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Téléfoot, l’expérience inachevée

Ils s'étaient embarqués dans l'aventure de la chaîne Téléfoot sans se douter du désastre qui les attendait. Julien Brun, Marina Lorenzo et Julien Momont racontent ces quelques mois. 

Auteur : Jérôme Latta le 2 Sept 2021

 

 

Extrait du numéro 6 de la revue des Cahiers du football, actuel-lement en librairie. Propos recueillis en avril 2021 par Jérôme Latta, photos Rémi Belot.

 

* * *

 

Lancée en août 2020 par Mediapro, Téléfoot "la chaîne du foot" a cessé d'émettre quelques mois plus tard, laissant ses personnels et le football français sur le carreau. Au-delà du fiasco économique, ce fut aussi une aventure éditoriale enrichissante, cruellement interrompue, pour les journalistes qui y ont pris part. Trois d'entre eux reviennent ensemble sur cet épi-sode.

 

Julien Brun • Ses études en journalisme et sa passion du football conduisent d'abord Julien Brun vers RFI et Eurosport. Il commente son premier match en 2005, poursuit sur Canal+, puis rejoint BeIN Sports pour son lancement en 2012. À l'été 2020, il est de l'aventure Téléfoot, au stade et en plateau. Un an plus tard, il retrouve les micros chez Prime Video.

 

Marina Lorenzo • Après des débuts profes-sionnels à l'AFP Audio puis RFI Paris, Marina Lorenzo se lance en 2009 dans le journalisme sportif sur Infosport+. Elle rejoint Canal+ et co-anime l'émission "J+1" avant de couvrir la Moto GP en 2019. Sur Téléfoot la chaîne, elle anime la quotidienne "Au cœur des clubs". Aujourd'hui, elle pilote avec Félix Rouah l'émission "Dimanche Soir Football" sur Prime Video.

 

Julien Momont • Diplômé en journalisme et en sciences politiques, Julien Momont intègre RMC Sport en 2016 après avoir exercé à L'Équipe 21 et BeIN Sports (et contribué aux Cahiers du football). Spécialiste de la tactique, il est co-auteur de plusieurs ouvrages: Comment regarder un match de foot, Les Entraîneurs révolutionnaires, L'Odyssée du 10 et – le 26 août – Comment gagner un match de foot. Dans les coulisses de la performance (éd. Solar).

 

 

 

 

Dans quel état d'esprit vous étiez-vous engagés? Aviez-vous conscience de prendre un risque?

 

Marina Lorenzo. Oui, mais j'avais envie de le prendre, pour le projet, pour la nouveauté, par goût du risque aussi. J'avais envie d'y croire, j'étais pleine d'espoirs. Il y avait des points d'interrogation, dès le début, liés au fait qu'en France, il y avait des diffuseurs historiques et rassurants, qui nous paraissaient solides. Ce nouvel arrivant, que personne n'avait vu venir, pas même les détenteurs de droits actuels, a soulevé des questions. Je me disais que l'ouverture à d'autres acteurs pourrait être positive.

 

Julien Momont. Il serait difficile de regarder quelqu'un dans les yeux en lui disant qu'il n'y avait aucun risque. Mais c'était un risque mesuré, même si, évidemment, on ne pouvait pas anticiper un arrêt aussi précoce. Les accords avec Netflix et avec TF1 pour la marque Téléfoot donnaient de la crédibilité au projet de même que, bien sûr, le casting annoncé avec des journalistes et consultants de qualité: Marina, Julien, Smaïl (Bouabdellah), de jeunes consultants… La présence de Johnny Séverin (rédacteur en chef) également, qui était déjà mon chef à RMC. Tout cela tendait à me rassurer quant à la viabilité du projet sur le plan éditorial, un projet excitant. À titre personnel, je bossais sur le football anglais chez RMC Sport, et là c'était l'occasion de me consacrer au football français.

