Zidane 2002, le neuvième art
Un jour, un but - Il y a douze ans, Zinédine Zidane signe un but de légende et offre sa neuvième C1 au Real Madrid. Un moment d’extase, suspendu entre le départ du centre et l’arrivée du ballon dans les filets.
Hampden Park aime être l’hôte de finales de C1, entre habitués d’un côté et novices de l’autre. Après l’édition prolifique de 1960 entre le Real Madrid et l’Eintracht Francfort (7-3), et la mouture carrée Bayern Munich-AS Saint-Étienne de 1976 (1-0), la Maison blanche y revient le 15 mai 2002 pour affronter l’étonnant Bayer Leverkusen, en lice jusqu’au bout pour un triplé.
Parabolique
Le Real Madrid se fait vite reprendre par une tête de Lúcio à la 13e après l’ouverture du score surprenante de Raúl à la 8e, sur une très longue touche de Roberto Carlos. Après avoir servi l’un des symboles du madridisme, le latéral gauche brésilien va en faire de même avec le porte-étendard de l’image galactique voulue par Florentino Pérez. Connu pour sa puissance et son penchant offensif, le numéro 3 merengue joue sur son côté un une-deux avec Santiago Solari juste avant la mi-temps. Pressé par Zoltan Sebescen, Roberto Carlos redresse le ballon sans contrôle et tape fort et haut. Plus qu’un centre, c’est “une patate” comme le dira plus tard l'exécuteur de la passe. Son destinataire rendra "une caresse".
Posté à l’entrée de la surface, Zidane lève les yeux au ciel et regarde le ballon lentement descendre. Beaucoup s’attendent à un contrôle de la poitrine, peu anticipent le geste qui va suivre. Parmi ceux-là, il y a Raúl qui commence à se tourner vers le but, à l’affût d’un probable tir repoussé. La chute du ballon dure à peu près une seconde, et au moment où il doit regagner la terre ferme, Zidane le reprend de volée du pied gauche, inclinant et tournant son corps en direction du but. La trajectoire est irréelle et digne d’une bande dessinée, à la fois parabolique et brossée, et bat Hans-Jörg Butt sur sa droite autant qu’elle semble le lober. Le commentateur de la radio Cadena Ser explose de joie et répète une phrase entrée dans la postérité: “Viva la madre que te pario Zidane!”
Extatique
“Vive la mère qui t’a enfanté Zidane!”, ou une référence aux femmes de la vie du joueur français qui connaîtra un écho moins glorieux quatre ans plus tard en finale de la Coupe du monde. Ce geste est surtout une ode au pied gauche de Zizou, qui lui a permis de signer quelques-uns de ses plus beaux buts. Interrogé sur ce point, l’intéressé déclarera avec amusement: “Je suis peut-être un gaucher contrarié. Mais alors, très très peu contrarié.” Comme les buts d’Iniesta en 2009 face à Chelsea en demie de C1 et en 2010 en finale du Mondial sud-africain, le bijou de Zidane est de ces moments rares en football où l’apnée précède la folie, l’extase, la jubilation, la libération, la sensation d’avoir assisté à un instant unique.
Il s’agit probablement de l’un des plus beaux buts de l’histoire de la compétition en particulier, et du football en général. Le Real Madrid décroche la neuvième C1 de son histoire car le Bayer Leverkusen, surprise de la saison, va alors buter sur un jeune gardien, remplaçant au coup d’envoi, nommé Iker Casillas, et rester dans l’histoire pour avoir perdu toutes les compétitions (championnat, coupe, C1) au pied de la dernière marche. Et pour avoir donc été la victime d’une reprise de volée céleste de Zidane, qui met alors fin à sa malédiction personnelle sur le Vieux continent après trois échecs en finale (C3 1996 avec Bordeaux, C1 1997 et 1998 avec la Juventus Turin), entretenant la légende de Ferenc Puskás et Alfredo Di Stéfano, et celle du Neverkusen.
Galactique
Au carrefour du 21e siècle, le Real Madrid, sous la direction de son président Florentino Pérez, initiait sa première ère Galactique. Après le recrutement record (65 millions d’euros) de Luís Figo à l’été 2000, c’est Zinédine Zidane, champion du monde et d’Europe en titre et considéré alors comme le meilleur joueur de la planète, qui rejoint l’année suivante les rangs merengue pour environ 75 millions. Ce qui a commencé quelques semaines plus tôt, par des mots échangés sur une serviette lors d’un dîner, se finalise durant un mercato parmi les plus mémorables et parmi les plus représentatifs du foot-business.
Une folie et une passion qui suivront les premiers pas de Zidane au Real, qui mettra quelques temps avant de prendre ses marques et d’avoir un rendement digne des attentes suscitées par son talent et le projet du club. Avant ce but exceptionnel face au Deportivo La Corogne, sur lequel on se demande encore comment Mauro Silva ne parvient pas à tacler le ballon au dernier moment. Avant ce lob sur la pelouse du Camp Nou pour lancer le Real vers la finale de la C1, après la perte de son titre face au Bayern Munich à ce même stade de la compétition la saison précédente. Avant l’apothéose de Hampden Park.
Samedi soir à l’Estádio da Luz de Lisbonne, pelouse sur laquelle il a donné en tant que joueur une émotion propre à la caste des fuoriclasse avec son doublé en fin de match face à l’Angleterre lors de l’Euro 2004, Zidane sera sur le banc du Real Madrid, en tant qu’adjoint de Carlo Ancelotti. Peut-être pour une dernière dans cette fonction s’il décide de partir entraîner un autre club la saison prochaine. Surtout pour espérer être le spectateur privilégié d’un successeur qui offrira sa fameuse Decima à la Maison blanche et couronnera d’une C1 sur le tard, contrairement à la première, la seconde ère des Galactiques.