Un modèle allemand
L'air du temps est à la Germania-mania. Derrière cette vogue, il y a les fondations solides de clubs qui résistent à la crise... et respectent le football.
Ces dernières années, la 1. Bundesliga allemande a battu des records d’affluence dans ses stades. Elle a éveillé aussi l’intérêt croissant de nombreux fans de foot hors Allemagne. Le Nationalelf figure continûment depuis 2006 sur le podium des grandes compétitions internationales, et les clubs allemands effectuent régulièrement de bons parcours en Coupes d’Europe, jusqu'à placer deux clubs cette saison en finale de la Ligue des champions. Mais ces bons résultats ne datent pas d’aujourd’hui. Pourquoi alors la Bundesliga intéresse-t-elle autant maintenant, elle qui a été longtemps ignorée, notamment en France?
Un calendrier simplifié
La Bundesliga bénéficie d’abord d’un calendrier simple. Seuls dix-huit clubs y sont engagés, contre vingt dans les autres "grands championnats" [1]. La saison régulière à 34 journées n’est pas prolongée par des play-off – tout au plus existe-t-il depuis 2009 une phase de barrages, où l’antepénultième de 1. BL. joue deux matches face au troisième de 2. BL. pour assurer son maintien. Enfin, la Bundesliga bénéficie d’une réelle trêve hivernale: même raccourci de quinze jours en 2010, l’écart entre les 17e et 18e journées reste d’un mois.
Les autres compétitions? En Coupe d’Allemagne (DFB-Pokal), les duels se jouent en un match simple, jusqu’aux tirs au but si nécessaire. La Coupe de la Ligue (DFL-Ligapokal), qui était un tournoi d’été entre les meilleurs clubs de l’élite et le vainqueur de la Coupe, a été supprimée en 2007 à cause de son manque d’intérêt. La SuperCoupe (DFL-Supercup), qui voit depuis 2010 s’affronter en août les vainqueurs de la Coupe et du championnat passés, ne concerne que deux clubs de l’élite, et sert surtout de prélude à la nouvelle saison.
En Allemagne, la répartition des matches est simple. La Coupe se joue en semaine les mardis et mercredis soir [2], le week-end étant réservé au championnat: un match le vendredi soir à 20h30, cinq le samedi après-midi à 15h30 et un à 18h30, un le dimanche à 15h30 et un à 17h30. Les décalages par rapport à ce modèle sont dus aux jours fériés ou à la présence des clubs en Europa League. Les journées en semaine sont l’exception: ainsi, seules 2 des 34 journées de l’actuelle saison ont été disputées les mardis/mercredis – une seule lors des deux saisons précédentes. En résumé, le calendrier allemand est sans artifices, préserve les joueurs, et propose un horaire principal du samedi après-midi idéal pour les familles.
Un fort soutien populaire
Les clubs allemands peuvent se prévaloir d’un soutien dont témoigne le nombre de matches à guichets fermés, et pas seulement ceux des "grosses écuries" de l’élite. Des clubs plus modestes que le Bayern et le Borussia peuvent se targuer de faire souvent le plein de leurs fans, comme le 1. FC Kaiserslautern et le 1. FC Köln qui accueillent chez eux 40.000 supporteurs, même en deuxième division, ou encore l’Union Berlin ou le FC St. Pauli, dont les fans les plus fervents sont issus des milieux populaires.
Il existe de nombreux clubs fédérateurs en Allemagne, pas tous très connus, tels le Greuther Fürth ou le 1. FC Nürnberg dont l'histoire s'est écrite dans les années 1920, et la plupart sont des institutions. Au point qu’il n’est pas rare de voir des mouvements de solidarité en cas de difficultés. Uli Hoeness avait confirmé, l’an dernier, le prêt par le Bayern de deux millions d'euros à Dortmund en 2005, quand le Borussia luttait pour survivre. D’autres initiatives sont venues des supporters, comme la vente de T-shirts à Hambourg en 2003 pour St. Pauli, alors en D3 et au bord d’une nouvelle relégation, ou la renaissance du Lokomotive Leipzig après la disparition du VfB Leipzig en 2004.
