Le foot, c'est sa passion, sa rédemption ou son alibi? Le franc-parler du sympathique président de Montpellier ne va pas sans arrière-pensées…
Je m’appelle Louis Nicollin, inutile de me présenter, tout le monde sait que le foot, c’est ma passion. Il paraît que je "sur-joue mon personnage de président complètement dépassé" comme disent ces bobos de Libé. C’est vrai que je suis un poil nostalgique. Je regrette le
"bon vieux temps de ma chère Paillade", ce temps où la baraque à frites était sur le bord du terrain, ce temps où Montpellier courait après les stars et les titres.
Contrairement aux apparences, Louis Nicollin n'exerce pas dans l'industrie des corn-flakes. |
"Les cons, en fait, je vous le dis: c'est bien nous"
Le foot, c’est ma passion. Je le claironne partout dans les médias parce que
"je ne fais pas ça pour le fric" et
"la pensée de faire du business me fait chier". Hélas,
"Aujourd'hui, les mecs ne pensent qu'au pognon. C'est pour ça que c'est bien de faire revenir les anciens". Les journalistes m’adorent parce que ça fleure bon le comptoir, c’est vendeur et populaire…
"Ce qui me met les nerfs dans le sport d'aujourd'hui: ce sont les salaires des joueurs […] complètement immérités au vu de la qualité et du professionnalisme de ces mecs. Mais ce sont les présidents comme moi qui les donnons. Les cons, en fait, je vous le dis: c'est bien nous". Heureusement, maintenant, mon équipe est formée de
"ramasseurs de poubelles", des gars courageux et travailleurs qui mouillent le maillot sur le terrain comme moi la chemise sur le banc… D’ailleurs, c’est ma place préférée, près du terrain, près de l’effort, pas comme cette génération de businessmen qui regardent les matches du haut du perchoir.
Le foot, c’est ma passion.
"Je ne vis pas le football pour en faire un métier. Je préfère travailler, garder mon entreprise de ramassage. Là, je sais où j'habite". Grâce à toute cette pub que me fait le foot, tout le monde sait que je suis Monsieur Propre, que ma boîte bosse pour les collectivités locales ou les entreprises qui ont besoin de nettoyer, de collecter ou de traiter leurs déchets. Et du déchet en France, il y en a des tonnes, presque autant que dans le jeu du PSG. Je suis fier de ma petite entreprise héritée de Papa Marcel. Grâce à elle, je possède la 287e fortune de France (1), mais ça ne m’empêche pas d’être proche du terrain et de mes gars. Bon, quand je les licencie, c’est un peu moins vrai, vu que je refuse parfois de payer trop cher les indemnités de licenciement (2). Heureusement, j’ai aussi de bonnes notes dans le social comme dans le recrutement et l’insertion des travailleurs handicapés en entreprise (3). Oh là, faut m’arrêter, là j’raconte mon boulot… C’est pas le sujet, ce qui compte c’est le foot, hein? Chez moi, c’est très passionnel donc très lié. Dans ma boîte, on recrute d'anciens joueurs professionnels pour l’équipe corpo. On les met sur des postes adaptés: balayeur, chauffeur de camion ou encore surveillant. L'équipe s'entraîne trois fois par semaine et presque tous les jours en phase finale de la coupe et du championnat. Et vlan, on squatte les titres et les podiums corpo (4).
"Maintenant, le sport, c'est business is business. Eh bien, ce n'est pas mon truc"
Le foot c’est ma passion, etsi ça m’aide au niveau de l’image, ça protège pas de tout… surtout pas de la justice. Faut bien l’dire les poubelles, c’est un sale boulot. Les technocrates de Bercy n’hésitent pas à nous allumer pour pratiques douteuses. A Saint Trop’, ils nous ont servi du "juridiquement critiquables", bref, une embrouille comme quoi on aurait jamais payé de pénalités pour le boulot mal fait (5). Les plus gonflés de tous, ce sont les énarques des tribunaux administratifs qui ont tout cassé le marché que ma ville nous avait attribué comme d’hab’ (6). Faut dire que la concurrence, y en avait pas vraiment eu. Ils nous soupçonnaient même d’avoir dicté nos conditions à la ville, notamment une forte augmentation du budget prévu. Du coup, après la décision d’injustice, le maire s’est empressé d’annoncer une baisse de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères de 40%. Les juges ne me lâchent pas (7) même dans cette ville que j’aime tant et qui me doit autant… Fait chier! je dévie encore… Qu’est que vous voulez au fait? Comme d’hab’, de la philosophie de vestiaire qui plait aux médias? Et bien, ça va être dur, maintenant, j’ai pris du recul.