 

Julien Brun. On prend toujours des risques. Quand je suis parti de Canal+ pour participer au lancement de BeIN Sports, on m'avait dit: "Tu es fou, ça ne durera pas trois ans". Là, le risque me semblait raisonnable, la question étant de savoir pour quelle raison on le prend. Si la rémunération est le moteur – et ce n'est pas forcément une mauvaise raison –, on peut se dire, a posteriori, que c'était un mauvais coup de poker. Mais je pense être parti pour de bonnes raisons. Je pourrais être dégoûté, mais je n'ai aucun regret, je suis parti par amour: j'ai suivi les droits télé. Commenter la Ligue 1 est ce que j'aime le plus, et la chaîne pour laquelle je travaillais n'avait plus les droits. Mon kif, c'est d'aller à Geoffroy-Guichard, au Vélodrome, à Gaston-Gérard… C'est un job de VRP du foot, que je fais par plaisir. Et puis, il y avait Jean-Michel Roussier (directeur éditorial), Johnny Séverin, que je respecte depuis des années, et plein de gens super… Il s'est avéré que c'était une rédaction franchement formidable. Aujourd'hui, je suis le bec dans l'eau, mais je ne regrette pas ma décision. Il y avait certainement un risque financier autour du projet, mais moi, je n'y connais rien: je crois au projet éditorial, je crois au projet humain, et si le directeur juridique de la Ligue dit que ça va bien se passer avec Mediapro, avec mon Bac -8 en droit, je ne suis pas en mesure de contester sa parole (rires).

 

Marina Lorenzo. Nous n'étions pas armés pour mesurer ce risque-là.

 

On a beaucoup entendu de critiques sur cette attribution, mais surtout a posteriori…

 


Julien Momont. Nous avions bien sûr entendu parler de la situation en Italie, où Mediapro avait finalement perdu les droits de la Serie A parce qu'ils n'avaient pas fourni les garanties exigées…

 

Julien Brun. J'ai bossé huit ans chez BeIN Sports, toute la production interne était assurée par Mediapro, comme pour les chaînes de BeIN en Espagne. Ils avaient les droits de la Liga. Tous les moyens techniques sur les grandes compétitions, c'était eux. Ce n'est pas comme si on n'avait jamais entendu parler de cette société. Elle fait de la production de matches, d'émissions, ce n'est pas une PME… Aujourd'hui, on peut dire que le business model et les garanties étaient discutables mais, humblement, cette dimension-là me dépassait.

 

Julien Momont. Des moyens considérables ont été mis en œuvre pour lancer la chaîne dans des délais très courts. Je n'ai pas senti d'économie de moyens.

 

Marina Lorenzo. Au contraire. Nous avons évoqué les personnes et les gages de qualité présentés à tous les niveaux, mais on peut aussi parler des plateaux magnifiques, en dur: les moyens techniques laissaient penser que le projet était très sérieux.

 

Julien Brun. Nous avions signé des CDI mais, en réalité, nous partions sur un projet d'attribution de droits. Cela avait beau être un CDI, les droits étant de quatre ans, cela correspondait en fait à un CDD de quatre ans. Mentalement, nous nous engagions dans un projet, un cycle…

 

 

 

 

Certains, parfois des confrères, ont estimé que vous vous étiez comportés en "mercenaires" en partant à Téléfoot…

 

Julien Brun. J'aurais bien aimé partir pour l'argent et doubler mon salaire, mais ça ne s'est pas passé comme ça (rires).

 

Marina Lorenzo. Je ne me suis pas reconnue dans ce portrait. Avoir une qualité de vie qui me convenait mieux, changer d'ambiance avec des gens que je connaissais, dans un environnement que je sentais plus sain que ce que j'avais connu auparavant, retrouver le foot: j'avais envie de changement.

