Petit, les détours d'une trajectoire
Emmanuel Petit achève un destin de footballeur intimement lié à celui de l'équipe de France des années 90, sur le chemin cahoteux vers le sacre de Saint-Denis — et au-delà...
Auteur : Pierre Martini
le 24 Jan 2005
Emmanuel Petit n'était pas mentionné dans notre article Ces chers disparus qui évoquait la retraite internationale douce-amère des "champions du monde" Thuram, Zidane, Desailly et Lizarazu, alors qu'il fait indubitablement partie des icônes de 1998. La faute à une sortie anticipée, en septembre 2003, à la suite de bisbilles avec le sélectionneur Jacques Santini. Il n'y a cependant rien d'étonnant à ce que le grand blond fasse figure de "misfit" dans le tableau, comme il l'a fait durant toute sa carrière. Bleu parmi les Bleus La première partie du parcours de Petit en sélection, pourtant précoce, n'a pas été très heureuse. Sa première sélection, en août 1990 (France-Pologne 0-0, au poste de stoppeur), survient au terme de sa première saison professionnelle pleine à Monaco, presque trop vite selon lui-même, à la veille de ses vingt ans. Il ne retrouvera l'équipe de France qu'une vingtaine de mois plus tard: il ne participe pas à la qualification des Bleus de Platini à l'Euro 1992, mais part en Suède avec le groupe. Quelques semaines après la finale de Coupe des coupes perdue par Monaco face à Brême, il subit l'échec du championnat d'Europe. Il fait aussi partie de ceux qui, un soir de novembre 1993, coururent vainement derrière Emil Kostadinov, sur ce maudit flanc gauche dont il était alors le latéral. Il connaît ensuite une éclipse, comme d'autres (Laurent Blanc), mais plus durable: il ne connaît qu'une sélection entre l'été 1994 et la fin 1997, et n'est pas de l'Euro 96. On ne peut même pas dire qu'il est alors barré par les "trois monstres" d'Aimé Jacquet (Guérin, Karembeu Deschamps), puisque sa reconversion en milieu défensif n'est consacrée que par Arsène Wenger, lorsqu'il rejoint Arsenal après avoir été champion de France 1997. Au sein de l'ASM, Wenger, Banide puis Tigana l'ont incessamment déplacé du côté gauche à l'axe du milieu ou de la défense, au gré des besoins. "J'avais trois ans d'avance sur ma génération. À l'arrivée, j'ai perdu cinq années" déclare aujourd'hui celui qui avoue s'être complètement remis en cause lors de sa dernière saison monégasque. Il réalise une nouvelle excellente saison 1997/1998 à Londres (doublé Cup-championnat), lui valant une sélection dans les 22, encore inespérée quelques mois plus tôt, mais qui semble ne lui ménager qu'une place de remplaçant de luxe. Le Mondial parachève pourtant sa rédemption. Il est titulaire lors du premier match contre l'Afrique du sud, puis c'est Boghossian qui prend le relais face à l'Arabie Saoudite. Son but victorieux lors de France-Danemark (2-1) constitue un tournant: il sera désormais systématiquement aligné au coup d'envoi, à la gauche de Deschamps, sans être plus remplacé en cours de rencontre après le Paraguay en huitièmes. Sa montée en puissance est remarquable, à l'image de toute l'équipe. Il apparaît même, aux yeux de beaucoup, comme le meilleur Français du quart de finale contre l'Italie. Et en marquant le millième but de l'équipe de France pour conclure la victoire du 12 juillet, il entre dans l'histoire, crinière au vent. Un effacement progressif Devenu à ce titre un des emblèmes du triomphe, il accède à une certaine starification (honneurs, publicité et plateaux télé). La suite sera pourtant moins limpide. Diminué par les séquelles de blessures, son Euro 2000 n'est pas totalement accompli, il en rate même la finale, subissant l'avènement de Vieira. Ce sera son dernier titre. Son transfert à Barcelone la saison suivante est un demi-échec. Le retour en Angleterre, à Chelsea, est lui aussi contrarié par des blessures qui l'empêchent de disputer plus de trente matches de Premier League en 2001/2002. Quoique n'ayant pas démérité sur le plan