Le foot c’est ma passion. Mais ça coûte. Niveau cash, tout va mieux, j’ai appris à diriger en pleurnichant sur mes trous dans les poches. Un peu comme à Auxerre — club que j’admire — je ne montre pas la moindre ambition, et pour boucler les fins de saisons qui commencent au 1er juillet, j’ai Rennes pour m’acheter des joueurs. Faut dire que j’ai choisi la diversification des passions sportives: Hand, Basket, Rugby et Joutes. Hélas, c’est partout pareil,
"Maintenant, le sport, c'est business is business. Eh bien, ce n'est pas mon truc". Bon, j’avoue j’me démerde quand même un peu. A l’arrivée, je suis accueilli en prince du foot qui injecte de l’argent frais. J’ai comblé le déficit du club de rugby de Béziers. Idem au PSG Handball: ma première initiative, augmenter le budget pour faire venir de bons joueurs. Juste après, j’ai viré ce nom à couleur de défaite: PSG. A chaque fois, j’applique les mêmes méthodes: pognon, coups de gueule, humilité. Au bout d’un an, on n’avait pas été bon en basket. Avec Tony Parker, j’ai dû mettre les pieds dans le plat. J’ai fait mon rebelle alter-mondialiste du sport, j’ai balancé:
"Ce qui est clair, […] je ne me laisserai pas commander par des Américains! Il veut partir, il faudra qu’il paye. Sinon, il restera. J’en ai rien à foutre de la NBA! Nous, on veut une somme d’argent et si on ne l’a pas, il ne partira pas!" .
"J'aime ce sport franc, coloré et authentique. Loin de l'argent et des illusions"
Le foot, c’est ma passion,
"certains jouent au casino pour perdre de l'argent, moi c'est le foot. Je n'y ai pas investi pour faire fortune. Les poubelles, c'est plus rentable! Mais le ballon m'apporte une notoriété qui permet de faire connaître l'entreprise. J'ai sûrement gagné des marchés grâce à cela". De toute façon, le sport faut bien que ça rapporte un peu aussi, à un moment, faut dire stop au charity business. Y'a pas écrit Pinault là!
"Pour le rugby, je m'interroge". À Béziers y a autant d'abonnés qu’à la Mosson, mais
"le rugby coûte cher. 1,5 million d'euros par an sur les 2,5 que la société consacre au sport (rugby, basket, handball)" . Mais bon, c’est le joujou de mon fils, alors…
"Le basket me plaît bien. Le handball aussi. On a bien fait de s'occuper de ces deux clubs parisiens puisque nous venons d'obtenir les marchés des 3e et 4e arrondissements de Paris. Mais je ne pense que l'on puisse dire seulement: "C'est grâce au sport". Ce serait même grave! D'un autre côté, la confiance est certainement née de notre action sérieuse dans ces clubs". En fait,
"je concilie mon amour […] tout en faisant grandir la notoriété de mon entreprise qui lutte contre ces deux géants que sont Vivendi et la Lyonnaise des eaux. En quelque sorte, j'allie le plaisir aux affaires". Un groupe ça se gère, chacun sa méthode, son fonds de commerce, moi c’est le sport...
