Le juste prix du footballeur
Tribune des lecteurs Qu’il s’agisse de celui de Beckham ou d’un joueur de D2, l’adjectif usuel pour qualifier le salaire des footballeurs est \"indécent\". Cette supposée indécence n’est pourtant pas si évidente…
Qu’on le veuille ou non, le football est une activité qui génère de l’argent (même si, trois fois Aulas, certains perezistent à en vouloir toujours plus). La billetterie, les droits télé et le merchandising sont les trois sources principales et naturelles d’une activité qui est, par essence, économique. Pour étudier la répartition des bénéfices générés par cette activité, aujourd’hui en faveur des joueurs, il faut étudier le système dans son ensemble.
La particularité du football est qu’il rétribue en priorité les employés situés les plus bas dans son échelle hiérarchique : les joueurs. À cela, une raison quasi exclusive: l’économie rémunère la rareté au-delà de l’organigramme. Le joueur, cheville ouvrière de l’entreprise football a réussi ce que ni Marx, ni Blondel n’ont réussi à imposer: - faire en sorte que le salarié soit considéré comme l’élément le plus important de l’entreprise. - permettre à chaque salarié de jouir pleinement des bénéfices issus de son travail, sans considérations liées au statut social ou la couleur de peau. Rappelons le, le football est un des rares sports où l’on peut gagner beaucoup d’argent quelle que soit son origine (contrairement à la F1, au golf ou au Tennis qui sont des sports socialement segmentant). Ceci est également dû au fait que la quantité "d’acheteurs du marché", les clubs, est astronomique. Pour un joueur français de haut niveau, arrêt Bosman aidant, le nombre d’employeurs potentiels est d’une moyenne de cinquante clubs pros multipliés par environ huit championnats, soit quatre cents. Qui dit mieux? Ceci remet justement à sa place l’entêtement de l’UE à maintenir cet arrêt qui a été pris pour les joueurs et non pour les clubs. L’UE défend mordicus la liberté des travailleurs contre les exigences de spectateurs clients. Il ne s’agit pas ici de minimiser les effets néfastes de l’arrêt Bosman sur le football mais bien de remettre en perspective ses objectifs.
En résumé, le football est l’une des seules activités économiques où le capital est au service du travail, et non le contraire (l'introduction des clubs en bourse aurait pour effet de renverser cette tendance). Car c’est principalement au travers des joueurs que l’argent généré par le football est réinjecté dans l’économie (comme précisé dans l’interview de Frédéric Bolotny: "L’argent des transferts est un jeu à somme nulle dans lequel les échanges s'équilibrent"). Comment pourrait-on qualifier "d’injustes" les salaires des joueurs? Ils sont les responsables quasi exclusifs des bénéfices générés par leur activité et sacrifient leur jeunesse à une carrière d’une dizaine d’années qui les laissera sans aucune qualification pour les vingt-sept et demi ou trentes annuités restantes.
De plus, n’oublions pas que le marché des joueurs de football est unique en cela qu’il respecte quasiment à la perfection l’égalité des chances (trouvez une autre activité ou Abedi Pelé et Jan Koller auront les mêmes chances…). Il est également nécessaire de tordre le cou à plusieurs idées reçues :
Le salary cap
L’idée d’un "salary cap" appliquée par exemple en NBA a pour objectif de maintenir une certaine égalité entre les clubs riches et les clubs pauvres, en limitant les surenchères. Non seulement ce principe ne fonctionne pas (la dream team des Lakers ressemble étrangement à celle du Real Madrid) mais il finirait surtout par confisquer les fruits du travail des joueurs pour les redistribuer selon une logique beaucoup moins juste. En effet, l’instauration d’une limite aux salaires ne ferait en rien baisser les revenus du football et l’argent économisé irait tout droit dans la poche des dirigeants. Quand on dégraisse, c’est rarement les huiles qui trinquent.
Une répartition inégale entre les footballeurs
Etant donnée l’extrême facilité avec laquelle on peut évaluer les compétences d’un joueur, on constate des différences importantes entre des travailleurs qui font pourtant le même métier. Mais le football assure dans la mesure de ses possibilités la solidarité entre ses travailleurs: répartition égalitaire des revenus d’un championnat, facilités économiques aux clubs relégués, prise en charge des chômeurs par l’UNFP, participation du football professionnel au financement du football amateur sont autant d’éléments qui tentent de gommer la loterie du talent au profit de la valorisation du travail (qui, on le sait, "finit toujours par payer"). Il s’agit cependant de les conserver pour maintenir le fonctionnement unique de cette économie.
Le football pro devrait plus participer au financement du football amateur
Le football professionnel n’entretient que des liens indirects avec le football amateur. En clair: il ne profite pas de son travail. La solidarité qui existe entre ces deux entités est une solidarité familiale, basée sur l’appartenance à une communauté de passion mais pas à une communauté économique (NB: nous parlons bien de football amateur et non de formation). S’il est juste que des échanges financiers aient lieu, il est aussi normal qu’ils soient limités. Il ne s’agit pas de cautionner certaines dérives outrancières (places de stades hors de prix, essorage complet du portefeuille du supporter, etc.) mais bien de montrer que dans le système tel qu’il existe, les salaires des joueurs sont tout ce qu’il y a de plus justes. À cela évidemment une exception: Zidane. Pour faire aimer ce sport au-delà du raisonnable à toute une génération de supporters, il mérite largement plus que quelques misérables millions d’euros.
NDLR : Les illustrations sont tirées de l'article Le guide du passage à l'euro à l'usage du footballeur professionnel.