Autre caractéristique favorable: que cela soit au sein d’une ville (1860 vs. Bayern à Munich, St. Pauli vs. HSV à Hambourg, Sachsen vs. Lokomotive à Leipzig, etc.) ou d’une région (Dortmund vs. Schalke en Rhénanie), les rivalités sportives encouragent le supportariat et les grands bassins de populations correspondants (Berlin, Hambourg, Munich, la Ruhr, etc.) assurent aux clubs un bon ancrage économique.
L’émergence des Arenas
Le pays a profité de l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde 2006 pour rénover ou reconstruire son parc de stades... sans tomber dans la démesure: contrairement au Portugal où des enceintes bâties pour l’Euro 2004 sonnent creux et coûtent cher (lire "Le Portugal pas encore sorti de l'Euro"), les nouveaux stades allemands sont à la dimension de la demande, y compris au-delà des clubs de l'élite. Un club comme le FSV Mainz, qui a découvert l’élite en 2004 seulement, a depuis 2011 un nouveau stade, la Coface Arena, qui peut accueillir jusqu’à 34.000 visiteurs. Idem à Düsseldorf: le Fortuna joue à l’ESPRIT arena (54.000 places) depuis 2005… alors que le club venait à peine de passer de la quatrième à la troisième division. Ces Arenas ultramodernes ne se limitent pas à l’accueil des matches de foot des clubs locaux: celle de Düsseldorf a ainsi accueilli en 2011 le concours de l’Eurovision et un match du Nationalelf contre la Belgique [3].
Ces joyaux sont des aimants à supporters: la moyenne par journée de 1. Bundesliga est supérieure aux 40.000, avec un taux de remplissage qui dépasse les 90%. En fait, l’Allemagne a su profiter de sa WM 2006 Autres atouts des stades allemands: les grandes galeries, les commerces où les fans n’hésitent pas à passer du temps tant avant qu’après les matches, et la présence obligatoire d’une installation de chauffage de la pelouse pour éviter le gel, qui réduit le risque de report de matches…
Toooooooooooor !
La Bundesliga assure aussi le suspense, et s’il arrive qu’une équipe surclasse largement les autres, comme le Bayern 2013, il n’y a jamais eu de série comme celle de Lyon en France: depuis l’instauration de la Bundesliga moderne en 1963, aucune équipe n’a réussi à remporter plus de trois titres de suite. Et il arrive encore qu’une équipe-surprise remporte le championnat, comme Wolfsburg en 2009 ou le promu Kaiserslautern en 1998. Quant à la lutte en bas de tableau, les barrages évitent le cas où les relégués seraient vite connus, en remotivant les mal-classés pour obtenir le seizième rang, sans rallonger la saison "à la belge".
Le spectacle n'est pas pour rien dans l’intérêt de la Bundesliga. Les matches sans but restent rares (20 0-0 sur 31 journées cette saison), et les cartons sont fréquents. L’Allemagne est un des championnats où la moyenne des buts marqués est l’une des plus élevées d’Europe, ce qui s’explique par la culture locale: outre-Rhin, la plupart des clubs essaieront d’attaquer avant de penser à défendre le 0-0, et il est souvent mieux vu de gagner 5-4 que 1-0 – le Werder Bremen des années 2000 était l’exemple-type de cette mentalité.
Vu de France, l’arrivée de l’incontrôlable Ribéry au Bayern et son adaptation réussie chez les Bavarois ont favorisé la mise en valeur de la Bundesliga, dans la droite ligne de ce qu’avaient permis déjà les Sagnol, Ismaël et surtout Lizarazu – même si ces derniers n’avaient pas été les premiers Français à se signaler outre-Rhin (Djorkaeff, Papin…).
La crise ? Quelle crise ?
Pour permettre à une Allemagne sans trophée depuis 1996 de revenir sur le devant de la scène, et progresser dans la durée, Jürgen Klinsmann, sélectionneur du Nationalelf de 2004 à 2006, avait renouvelé son groupe. Les clubs l'ont suivi dans cette volonté de rajeunir leurs effectifs en accordant des moyens à la formation. Le foot allemand ne donne plus la priorité aux grands gaillards et aux vieux briscards; des joueurs plus jeunes et/ou aux gabarits plus modestes, tels Mario Götze ou Nuri Sahin à Dortmund, ou encore Thomas Müller à Munich, se voient donner leur chance… et savent la saisir.