Le foot, c’est ma passion. Les élections, de temps en temps, surtout quand ça concerne des sujets importants : le sport et ma boîte. Je suis le Président de la Joute. Ca, je peux en parler pendant des heures comme un vrai Sulitzer parce que j’y retrouve toutes mes valeurs:
"J'aime ce sport franc, coloré et authentique. Cette joute faite d'histoire et de faits d'armes. De passionnés et de sociétés. […] Loin de l'argent et des illusions". Ah oui, je me suis aussi investi dans le milieu de ceux qui mouillent la chemise pour l’économie. La Chambre du Commerce et de l’Industrie, c’est un peu plus chaud comme élections. En 1992 et 1993, on s’en est pris plein la tête avec les copains en col blanc. Les juges ont pas vraiment aimé que ce soit ma boîte qui organise le système de votes par correspondance alors que j’étais candidat (8). Bon, les élections ça m’intéresse pas tant que ça. D’ailleurs, la politique,
"je m'en bats les couilles. A Montpellier, je suis à gauche. Mais je sais être à droite, aussi". Moi, je ne suis qu’un gars de la France d’en bas. Je préfère déjeuner avec mes employés qu'avec mes footballeurs.
"C'est plus sain. Même s'ils sont à la CGT, tout ça..." Je suis comme eux dans le fond, je parle mal et j’aime pas les élites, sont pas comme nous ces gens là...
"Si quelque chose ne me plaît pas, je ne le garde pas en moi. Comme je ne suis pas énarque, j'emploie des mots plus orduriers que ceux de M. Perpère". L’ex’ du PSG, c’est tout ce que j’aime pas à la Ligue:
"je ne fais pas partie de ces gens. Je leur serre la main, c'est tout". Les temps ont changé, je vous le dis et le répète comme un poète, le foot, c’est ma passion, mais c’était mieux avant le pognon!
Sources des citations : Sport24 18/07/2002 et 25/05/2002; Libération 11/08/2001; Midi Libre 20/04/2002; L'Humanité 17/06/2000 et 31/08/2002; Challenges 07/2002.
(1) Challenges N°160, juillet 2001— "Leurs danseuses sont en short et en crampons".
(2) Sur les affaires de Nicollin SA face aux juridictions Prud’hommales à titre d’exemple Cour de Cassation Chambre sociale 25 novembre 1997 et 12 janvier 2000.
(3) Lire
ici.
(4) En 2000, l’équipe disposait notamment de Stéphane Blondeau, Antoine Di Fraya, Frédéric Guimard et Stéphane Lagrange, elle bénéficiait d’un budget de fonctionnement de près de 250.000 francs par an. L’Humanité,17/06/2000 - Alain Djouad-Guibert.
(5) Dans cette affaire, comme dans tous les rapports de la Chambre régionale des comptes, ce sont surtout les communes qui sont mis en cause. Dans le cas de la Commune de Saint-Tropez, la Chambre régionale des comptes dans un rapport du 28/02/2002 jugeait "surprenantes" les relations contractuelles entre la ville insatisfaite du Service et l’entreprise Nicollin, prestataire de longue date.
(6) Le 27 mars 2002, le tribunal administratif de Montpellier a annulé le marché de la collecte des ordures et du nettoiement qui était comme d’habitude confié à Nicollin. Association des contribuables 34 — "Les Contribuables marquent des points à Montpellier" (Préambule de la Lettre n°13 - Avril 2002)
(7) Pour achever les grandes ligne de la passionnante chronique judiciaire du groupe Nicollin on peut aussi souligner que l'arrêt de la cour d'appel de Dijon du 30 juin 1993, qui, malgré l'amnistie des faits de corruption avéré, a condamné Loulou et ses compères à verser de 4.993.835 francs à la Ville de Marseille pour réparer les préjudices causés. La Cour de Cassation a même jugé le 30 mai 1994 que cette sanction était au moins égale aux hausses des prix frauduleuses et des commissions versées.
(8) Ce n’était qu’un des griefs retenu par les juridictions appellées à statuer sur cette affaire, pour plus de précision cf Cour administrative d’appel de Bordeaux – 15 novembre 1992 et 8 juillet 1993.
Le site du Groupe Nicollin.
Le CV de Loulou.