1986. Une année bien remplie pour moi. J’ai voté la première fois de ma vie au mois de mars, quand la droite est revenue au pouvoir à la faveur de la cohabitation. J’avais choisi les Verts, qui me semblaient pouvoir apporter des idées neuves à un monde politique bien vieux. Ma carrière d’électrice commençait mal.
C’est aussi l’année de la mort de Balavoine, en janvier, et de Coluche, en juin. C’est l’année de mes premières vraies expériences amoureuses, avec Tom, puis avec Alicia. C’est l’année de Tchernobyl, dont on n’a pas fini de payer la facture. Et c’est l’année des grandes manifs étudiantes et lycéennes de l’automne.
Là aussi, comme pour beaucoup de choses à l’époque, je débutais. Après plusieurs défilés, bruyants et colorés, à Marseille et à Aix, il avait été décidé de participer à la grande manif de Paris le 4 décembre. La veille, avec Tom, Claire, Alicia, Steph et Johan, on s’est retrouvés à la gare Saint-Charles pour embarquer dans un train de nuit. Giovanni était là, mais à un moment on s’est perdus de vue, les quais étaient pris d’assaut dans un désordre indescriptible.
La SNCF demandait une avance de 50 francs par personne, le reste payable au retour. A ma connaissance, le solde n’a jamais été payé. J’ai voyagé toute la nuit dans un train bondé. Il y avait du monde partout: sur les sièges, assis par terre, dans les couloirs. L’herbe circulait, la fatigue et la fumée donnaient au wagon une apparence irréelle.
J’avais acheté à la gare un roman de Djian, Zone érogène (un titre prometteur) que j’ai lu pendant le trajet. Je ne me souviens même plus avoir dormi. Alicia était tout près de moi, j’étais appuyée contre son épaule mais je ne voyais pas son visage.
Au matin, les jambes ankylosées, on a marché jusqu’à à la Bastille toute proche, déjà noire de monde. La manif devait partir à midi, contourner le quartier Latin pour finir sur l’esplanade des Invalides. Nom funeste.
Avec Alicia et Claire, on a décidé de remonter le cortège, histoire d’en voir le plus possible, et peut-être de retrouver Giovanni. Je me souviens surtout d’une marche funèbre qui accompagnait un faux cercueil et qui disait “laissez passer l’enterrement de Devaquet”, du nom du secrétaire d’Etat aux universités. Là aussi, c’était un signe de ce qui allait arriver.
En passant devant la prison de la Santé, les taulards nous saluaient à travers les barreaux, et Claire leur envoyait des baisers.
— Tu fais ça parce qu’ils sont loin, et qu’il ne risquent pas de te courir après!, s’est moquée Alicia.
Quand on est arrivées sur l’esplanade des Invalides, il commençait à faire nuit. Comme on devait reprendre le train pour Marseille, on s’est approchées de la Seine, et là j’ai compris que quelque chose allait se passer. Une double rangée de CRS barrait le passage des ponts — sur l’autre rive, l’Elysée était tout proche — et pour la première fois de ma vie, je me suis sentie directement menacée.
Finie l’insouciance, finis les rires et l’excitation. Les fusils équipés de grenades lacrymogènes étaient braqués vers nous, à hauteur de tête.
C’est deux heures plus tard, arrivées à la gare de Lyon après un long détour dans le métro, qu’on a appris qu’il y avait eu des blessés. Un étudiant avait perdu un œil et un autre la main sur des tirs tendus de lacrymo. Bien sûr, j’ai pensé à tous ceux que je connaissais, et surtout à Giovanni, avec qui j’ai passé mes dernières années de lycée. J’en ai parlé autour de moi, quelqu’un m’a dit qu’il l’avait aperçu quelques minutes plus tôt devant la gare, ça m’a rassurée.
Dans le train du retour, la colère et la tristesse se combinaient avec le manque de sommeil pour former un cocktail explosif. On parlait de Mai 68, pour beaucoup l’année de notre naissance, et certains se disaient prêts à tout foutre en l’air.
Et pourtant, le pire restait à venir: la mort de Malik Oussekine, dans la nuit du vendredi au samedi, frappé à terre par des policiers voltigeurs. J’ai appris ça le samedi matin, en écoutant la radio chez mon père, et j’ai vomi tout ce que je venais d’avaler.
C’était ça, 1986: une année d’éveil et de découverte. Une année de combat.