personnel, il ne peut enrayer la déroute coréenne en 2002. De nouvelles blessures privent Chelsea de ses services (vingt-quatre matches de championnat) et lui font rater la Coupe des confédérations 2003. Le divorce avec les Bleus est consommé, même s'il faudra attendre l'automne pour l'officialisation. Symboliquement, sa 63e et dernière sélection sera intervenue lors de France-République tchèque (0-2), le 12 février 2003 — une des deux seules défaites de l'ère Santini. Ayant repris l'entraînement, hébergé par Arsenal, Petit n'est pas sorti vainqueur de son ultime lutte contre sa blessure récurrente au genou, abandonnant l'espoir d'une dernière mission et précipitant l'annonce de sa retraite sportive. La conscience (agitée) de la sélection Le Dieppois aura aussi ponctué sa carrière de déclarations à l'emporte-pièce, avec plus ou moins de bonheur. On l'entend encore s'alarmer de calendriers qui poussent au dopage ou exprimer son amertume quant aux années Tapie. On le revoit, dans "Les Yeux dans les Bleus 3" tenter désespérément d'entrer en communication avec Roger Lemerre, qu'il ne désavouera jamais. On se souvient aussi de cette interview accordée à L'Équipe le 8 septembre 2003, dans laquelle il s'explique sur son renoncement aux Bleus et tient un discours qui apparaît aujourd'hui prémonitoire, à propos de l'Euro 2004: "Ma décision s'est concentrée sur des décisions qui n'appartiennent pas au terrain. Mais qui finissent malheureusement par rejaillir tôt ou tard sur le jeu (…) Lorsqu'on est amené à vivre plus d'un mois et demi ensemble, il y a une règle primordiale: la bonne vie en communauté. En ce qui concerne les joueurs, je ne me fais aucun souci. Pour le reste…" Petit est toutefois souvent apparu plus illuminé qu'éclairé, avec des propos plutôt ésotériques, témoignant d'une rébellion plus juvénile que raisonnée, ou d'un humanisme un peu désordonné. Son claquage de porte et ses critiques virulentes à l'encontre de Jacques Santini ont brouillé son image, alors que les "champions du monde" avaient déjà perdu de leur aura et que sa situation personnelle ne justifiait pas le statut privilégié qu'il semblait réclamer. Bien qu'essentiellement dues à des séries de blessures qui l'avaient jusque-là épargné, les demi-teintes de sa fin de carrière renforcent le sentiment que de nombreux membres de la génération 98 n'auront pas vraiment su se retirer à temps. Avec le temps, ces réserves s'effaceront pour rétablir une photographie plus juste du joueur et de sa carrière. Marqué comme Marcel Desailly par la mort prématurée d'un frère aîné doué pour le football, Emmanuel Petit se sera forgé un extraordinaire destin de footballeur. Outre son inoubliable but de France-Brésil ("Celui-là, il restera à jamais gravé dans ma mémoire. C'est mon truc personnel. Mon petit coin de paradis"), on retiendra qu'il aura coulé une élégance rare dans le moule du milieu défensif contemporain, avec une activité et une patte gauche qui ont contribué à mettre en valeur des talents plus scintillants que le sien. >> Manu Petit dans les archives des Cahiers Le prince en veste de cuir, mars 2001. "Emmanuel Petit a eu plusieurs vies. On se souvient de lui avec les cheveux ras, avec une moustache, avec la coupe allemande (court devant, long derrière), avec le maillot 'Goldorak' de l’équipe de France..." Portrait, mai 2002. "Bref c'est un peu le fêlé de la bande, l'écorché vif de service, le Francis Lalanne blond. Ce piètre technicien ne s'est épanoui que dans le médiocre championnat anglais, où la capacité à faire trois tacles en une minute assure une gloire rapide" (Jean-Patrick Sacdefiel). Pourquoi Petit doit revenir, par Boutros Boutros-Boutros, septembre 2003. "Bombardé philosophe officiel des Bleus par une presse qui mésestime les qualités nécessaires à une bonne maîtrise de la Playstation, il ne répugna pas à disserter sur des sujets aussi peu urgents que l’état du monde et l’avenir de l’humanité".