C'est encore le consensuel ministre des sports lui-même qui est le mieux placé pour raconter sa vie, son œuvre… Portrait dans le texte.
Oh là, avec un nom comme le mien, j’entends déjà les jeux de mots faciles auxquels les cerveaux acerbes des Cahiers vont se livrer. Pour offrir une ouverture à la critique gauchiste, je commencerais donc par rappeler que si je suis là, c’est par le fait d’une reconversion réussie. D’abord, j’ai été un grand sabreur titré aux J.O. de 1984 et 1988. Puis, j’ai tenté une courte carrière de lettré technicien du sport en co-signant un ouvrage technique. En 1992, Chirac m’a offert une place de conseiller à la Mairie de Paris. Ensuite, je l’ai suivi à l’Elysée. D’ailleurs, je le dis
"mon seul engagement c’est Jacques Chirac". J’aime à le comparer à un sportif de haut niveau. Faut dire que le Président s’est pas mal entraîné avant d’être champion.
Lamour en Mer
Dans L'Équipe, Raffarin n’a dit que du bien de moi. Contrairement à lui, j’ai pas besoin de ça pour avoir des bons points. En public, j’effectue une tournée permanente des médias de tous bords sans heurt majeur, au point que je la raconte fièrement sur le site du ministère. En privé, je suis un élève zélé du gouvernement. J’ai réduit le budget du personnel et laissé la masse globale des crédits s’affaisser par des subterfuges comptables (1). Sur le fond, je replâtre les dérapages des autres ministères. Je crée un coupon sport pour affirmer un objectif de sport de masse. Bon, en fait, c’est un peu des tickets de rationnement moderne, ça n'aurait pas vraiment compensé le surcoût pour les familles des certificats médicaux obligatoires votés par le Sénat dans le cadre de la loi de financement de la Sécu. Il a fallu faire retirer fissa cet amendement planté dans mon dos. Je replâtre encore la suppression des emplois jeunes avec un plan d’accompagnement de l’emploi sportif et en aidant les associations.
Pour l’essentiel,
"la lutte contre le dopage reste une de mes priorités. ". J’ai un temps pensé qu’un saupoudrage de fric aux fédés suffirait. Mais, avec Cofidis, j’ai vu qu’il y avait une brèche médiatique à occuper. Alors je me suis jeté dedans comme un Sarko du sport. Une petite interview au Figaro: plan d’urgence sur le cyclisme, menace sur les vilains petits canard et le tour était joué. Bon, c’est vrai, le dopage, c’est une course de fond contre la médecine de la performance. OK, le gouvernement ne fait qu’accentuer l’écart en coupant les crédits consacrés à la recherche. Pour moi le problème est plus simple
"Il faut être beaucoup mieux organisé et cohérent dans la lutte antidopage". "Au niveau international, la rédaction du code antidopage, dont l’Agence Mondiale Antidopage a la charge, peut conduire [à la limitation des trafics]" . De toute façon, je le dis partout et ça, ça coûte moins cher que la recherche:
"la lutte antidopage doit être mondiale". D’ailleurs, si c’est comme ça, moi j’en parle à Interpol, na!
Ce qui compte vraiment dans la politique sportive, c’est le clinquant, on appelle ça aussi l’aura de la nation. Là-dessus, j’investis à fond! 100.000 euros, ici, pour l’utilisation de la langue française aux JO, là, une promesse de candidature pour les JO 2012. Ni très dangereux, ni très coûteux, si ça s’fait, c’est les suivants qui devront banquer. Le plus beau, ce sera le nouveau musée du sport de Chirac en Seine Saint-Denis pour lesquels on a piqué les crédits européens de développement du territoire (2).
Ma femme n'aime pas trop cette photo, elle dit que je ressemble à un croisement entre Henri Guybet et Bernard Menez. |
Lamour en liberté
Comme vous le voyez, j’ai une certaine liberté de parole contrôlée. Vous m’entendrez jamais donner des leçons aux professionnels. Tout au plus, je compatis aux grandes causes nationales. Après la Coupe du monde, j’ai dit qu’"
on [était] très déçus parce qu'on attendait beaucoup d'eux […] c’est une déception à la hauteur des attentes que nous avions". Dans l’ensemble, pour le foot, je suis assez peu interventionniste dans les affaires de la Ligue et de la Fédé. Parfois, je réconcilie les intérêts des deux. J’offre des kleenex au sport amateur quand ils se plaignent de l’incurie des professionnels. En fait, j’ai esquivé le débat en faisant voter un texte qui affirme le
"principe de solidarité entre sport professionnel et sport amateur. Le projet de loi préserve le rôle des ligues professionnelles". Après, elles se démerdent entre elles, d’ailleurs je donne
"une plus grande liberté d’organisation" à tout ça. Moi je n’ai pas le point de vue dogmatique de Marie-George Buffet, comme dirait Patrick Proisy dans des termes moins choisis. Au passage, je balance dans L'Équipe sur sa "mauvaise démocratie" avec son principe un licencié = une voix. Le poids des licenciés "de base" doit être pondéré par rapport à celui des dirigeants et des acteurs économiques, qui pourront désormais intégrer plus facilement les instances dirigeantes des fédérations.