 

Julien Brun. Nous n'avons pas de lien familial avec les chaînes qui nous emploient: j'ai beau être corporate et ne jamais dire du mal de mes employeurs, nous ne quittons pas non plus une famille. Il ne faut pas mordre la main qui nous nourrit, mais quand une chaîne perd des droits, elle peut aussi mettre en route un plan social. Je n'ai pas l'impression d'avoir été un mercenaire, ou alors, tous les gens qui changent de job sont des mercenaires.

 

Quelles ont été vos premières impressions?

 

Marina Lorenzo. La première a été qu'il fallait être efficace rapidement, dans des délais très courts. C'était à la fois rock'n'roll et très excitant. Je ne sais pas si je le revivrai une autre fois… C'était chouette.

 

Julien Brun. Marina ne le dira pas, mais c'est elle qui a essuyé le plus de plâtres avec une émission casse-gueule ("Au cœur des clubs"), dans laquelle tout devait se faire en direct. Pour nous autres commentateurs, les matches, c'est un exercice cadré, on sait que tout va se passer tranquillement. Pour Marina, il y avait tout à construire.


Marina Lorenzo. Nous n'avions aucun droit sur des images, tout reposait sur la réalisation de duplex avec les centres d'entraînement. Pour la première émission, j'ai dû tenir une heure trente avec seulement trois minutes de duplex en direct et tout le reste, c'était du blabla. On a comblé et fait de l'animation en plateau! J'aime ça, mais il ne faut pas non plus que ça se reproduise trop souvent (rires). Nerveusement, c'était une expérience fatigante, mais assez géniale.

 

Julien Momont. L'émission de Marina est un beau symbole de l'esprit Téléfoot sur le plan éditorial, parce qu'il y avait la volonté d'être proche des clubs, avec trois ou quatre invités de Ligue 1 ou Ligue 2, et l'idée de mettre en avant les acteurs. Malgré le Covid, les clubs ont répondu présents. C'était une très belle émission, sur un créneau difficile, le midi, mais d'une grande ri-chesse chaque jour, avec des invités incroyables.

 

Julien Brun. Ma première demande était de préserver une certaine bienveillance sur le plan éditorial. Bien sûr, les patrons disent toujours oui à ce que tu demandes, au début, mais j'y tenais vraiment. Non pas cirer les pompes, mais parler de ballon, laisser les faits à leur juste dimension, sans polémiques inutiles, ne pas faire d'un petit souci un scandale. Et j'ai vite été rassuré sur l'état d'esprit.

 

Julien Momont. C'était à la fois vrai de la part de l'encadrement, mais aussi au niveau des animateurs, et particulièrement avec les consultants: pour beaucoup, il s'agissait d'anciens pros, à peine retraités, avec des personnalités empathiques et des analyses de passionnés. Personne n'a eu à forcer sa nature.

 

Julien Brun. C'est ça: qu'il y ait des gens aux avis plus tranchés que les miens, ce n'est pas un souci, mais je ne voulais pas qu'on m'y contraigne. Chacun était dans cet esprit-là, tout le monde avait ce côté mesuré, bienveillant – c'est un peu neuneu de dire ça, mais parler juste de football, c’est agréable.

 

Julien Momont. Et ça n'empêche pas de poser des questions dérangeantes!

 

Marina Lorenzo. Tout dépend du ton employé. Je ne m'interdis aucune question. Mais le ton, la manière dont on l'amène, ce qu'on montre de la compréhension du milieu, des impératifs de chacun est primordial. Si nous n'avons pas été dans cette culture du buzz, c'est parce que nous avions tous pour principe d'essayer de comprendre. Nous allions poser la question emmerdante, mais pas forcément gratter quinze fois pour obtenir une réponse.

 

Julien Momont. La question "mercato", il faut parfois la poser, mais Marina ou Pierre Nigay sont capables de la placer de manière sympa. Tourner les questions de sorte qu'elles ne soient pas mal prises, c'est l'art de l'animation.

