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12 juillet [4/13]

Quatrième épisode. Sur un corner de Petit, Karembeu a manqué son smash, ce qui a profité à Zidane. Giovanni arrête de gribouiller la liste des courses, Louise cherche à apercevoir Trezeguet et Fred se demande dans quel état il va finir la soirée. Il ne manque plus que Nat...

Auteur : Bruno Colombari le 1 Nov 2005

 

QUATRIÈME ÉPISODE
* * *

21H20
GIOVANNI

 

J’ai dû mal voir, je dois confondre. C’est pas elle! Là, sur l’image, juste après le quatrième ralenti du but de Zidane. Tout le pays doit être en train de péter les plombs à l’heure qu’il est, et moi je l’ai vue. Dans le public. Elle avait des marques bleues et rouges à la peinture sur les joues et sur le front. Un T-Shirt blanc. Ses cheveux noirs, un peu plus courts qu’à l’époque. Et son sourire ravageur, celui qui me faisait perdre mes moyens à chaque fois, quand on était à la fac, à Aix.
Comment l’oublier? Dix ans après, c’est la même, encore plus belle. Nat, c’est une de ces filles qui te font lâcher prise au plus profond de toi, tu ne peux rien y faire. C’est autre chose que de la beauté, c’est un magnétisme, une aura, un scintillement irrésistible.
La première fois que je l’ai vue, j’ai remercié le ciel de l’avoir mise sur mon chemin, et la seconde d’après je l’ai maudit de ne pas m’avoir fait autrement. Tu comprends, c’est peine perdue avec des filles pareilles: dès l’instant où tu les vois, tu sais qu’elles te seront inaccessibles. Tu n’as pas assez d’audace pour elles, pas assez de culot, pas assez de tchatche, pas assez de tout, voilà. C’est pas pour toi, c’est le cran au-dessus. Tu regardes et tu apprécies, point. Et quand tu as la chance, après, qu’une femme comme Erika veuille bien s’intéresser à toi, tu fais ton possible pour ne pas lui donner de regrets, pauvre incapable.
C’était elle, j’en suis sûr maintenant. Rien que des lignes sur un tube cathodique, des ronds vert, rouge et bleu qui se combinent pour former une image. Mais cette image, elle m’a traversé le cœur aussi sûrement qu’une flèche.
En la revoyant, me reviennent les derniers vers des Passantes, de Brassens, sans doute la plus belle chanson française de tous les temps:

Alors, aux soirs de lassitude
tout en peuplant sa solitude
des fantômes du souvenir
on pleure les lèvres absentes
de toutes ces belles passantes
que l’on n’a pas su retenir


Tout ce que j’ai pu garder de Nat, c’est une photo, prise à la volée avec mon Leica d’occasion. Elle ne m’a pas vu, ce jour-là (je crois qu’elle ne m’a jamais vraiment remarqué, d’ailleurs), elle regardait quelque chose dans une autre direction, je ne saurais pas dire quoi au juste.
J’avais envie de faire des portraits dans la rue, pas des poses, juste des passants — des passantes — en essayant de retenir quelque chose de l’expression de leur visage, leur joie, leur inquiétude, leur tristesse, leur nervosité, leur impatience. La plupart des gens essaient de se modeler un visage impénétrable quand ils marchent dans la rue. Pourtant, si tu sais les observer, tu peux assez facilement imaginer ce qu’ils ressentent.
C’était en automne, il pleuvait, ses cheveux longs étaient collés sur son front et dans son cou — j’adore les filles aux cheveux mouillés, à bas le maquillage et les brushings — et moi j’ai capturé cet instant, je l’ai fixé sur un négatif, je l’ai agrandi sur du papier argentique mais c’était peine perdue, l’instant est passé, il s’est envolé à jamais.
Depuis j’ai fait des dizaines de milliers de photos, saisi l’image de milliers de visages, d’objets, de paysages. Mais le temps finit toujours par avoir le dernier mot: il altère les couleurs, jaunit le papier et grignote les souvenirs.
Dans l’émotion générale, j’ai attrapé Fred par l’épaule pour lui dire ce que je venais de voir. Je lui avais parlé de Nat, plusieurs fois, je lui avais montré la photo et il avait reconnu qu’elle était craquante. Mais j’ai compris, à l’expression de son visage, qu’il était ailleurs. Nat, Uma Thurman ou Zara Whites, qu’importe! En état de choc, le Fred, inaccessible.
Je lui ai fait un grand sourire, et j’ai lâché:
— c’est super, on va la gagner cette finale!
Histoire de ne pas l’avoir dérangé pour rien. Il m’a regardé avec des yeux ronds, comme si Rahan, le fils des âges farouches, venait de lui demander si à son avis Aimé Jacquet allait changer de tactique à la mi-temps. Puis il est retourné au match, ou plus exactement dans ce monde fantasmatique que les passionnés de foot se construisent dans leur tête.
Dans les tribunes, les flashes crépitent. Ça, ça me dépasse. Les types, ils ont payé leur place cinq cents francs, et au lieu de goûter l’instant, de savourer l’ambiance, d’immerger leurs sens dans l’événement en marche, ils font quoi? Des photos. D’autres filment avec leur petit caméscope. A la fin de la soirée, ils n’auront rien vu de ce qui s’est passé. Ils auront stocké du souvenir en boîte, ils ramèneront à la maison un échantillon d’instant sous la forme de quelques photos ratées (à quoi il te sert, le flash, à quarante mètres, abruti!) et de bouts de films tremblotants et mal cadrés. Ça leur servira de preuve, histoire de faire baver les voisins et la belle-famille. Ils n’ont rien vu, mais ils y étaient, même le billet d’entrée encadré dans le hall te le certifie.
Quant à moi, j’ai fait un petit signe à Louise (le pouce levé, “tout est OK”) et j’ai attendu que la caméra s’attarde encore une fois dans les tribunes. Au prochain but, peut-être?