Au niveau des grandes réformes du foot, pour le moment, je fais dans le soft et le politiquement correct, même les Cahiers me trouvent mou et pas assez dans la ligne aulassienne. C’est tout bon pour moi ça. Le Graët a salué mon opposition au roquet lyonnais dont il trouve les hurlements trop bruyants. Ils ont pas tout compris en fait. C’est pas chez moi qu’ils liront les intentions les plus libérales. Je joue à fleuret moucheté. Je mets le holà à une introduction des clubs en bourse, pour le reste, je laisse parler les autres.
"J’ai dit, dès mon arrivée au Ministère, que [la bourse] n’était pas une priorité. Je note également qu’une minorité des présidents de clubs français la réclame". Après, bien sûr, il y a Aulas mais, en fait, il est bien seul, les autres l’OM, Paris, Bordeaux ou encore Rennes ont des proprios multi-cotés en bourse (le doux privilège du mécénat d’entreprise en somme), donc pour eux, aucun intérêt.
Après cette épreuve de force, je peux tranquillou déclamer qu’il faut
"donner au secteur professionnel un peu plus d’autonomie et de moyens financiers". C’est quand même mieux de parler de liberté que d’exonération fiscale non?
"Le sport [est un] moteur de croissance pour l’économie" et il faut
"[l’adapter] aux évolutions de l’environnement économique et social". C’est de moi, c’est beau comme du Jean-Marc Sylvestre. En termes de solutions, devant le Sénat, j’ai laissé un collègue servir la complainte de la législation inadaptée aux évolutions du foot que
"tous les experts reconnaissent". Lui, il a osé militer pour la baisse des charges sociales des clubs. Bien sûr, j’ai eu encore beau jeu de calmer ses ardeurs ultra-libérales. J’ai juste promis de commander un rapport à un "expert". En plus, j’ai bien habillé le truc en parlant des sports collectifs dans ma lettre de mission à Jean-Pierre Denis. En bon énarque, il m’a livré un pavé avec toutes les clefs pour faire ce que je voulais: rien, tout ou un peu des deux. Ainsi, il admet la bourse pour Aulas (3). Comme celui-ci cristallise toutes les craintes et porte ostensiblement les signes de l’ultra-libéralisme, je le mouche encore un peu, histoire de rassurer et de masquer le reste. Pour tous les autres, je proposerai un texte super sympa avec de jolies mesures bien discrètes pour rendre le sport de haut niveau "compétitif". Après tout, Pinault a déjà eu droit un cadeau de Noël cette année avec Executive Life, il faut bien lui garder un allègement des charges du foot pour son anniversaire, avec tout ce qu’il a donné pour le sport...
(1) La jeunesse sortie du portefeuille des sports + une affectation exceptionnelle du produit des championnats du monde d’athlétisme + une estimation optimiste des recettes du Fonds National de Développement du Sport, et hop, le tour est joué, les recettes augmentent en apparence alors que dans les faits, l’affectation des ressources stables diminue.
(2) Le FEDER est un fond d’aménagement du territoire destiné au rééquilibrage des territoires en Europe, qui sert généralement les projets des collectivités au niveau local. Pour la Seine Saint-Denis, la question ne s’est pas posée, l’Etat a imposé son musée du sport comme unique projet, faut dire y’a que des bolcheviques là-bas.
(3) Le rapport Denis explique qu’une holding, c’est pas du tout pareil qu’un club parce qu’il y a d’autres activités économiques dedans et qu’Aulas il a le droit de coter ses salons de coiffure, s'il veut. À cela, le ministre a répondu non, c’est pas bien parce que c’est pas bien la bourse, alors il n’aura droit qu’à ses allègements fiscaux, comme tout le monde.