 

Julien Brun. Sur la question des transferts, il y avait des journalistes spécialisés, une vraie cellule bien armée qui sortait des infos. Ce n'est pas mon point fort, mais j'ai pu me concentrer sur ce que je savais faire: commenter, animer, sans avoir à poser mille questions pour obtenir des infos des agents.

 

On a perçu une approche nettement qualitative: plus de jeu, moins d'à-côtés. Cette ligne éditoriale résultait d'une volonté explicite de votre rédaction en chef?

 

Julien Brun. Non, ça n'a jamais été aussi explicite.

 

Marina Lorenzo. Cette approche découle de l'équipe qui a été recrutée. Si on ne rentre pas dans la polémique, on se concentre sur le jeu.

 

Julien Brun. C'était implicite. J'ai pris un plaisir fou, le samedi après-midi. On n'avait pas forcément le meilleur match à 17 heures, mais c'était toujours un match sympa. Le mercredi ou le jeudi, quand je croisais Julien dans les couloirs, il avait toujours des éléments à me donner sur le jeu. Je lui disais: "Je commente Metz", et il me donnait la petite info sur le numéro 6 de l'équipe qui joue entre les lignes. Si je devais commenter Lens, il me parlait de Badé qui commençait à évoluer plus haut… Je transmettais les infos de ce genre à Smaïl, mon voisin du bureau, qui était toujours preneur. Smaïl, il aime le foot! Donc tu mets une idée de Julien dans le conducteur, Smaïl ajoute sa touche, et les consultants Benoît Cheyrou ou Christophe Jallet enchaînent dessus. Tout ça partant d'une discussion informelle… Nous avons pris un plaisir immense. Nous avons parlé de jeu, nous nous sommes marrés. J'ai eu l'impression de bien bosser: d'apprendre des choses, de les transmettre avec un bon consultant à côté, de décortiquer le jeu. J'ai souvent eu le sentiment de passer un très bon moment. Quand, en plus, un entraîneur vient te dire que tu as bien fait ton boulot, c'est agréable.

 

Marina Lorenzo. Parfois, les entraîneurs ou les joueurs étaient surpris que nous parlions autant de jeu. Même au-delà des matches. Dans mon émission, j’interviewais des joueurs, il fallait leur donner envie de parler: avec quatre ou cinq invités par jour, il fallait se renouveler, et donc leur parler de foot, de jeu.

 

 

 

 

On arrive à briser le barrage de la langue de bois?

 

Marina Lorenzo. Si tu leur montres que ça t’intéresse, que tu as bossé le sujet, bien sûr qu'ils répondent! Il ne faut pas que la question soit trop basique, sinon, effectivement, on va vite avoir droit à "Tu me saoules avec ton 4-4-2".

 

Julien Brun. Et puis, nous leur avons montré des images. Certains étaient même gentiment énervés que nous voulions autant décrypter. Mais je pense qu'ils se disaient qu'ils pouvaient nous prendre au sérieux. Je peux comprendre la réticence face aux journalistes. Nous avons parfois l'impression de comprendre le jeu alors que nous avons souvent une vision superficielle du travail d'un coach. Pour eux, se dire que les sujets abordés n'étaient pas juste survolés devait être agréable.

 

Julien Momont. Les coaches sont plus ou moins enclins à parler de jeu, mais la plupart étaient de bonne volonté. Quand nous recevions Rudi Garcia ou Jérôme Arpinon, nous leur montrions des extraits de match, et alors ils s'exprimaient assez volontiers. Accepter l'exercice n'est pas évident, certains n'ont pas envie de justifier leurs choix. Mais nous avons souvent pu partager une vraie volonté de parler de jeu, de ce qui se passe sur le terrain.