 

* * *

21H35
LOUISE

 

En quelques secondes, j’ai vu trois choses extraordinaires: le but de la tête de Zidane (j’en ai mal pour lui), Fred pétrifié sur sa chaise, et Giovanni qui bondit comme un ressort et vient frapper Fred à l’épaule. Ils devraient la jouer plus souvent, la finale de la coupe du monde! Ça rend les gens différents, imprévisibles.
La tension est encore montée d’un cran, mais elle est plus supportable que tout à l’heure. Avant, c’était l’événement qui écrasait tout, personne ne voulait bouger une oreille de peur de faire le geste de trop. Maintenant, ça ressemble à une remise des prix, quand tu es sûr d’être le premier de la classe et que tout à l’heure tu devras traverser la cour devant toutes tes copines pour aller chercher ta récompense. C’est à la fois terrible et délicieux. Tu préférerais être ailleurs et plus tard, projeté dans le temps et dans l’espace. Mais tu aimerais aussi que cet instant dure l’éternité.
Là, en ce moment, sur la pelouse, combien de Bleus doivent déjà se voir monter vers la tribune présidentielle? Combien doivent imaginer à quoi ils ressembleront quand ils prendront cette coupe dans leurs mains et qu’ils la brandiront vers le ciel? Bien sûr, il doit bien y avoir une petite voix qui leur dit de se calmer, de ne pas vendre la peau de l’ours, ce genre de conneries. Mais ils y pensent, évidemment qu’ils y pensent. Ça fait des mois qu’ils n’ont que ça en tête, et ils y sont presque, encore une heure à tenir et c’est gagné. La confiance qui les poussait en avant est décuplée maintenant, et les Brésiliens vont devoir leur marcher dessus pour espérer s’en sortir. On les sent énervés, les Jaunes, énervés et inquiets, ils n’y sont pas ce soir. Il n’y a plus de joie en eux, que de l’angoisse. Leur regard est celui d’un enfant qui ne retrouve plus sa mère.
Les enfants, ils ne ressentent pas l’écoulement du temps comme nous: en maternelle, ils ont encore du mal à distinguer hier et demain, et si tu leur parles de la semaine prochaine, autant leur raconter un roman de science-fiction. Il leur faut grandir pour assimiler ça.
Je ne suis même pas sûre que nous autres les adultes, on en soit si conscients. Disons qu’en grandissant, on réalise que les moments où le temps s’arrête, se dilate, et comme le disait si bien Lamartine, suspend son vol, ces moments-là sont rares et qu’il ne faut pas les laisser filer par inadvertance.
Tout à l’heure, c’est quelque chose comme ça qui s’est produit: une balle qui s’envole, un corps qui s’élève pour couper la trajectoire, un stade qui chavire, un homme qui se fige, un autre qui bondit, une main sur une épaule et un pouce levé vers moi. Rien d’exceptionnel, pris séparément: c’est l’enchaînement de ces événements minuscules qui forme un instant précieux, une flambée du présent.
Je ne sais pas ce que nous réserve la suite de la soirée. Mais elle est déjà inoubliable. Pour moi. Pour Fred. Pour Giovanni. Pour des millions de gens.

