Un mépris éclatant
Lors de l’explosion d’un pétard, un pompier avait perdu deux doigts. Journaliste matinal, Xavier De La Porte a fini de le mettre en pièces.
Auteur : Sylvain Zorzin
le 26 Jan 2007
C’est un paradoxe, mais l'accident au cours duquel un jeune pompier a été grièvement blessé nous aura permis de toucher du doigt deux formes bien distinctes de mépris. Après qu’un pétard eut fait voler en éclats la main d’Anthony Roko, on pouvait en effet observer deux types d’attitudes: celle consistant à rire d’un vague incident collatéral – ce genre d’événements pittoresques, qui font finalement partie du football, à l’image des chants nazis et des ratonnades post-match. Et les déclarations sur un ton grave que oui, c’était un moment douloureux, mais qu’il n’y avait pas mort d’homme, que ce n’était pas Furiani ou le Heysel – attitude croisée sur la plupart des médias français (lire la Gazette de la 11e journée).
Deux doigts coupe-faim
Logiquement, le match disputé par le club marseillais à huis clos contre Auxerre (ainsi sanctionné après ce drame, provoqué par l’un de ses supporters) n’apportait rien de plus. Il semblait bien que tout avait été dit. Toutes nos pensées étaient allées trois mois plus tôt à ce jeune supporter blessé dans sa chair, enfin quelques centimètres carrés, ce n’est pas la jambe de Djibril Cissé non plus.
Hein? Quoi? C’est tout? Pour tous ceux qui prennent plaisir au malheur des autres, qui gloussent au moindre ralenti d’une cheville fracturée, ce pouvait toutefois apparaître comme une demi-défaite: n’existait-il donc que ces deux formes de mépris, ces blagues vite oubliées et cette gravité affectée? Deux doigts qui volent et puis c’est tout? Il devait bien y avoir une forme de mépris inédite, la formule bas-fonds qui écraserait toutes les tartufferies télévisées!
C’est ainsi que, sentant un appel d’air qui lui permettrait d’être admiré par la plupart des médiocres, Xavier De La Porte, "journaliste sports" de l’émission La Matinale, sur Canal+, réfléchit à un "spécial", le truc que personne n’avait osé tenter jusque-là. Et il déciderait de le lancer sur un ton badin, anodin, de façon presque inaperçue pour souligner un peu plus la condescendance avec laquelle il traiterait Anthony Roko. Alors, quand vint son temps d’antenne, choisissant d’évoquer la rencontre OM-Auxerre, il évoquait le pétard "ramassé par un pompier qui avait perdu quelques doigts".
Quantité négligeable
Ah! Le ton sur lequel ç’a été prononcé! Hop, à la va-vite, "quelques doigts", pas deux, ou un ou trois, non juste des doigts, même pas la peine de compter tellement c’est insignifiant! Négligeable! Mais enfin des doigts, il n’y en a que cinq sur une main, c’est pas difficile à compter! Mais ç’aurait donné l’impression qu’il attribuait de l’importance à cet événement, ah le mépris formidable, insurpassable. Jean-Marc Ferreri et Cyril Linette devenaient soudain fades, éclipsés par un jeune trentenaire qui n’avait jamais eu le temps de montrer sa méchanceté tellement il se concentrait pour paraître nul en foot.
Une performance estomaquante qui laissait soudain sur sa faim: et si le jeune Roko avait perdu sa main, un bras? Le dilemme! Xavier De La Porte aurait-il dit "un pompier qui avait perdu quelques mains, quelques bras"? Car sinon on aurait pu croire qu’il les avait comptés! Et ce soupçon d’humanité aurait gâché le tableau horrible qu’il avait réussi à brosser en une poignée de secondes.