 

Dans les après-match, il y avait des questions tactiques aux entraîneurs, et de vraies réponses. C'était inhabituel…

 

Julien Brun. Je ne veux pas cirer les pompes de Julien, mais peu de journalistes analysent le foot comme lui – en tout cas à la télé. La rédac comptait beaucoup de journalistes dingues de foot, de vrais amoureux de ce sport, alors que ce n'est pas toujours le cas. Et nous avons eu la chance d'avoir des consultants hyper impliqués, très intelligents. Mathieu Bodmer est un puits de science, Benoît Cheyrou est super fort, Christophe Jallet se rappelle tout, jusqu'au contrôle de l'arrière gauche de Metz à la troisième journée, Benjamin Nivet sait plein de choses… Nous avons bénéficié d'une sorte de génération spontanée de consultants.

 

Il n'y a vraiment pas eu de directive de la part des chefs en faveur d'une approche plus qualitative, plus approfondie, plus centrée sur le football?

 

Julien Brun. Je n'ai jamais vraiment eu de grandes consignes éditoriales, que ce soit à Canal ou BeIN.

 

Julien Momont. Disons que cela faisait partie du projet éditorial global, au travers du profil des personnes recrutées. J'ai été embauché pour tenir ce rôle: faire des palettes, les montrer aux coaches et les faire réagir dessus.

 

Marina Lorenzo. C'était une chaîne 100% football, le jeu était au cœur de notre boulot, avec beaucoup de temps d'antenne: nous ne pouvions pas nous contenter de poudre aux yeux…

 

Cela semble quand même à contre-courant de la tendance à faire des "shows" avec beaucoup de polémiques, dans lesquels chacun joue un personnage.

 

Julien Brun. Cela dépend du casting, et des modes. Aujourd'hui, M6 ou TF1 font de vrais débriefs après les matches des Bleus, durant lesquels on parle de foot, en montrant des séquences de jeu. Peut-être qu'après s'en être beaucoup éloigné, on redonne sa place au jeu.

 

Julien Momont. Sur RMC Sport, avec Laurent Salvaudon (directeur de la rédaction), nous avions déjà cette volonté de parler de jeu, et Johnny Séverin avait cette idée en tête en prenant des gens comme moi et d'autres de RMC. Comme ceux qui venaient d'ailleurs privilégiaient aussi cette approche, nous nous complétions bien, il n'y a pas eu de clans.

 

Marina Lorenzo. Au-delà du fait que la rédaction aimait le foot, il n'y avait pas non plus beaucoup d'ego.

 

Julien Momont. Oui, la star, c'était le produit. Nous n'avons pas eu à forcer notre nature.

 

Marina Lorenzo. Et pas eu le temps de nous détester! (rires)

 

Ces nouveaux consultants, vous avez été associés à leur choix? Comment s'est passée leur formation?

 

Marina Lorenzo. Mon émission reposait sur les consultants, car j'étais accompagnée d'un ou deux d'entre eux en plus de mes invités. Quelques noms avaient été cités, et quand j'ai entendu celui de Bodmer, j'avais un a priori très positif. Nivet, voyant le sérieux de sa carrière, cela semblait aussi un très bon choix. Hormis Pierre-Yves André, qui avait de l’expérience en télé, ce n'était que des débutants, comme Florent Balmont. Je me suis adaptée à eux, à leur personnalité, je leur ai donné des conseils pour les interviews. Ils étaient très à l'écoute. Ce sont des mecs intelligents, humbles, avec une réelle volonté d'apprendre. Ça a tout de suite été très fluide.