 

* * *

21H40
FRED

 

Ce qu’il m’a fait peur, Barthez, tout à l’heure! Il était bien dosé, ce ballon de Dunga dans l’axe. Ronaldo sait qu’il est court, mais au point où il en est, dans son état bizarre, il y va, un peu à l’arraché. Barthez sort, les mains ouvertes, et ils se percutent tous les deux à pleine vitesse. Le Français fait un vol plané, le Brésilien reste couché dans l’herbe.
Choc.
Impact.
Corps allongés.
Secours.
A chaque fois que je vois ça, j’ai un goût amer dans la bouche. Plus de peur que de mal. Mais comment ne pas revoir la collision de Schumacher et de Battiston, en 82 à Séville? Mais si, souviens-toi: le Messin a un peu d’avance sur le gardien allemand, il a le temps de  toucher le ballon avant que Schumacher ne le percute en se présentant sur le flanc, du coude d’abord, de la hanche ensuite. Une agression pure et simple. Rien à voir avec la sortie de Barthez, bien dans l’axe, les bras levés. Là, c’est le Brésilien qui fait faute. Enfin, ça c’est terminé sans casse, c’est l’essentiel.
En plus, ce soir c’est solide derrière: Lebœuf ne laisse rien passer, il a intercepté tout à l’heure un ballon qui pouvait décaler Ronaldo à vingt mètres. Pour ce qu’il fait ce soir, on lui pardonne son attitude désagréable après la demi-finale, où il a remplacé Blanc expulsé. Ce soir, on peut tout pardonner.
Et Zizou! Qu’est ce qu’il nous fait, celui-là! Un match de folie, vraiment. Il ne perd pas une balle. Après son but, il s’est amusé à faire un petit grigri le long de la ligne de touche, un passement de jambes et une roulette invraisemblable qui a embarqué Cesar Sampaio et fait chavirer de bonheur le stade de France.
Le foot, ce n’est pas que des grands coups de pied, contrairement à ce que pensent certains: c’est aussi des gestes techniques inattendus, c’est de l’improvisation, de l’esquive, une chorégraphie avec ou sans le ballon.
Plus que cinq minutes avant la mi-temps. Ne pas s’en prendre un maintenant, surtout pas, ce serait la catastrophe. D’autant qu’il y a la place pour un deuxième. Je suis sûr que si on marque encore, le match est plié.
Et Giovanni qui regarde l’écran comme s’il voulait passer au travers! Qu’est-ce qui lui prend? Je ne sais pas ce qui se passe, tout à l’heure il me tape dessus en m’annonçant qu’on allait gagner.
Avec lui, de toute façon, il faut s’attendre à tout.
Tu veux un exemple? Chaque année, le 22 novembre, il prend ses parents en photo. Tous les deux. Puis chacun d’eux. Devant un fond blanc, totalement neutre. Ça ressemble un peu aux photos anthropométriques des prisonniers, sauf que là, ils ne sont pris que de face. Il a commencé la série bien avant d’être photographe, il y a une quinzaine d’années. Une  manière de mesurer le temps qui passe, de dessiner le vieillissement sur le visage même de ceux qui l’ont mis au monde.
Quand tu regardes ces clichés, tu te surprends à essayer d’imaginer ce qui leur est arrivé pendant l’année. Leurs joies, leurs déceptions, leurs espoirs et leurs craintes. D’une année à l’autre, les différences sont parfois imperceptibles. Puis, brusquement, tu vois des cheveux grisonner, des rides se creuser, un regard se perdre dans le vague. Quand il m’a montré ça la première fois, je me suis dit: “voilà une chose que je ne pourrai plus faire”.
Et j’ai eu les larmes aux yeux.


À suivre...

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>> Le site personnel de l'auteur.

Réactions

  • la rédaction le 02/11/2005 à 01h48
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