Conséquence de cette attractivité, la billetterie et le merchandising constituent une belle part des revenus des clubs allemands. Pour les plus grands tels que le Bayern, Schalke 04 et Dortmund, dont les revenus ont crû de plusieurs dizaines de millions d’euros ces dernières années, les droits TV ne représentent pas la majorité des ressources, à l’opposé de ce qui se passe dans les autres grands championnats. Un équilibre qui les rend moins vulnérables à une éventuelle baisse de ces droits TV… laquelle ne semble pas pour demain: pour la Bundesliga, ils devraient ainsi dépasser les 600 millions d'euros annuels dans les années à venir.
Cela permet aux clubs de se montrer actifs sur le marché des transferts. Par exemple en recrutant sur le marché intérieur, comme le Bayern cette saison en faisant signer Götze pour 37 millions d'euros, deux ans après avoir fait venir Neuer de Schalke pour 22 millions ou comme Dortmund l’a fait en 2011 avec Gündogan (4 millions d'euros). Un processus qui permet aux joueurs allemands de progresser tout en restant en Allemagne… Mais les clubs savent aussi recruter intelligemment à l’étranger (cf. Ribéry et Robben à Munich, ou Kagawa et Lewandowski à Dortmund). Généralement, les clubs allemands – dont la plupart sont bénéficiaires – ne dépensent pas l’argent qu’ils n’ont pas, et fuient l’endettement pour accroître leur développement. Si le Bayern peut se permettre de faire venir un entraîneur comme Pep Guardolia, c’est parce que ses réserves sont importantes.
L’envers du décor
Pour autant, tout n’est pas rose en Allemagne. Sans parler de "l’affaire Hoeness" et de son compte en Suisse, le foot allemand souffre de deux maux majeurs. Le premier est l’important déséquilibre géographique: si les Länder de Rhénanie du Nord-Westphalie et de Bavière sont surreprésentés avec neuf clubs sur les dix-huit de l’élite, les six Länder de l’ex-Allemagne de l’Est en sont les grands absents, sans club en 1. Bundesliga depuis la descente de l’Energie Cottbus en 2009 [4].
L’autre mal est la violence dans les stades: si elle n’est pas trop visible dans l’élite, les matches de barrage de l’an passé ont montré qu’elle n’était pas endiguée au haut niveau. Et aux échelons inférieurs, elle est encore plus prégnante: la terrible "affaire Pezzoni" en offre une triste illustration. Mais c’est pire en amateurs, où en raison de forts antagonismes locaux, la police doit parfois intervenir. Les instances allemandes ne négligent pas ce problème, mais comme en a témoigné la mise en place de" l’Initiative 12:12" (lire "La Bundesliga refroidit ses supporters"), elles n’ont pas forcément la bonne approche…
Enfin, quelques clubs pourtant bien établis ont connu des déboires: l’Arminia Bielefeld et l’Alemannia Aachen par exemple. Dans le cas de l’Alemannia (lire "Du jaune au noir"), le club a sous-estimé le coût de son nouveau stade, et a dû vendre des joueurs pour tenter d’apurer une situation qui a empiré suite à sa descente en 3. Liga. Interdite de recrutement, l’Alemannia a fait faillite, et est d’ores et déjà assurée d’une nouvelle relégation – la troisième en six ans.
Ces soucis sont toutefois éclipsés par cette finale européenne 100% allemande, une première depuis l'issue de la C3 1980 entre l’Eintracht Frankfurt et le Borussia Mönchengladbach. Une finale qui pourrait bien poser problème à Joachim Löw: le sélectionneur a en effet une tournée prévue aux Etats-Unis fin mai-début juin, et il pourrait devoir se passer d'une quinzaine de joueurs…
[1] Exception en 1991/92 où la Bundesliga a compté 20 clubs suite à l’intégration de deux clubs de l’ex-RDA. Elle est repassée à 18 dès la saison suivante.
[2] Exceptions: le premier tour pour les clubs de l’élite et la finale, car il n’y a alors pas de matches de 1. BL.
[3] Pas de centralisme berlinois en Allemagne: l’équipe nationale n’est pas l’équipe résidente d’un seul stade.
[4] Le Hertha Berlin, club de Berlin-Ouest, remontera cet été.