* * *

21H54
FRED

D’habitude, quand il y a un but, j’ai tendance à sauter. Mais ce soir, rien n’est pareil. Quand Zizou a envoyé valdinguer Dunga pour rabattre la balle entre les jambes de Roberto Carlos au premier poteau, je suis resté figé, comme sur le premier but. Trop fort, trop dur. Quand l’émotion te submerge, parfois tu as du mal à comprendre ce qui se passe, et le corps ne réagit plus.
Alors, c’est bien ça, c’est pour ce soir. A 1-0, déjà c’était bien parti, à 2-0 c’est plié, les Brésiliens ne reviendront plus, pas contre cette équipe-là. J’ai encore du mal à y croire. On dirait une histoire qu’on raconte aux enfants. Et ça va en devenir une, d’histoire, qu’on se transmettra de génération en génération pour le siècle à venir: il était une fois le 12 juillet...
Bizarre cette manie que j’ai, dans les moments importants, de penser à ceux qui ne sont pas là, d’imaginer leur réaction. Delphine, ce n’est pas compliqué: elle déteste le foot, qu’elle trouve macho et stupide, “un sport de mecs qui ont encore quelque chose à prouver”. Elle est comme ça, ma mère, l’idée même de compétition la met en rogne. Au moins, on ne peut pas lui reprocher d’avoir trahi les idéaux de la contre-culture dans laquelle elle a grandi.
Pierre, lui, aimait bien le ballon. Ses origines et ses convictions le poussaient naturellement à apprécier surtout le jeu collectif, et il était enthousiasmé par le “football total” pratiqué par l’Ajax d’Amsterdam et les Pays-Bas au début des années 70.
— Quand ton équipe a le ballon, tout le monde attaque. Quand l’adversaire l’a récupéré, tout le monde défend, il m’expliquait. Il était allé voir un OM-Ajax à l’automne 1971, mais j’étais trop petit pour l’accompagner au stade, et je n’ai pas gardé de souvenirs précis de cette époque-là.
Il aimait aussi beaucoup Saint-Etienne, un club issu d’une ville ouvrière et qui privilégiait la formation au vedettariat. Mais il savait reconnaître le beau jeu, et me parlait souvent du Brésil de 1970 comme de la plus belle équipe de tous les temps.
Je me suis souvent demandé par quel hasard j’ai pu venir au monde, issu d’un couple pareil: au milieu des années 60, quand mes parents se rencontrent, ils n’ont presque rien en commun.
Lui a plus de quarante-cinq ans, c’est un militant communiste fidèle sinon fervent, il a connu mai 36 et le Front populaire, 1942 et la résistance, et il sort de plusieurs années de militantisme clandestin comme porteur de valises pendant la guerre d’Algérie. Son métier de traducteur lui laisse du temps qu’il consacre au Parti et au syndicat.
Elle, 25 ans, a quitté ses parents depuis six ans sur un coup de tête et ne veut surtout s’attacher à personne. Elle voit dans le modèle familial l’exemple même de la structure oppressive, qui verrouille les cœurs, attise les haines et étouffe la créativité. Elle dévore la littérature féministe. Aucune chance qu’elle se mette en couple et qu’elle fasse un enfant.
Pourtant, elle m’a mis au monde fin 1968, et même si je n’ai jamais su si Pierre et elle m’avaient voulu, pour moi ça ne fait guère de doute: une féministe savait comment s’y prendre pour ne pas avoir d’enfant, quant à mon père, s’il n’en avait pas eu à son âge, c’est qu’il avait lui aussi pris ses précautions.
Toujours est-il que j’ai connu moi aussi Mai 68, d’une certaine façon: je n’étais qu’un fœtus de trois mois, mais j’étais là. J’étais dans les manifs, j’étais sur les piquets de grève devant l’usine de montres où travaillait Delphine, j’étais dans ce tourbillon insensé qui faisait voler le vieux monde en éclats, comme pour m’en préparer un tout neuf.
Pour Pierre, cette année 1968 allait marquer un tournant décisif: il s’est jeté à corps perdu dans la bataille de Mai, il a eu un enfant et il a quitté le Parti.
Un soir, alors qu’on discutait tous les deux de nos engagements respectifs, il m’a fait cette confidence:
— J’avais eu beaucoup de mal à digérer la Hongrie en 56. Là, avec le Printemps de Prague et la reprise en mains qui a suivi, on a vu la vraie nature du régime: une dictature militaire qui se foutait pas mal du peuple. Le socialisme, tu comprends, c’est de la base qu’il doit venir, pas de la tête. Nous autres, au Parti, ils nous a fallu du temps pour comprendre. Un peu trop de temps.
Il avait raison, ô combien! J’étais encore naïf en 1981, quand la Gauche est arrivée au pouvoir. Bien sûr, les socialistes avaient gagnés les élections, mais c’est Mitterrand qui menait la barque. A l’époque, on ne connaissait pas trop son passé vichyste, ses amitiés louches avec Bousquet. Mais tout le monde savait comment il avait fait du PS une machine à l’amener au pouvoir.
Pour ça, il faut reconnaître qu’il avait du talent, le vieux filou. Tout ce qui a suivi — les concessions faites au monde de l’entreprise, la réduction du temps de travail torpillée, le fatalisme face au chômage, les coups de main donnés à Tapie, la cellule secrète de l’Elysée, les écoutes téléphoniques — n’a jamais été fait sur des choix politiques, mais bien sur de la stratégie pure. Je suis au pouvoir, et je ne le quitterai pas, quoi qu’il arrive.
Delphine et Pierre. Ce couple improbable a quand même duré une quinzaine d’années. Je peux témoigner qu’ils manifestaient avant tout un grand respect l’un pour l’autre. J’ai eu la chance d’avoir un père très en avance sur son époque malgré son âge, et une mère qui défendait chèrement sa liberté de vivre et de penser.
C’est d’ailleurs pour ça qu’ils se sont séparés, en 1980. Elle avait des envies, des projets qui ne cadraient plus avec ceux de mon père, et ils se sont dit qu’il valait mieux en rester là. Leur histoire était finie, c’est tout.


À suivre...

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Réactions

  • la rédaction le 15/11/2005 à 00h56
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