 

Julien Brun. Je n'avais pas été consulté, mais, depuis que je travaille, j'ai toujours tenu une liste de joueurs dont je me dis: "Tiens, lui, il ferait un bon consultant". Ma liste comporte une quarantaine de noms…

 

Julien Momont. Tu es scout de consultants, en fait! (rires)

 

Julien Brun. Mais oui, ça fait partie du métier! Quasiment tous ceux retenus par Téléfoot étaient sur ma liste. Jallet, je ne le connaissais pas plus que ça, mais je lui avais envoyé un message, il y a quelques mois, pour lui parler du métier du consultant. Bodmer, à la fin de sa carrière, il était parfois dans le groupe, parfois 18e ou 19e de la liste, et chaque fois que je discutais avec lui sur le bord du terrain avant le match, il m’impressionnait: "Ah, je suis allé voir la réserve du Paris FC", etc. La volonté était de recruter des gens qui aiment vraiment le foot. Ce sont tous des mecs qui ont fait des carrières remarquables, ils sont dingues de foot. Et toujours, ils posaient la question, à la fin d'un match ou d'une émission, pour savoir si ça s'était bien passé. Comme ils ont un passé de joueur, qu'ils ont répondu à des interviewes, on imagine qu'ils savent faire le job, mais en fait, ils sont preneurs de conseils pour progresser.

 

Julien Momont. Ce qui donne l'identité d'une chaîne, ce sont les droits, les animateurs et les consultants. Pour les droits, nous avions 80% du foot français, la L1 et la L2, c'était déjà très fort. Les animateurs avaient été appréciés partout où ils étaient passés. Quant aux consultants, ils avaient un caractère de nouveauté qui collait bien au projet d'un nouveau diffuseur. Les consultants, au sortir de leur carrière pro, ont une proximité avec les joueurs, le jeu – ce qui peut manquer à d'autres, plus installés, qui ne sont plus trop au contact des footballeurs et des entraîneurs. Mon rôle ne devrait pas exister dans une rédaction: ce devrait être celui d'un consultant. Ils ont un vécu, une expertise que nous n'avons pas. Bodmer, Jallet, tu leur montres une palette, ils savent de quoi ça parle.

 

Julien Brun. Nous n'avons pas eu de bol parce qu'avec l'épidémie, nous n'avons connu que des stades vides et il y a eu moins de moments de convivialité autour des matches. Pourtant, les consultants ont très vite formé une petite famille, ils sont vite devenus tous potes entre eux, et potes avec nous.

 

 

 

 

L'épidémie a ajouté à la singularité de l'aventure. Comment avez-vous vécu les stades sans public, les contraintes?

 

Marina Lorenzo. Commencer dans l'adversité, entre les délais pour lancer la chaîne et la pandémie, c'était très pénalisant. Pour mon émission, l'idée de départ était bien plus ambitieuse: il s'agissait de visiter les centres d'entraînement, de passer dans les salles de soin avec le kiné, de se balader en cuisine pour voir ce que les joueurs mangent… À l'arrivée, pour faire rentrer les caméras dans les centres, il fallait un test PCR, les repas collectifs étaient supprimés. Ça nous a un peu coupé les pattes.

 

Julien Brun. Le produit dans le stade est dégradé, c'est évident. Nous avons quand même pris du plaisir. À vrai dire, je pensais que ce serait pire. La vie sociale est dégradée pour tout le monde, mais pour nous aussi, professionnellement. Au stade, c'est une vie de couple ou de "trouple", avec ton consultant et ton "bord terrain". En temps ordinaire, tu prends le train, tu te fais un petit resto avant, ensuite c'est le match, le petit verre d'après rencontre…

 

Julien Momont. Tu es vraiment payé pour ça?

 

Julien Brun. Oui, ce métier est la plus grande escroquerie du monde, j'en suis conscient, c'est pour ça qu'il ne faut pas que ça s'arrête! (rires) Avec toutes ces contraintes, il était plus difficile de créer ces liens, mais nous avons fait différemment. À Brest par exemple, nous avons mangé notre McDo sur le capot de la voiture avec Benoît Cheyrou, et il y a eu beaucoup de moments très sympas de ce genre. C'est miraculeux, nous avons réussi à créer de l'attachement entre les consultants et les journalistes. Quelque chose restera sans doute de tout cela: nous avons bossé là, et nous avons de vrais bons souvenirs ensemble.

 

Comment cela s'est-il passé quand les premières rumeurs sont apparues à l'automne?

 

Marina Lorenzo. Ça nous a bien fait marrer! (rires)

 

Julien Brun. Étant d'un naturel assez pessimiste, j'ai assez vite senti les choses tourner mal. Tout une partie des collègues était pessimiste, d'autres étaient plus optimistes, ou combatifs. Je sais gré à ces gens-là d'avoir tenu, de nous avoir dit de ne pas avoir peur: grâce à eux, je ne me suis jamais dit à 100% que c'était mort.

 

Marina Lorenzo. Nous nous sommes collectivement tenu la tête hors de l'eau.

 

Julien Brun. Le plus compliqué, c'était au stade. J'étais le visage de la chaîne, et je ne savais pas comment j'allais être reçu. Dans les clubs, certains risquaient de ne plus être payés. J'ai mal vécu les deux mois durant lesquels on ne savait pas.

 

Julien Momont. Il y a eu un certain fatalisme, qui s'est traduit en blagues entre nous, pour dédramatiser. Nous avions à cœur de remplir notre mission jusqu'au bout. Des gens nous regardent, nous aimons notre métier, et nous avons aussi une dignité! (rires) Et puis, les enjeux nous dépassaient.

 

Julien Brun. Nous avons aussi relativisé notre malheur: c'est un tsunami professionnel, un fiasco pour le foot français, mais il y a des centaines de milliers de gens qui perdent leur job avec la pandémie.

 

Marina Lorenzo. Nous avons été obligés d'en rire. On nous a dit: "Il n'y a pas de problèmes" pendant des semaines, la direction nous a protégés au maximum, elle a continué à faire avancer les projets.

 

Julien Momont. Nous ne sommes pas les plus à plaindre dans ce malheur, avec nos CDI, en comparaison des pigistes, et du reste de la société.

 

Cela reste un coup dur pour vos parcours professionnels respectifs?

 

Julien Momont. Ce projet représentait une forme d'aboutissement, avec beaucoup d'ingrédients très positifs. Je me voyais là longtemps, heureux dans mes missions, avec des moyens pour les mener à bien, ce qui est rare dans une rédaction.

 

Marina Lorenzo. Ça commençait à ressembler à la vie idéale! (rires) Tu parles de ce que tu aimes, il y a une bonne ambiance et des collègues avec qui tu te sens bien, une direction qui te respecte… C'est rare de trouver tout ça dans un même projet.

 

Julien Momont. Beaucoup de jeunes se sont vus donner leur chance – aucune rédaction aujourd'hui ne permet de progresser aussi vite que c'était le cas chez Téléfoot. L'arrêt est d'autant plus cruel pour eux, car ils avaient les moyens de montrer de quoi ils étaient capables.

 

Julien Brun. Cela fait quinze ans que je bosse pour arriver à ça, alors quand ça s'arrête, ça fait mal. Tu reçois mille messages, "Je ne m'inquiète pas pour toi, tu vas rebondir!" Ne dites jamais ça! (rires) Je pense que ça représentait 90% des messages: c'est très gentil, c'est peut-être vrai, mais une carrière se construit en termes de crédibilité, en obtenant des missions de plus en plus intéressantes. Là, boum, ça s'arrête. En ce moment, je regarde la Ligue 1 tous les week-ends, et ce n'est pas moi qui commente! Je ne suis pas jaloux, c'est top pour eux, mais mince, ça pique un peu.

 

Marina Lorenzo. Tu arrives à regarder? Moi j'ai eu besoin d'un sas de décompression, c'était horrible.

 

Julien Brun. J'aurais aimé avoir un sas de décompres-sion, j'ai voulu faire un stage de char à voile juste après la fin de l'antenne: il n'y a pas eu de vent, la lose jusqu'au bout! (rires) Ta carrière, tu la mènes un peu comme tu peux, mais tu essayes de construire quelque chose. Et là, je me retrouve, non pas au point de départ, mais avec un énorme point d'interrogation devant moi. Alors, bien sûr, je prends ces messages comme des compliments, mais rien n'est acquis. Tu restes à la merci de l'envie d'un patron de travailler avec toi. Moi, je ne veux pas faire autre chose, je veux continuer!

 

Marina Lorenzo. C'est un sacré vertige. Ce sont des métiers qu'on aime, avec des rythmes de boulot un peu frénétiques, qui laissent peu de place à la réflexion. Alors quand ça s'arrête, ça met un coup.

 

Julien Brun. Et puis, ce sont des boulots où nous sommes remplaçables, dans un milieu concurrentiel. Des gens qui commentent des matches ou animent des émissions, il y en a plein.

 

La page est tournée désormais? Qu'est ce qui domine désormais: la colère, le ressentiment?

 

Marina Lorenzo. Un sentiment de gâchis avant tout.

 

Julien Brun. Je suis plus triste qu'en colère.

 

Marina Lorenzo. C'est ça. Qui est responsable? Tout le monde et personne en même temps. Il faut rester fiers de ce que nous avons fait, assumer nos choix. Cela ouvrira la porte à d'autres possibilités.

 

Julien Momont. Marina parle de gâchis, c'est le mot. Tout était réuni pour que nous nous y retrouvions, que les acteurs s'y retrouvent et les spectateurs aussi. C'était gagnant-gagnant pour tout le monde. Alors aujourd'hui, c'est un gâchis pour tout le monde. Il est difficile d'être en colère contre des événements sur lesquels on n'a pas de prise. Cela s'est fini beaucoup trop tôt, on aurait pu développer d'autres projets, mais je préfère éviter le ressentiment, et retenir que j'ai vécu des moments forts avec des gens super.

 

Y a-t-il aussi de la frustration de se dire qu'en définitive, peu de téléspectateurs auront profité de ce travail, de tous ces efforts?

 

Marina Lorenzo. C'est vrai qu'il y a eu peu d'abonnements.

 

Julien Brun. Mais beaucoup de piratage…

 

Marina Lorenzo. J'ai eu plein de retours de gens qui disaient: "Il paraît que c'est bien". Nous avons réussi à donner une image positive alors qu'il n'y avait pas beaucoup de monde devant l'écran. C'est une forme de performance.

 

La fin de l'antenne a suscité des émotions fortes…

 

Marina Lorenzo. Ma dernière émission avait lieu le vendredi, et nous avons su la veille au soir que tout s'arrêtait. Tu te prépares, mais le jour où ça tombe, c'est dur. Les messages de sou-tien sont à double tranchant, ils aident à tenir, mais ils rappellent le gâchis de cette aventure: "Tout ça pour ça?"

 

Julien Momont. Que l'aventure ait pu susciter ce genre d'émotions en seulement six ou sept mois, cela démontre claire-ment qu'elle a été humainement très forte. Les chances de retrouver une équipe de ce niveau sont proches de zéro. C'était presque la chance d'une vie.

 

Julien Brun. Avec Julien, nous avons fait la dernière émission. C'était très dur, il y avait du monde sur le plateau pour la première fois, des gens qui perdaient tous leur job… Ma femme m'avait dit: "Tu n'as pas le droit de pleurer, il y a une épidémie, vous parlez de foot, ce n'est pas si grave". Elle a raison, mais même si je sais que ce n'est pas un drame, il y a quand même le poids des gens que tu vois ou que tu ne vois pas, mais qui sont tous là sur le plateau. L'antenne terminée, j'étais vidé.

 

Sommes-nous à un tournant pour le football télévisé? L'échec de Téléfoot annonce-t-il une remise en cause du modèle actuel?

 

Marina Lorenzo. Je pense que cette expérience va finir de faire exploser le système. Moi-même, dans ma façon de consommer du foot, je fonctionne différemment. Les jeunes générations regardent de moins en moins le foot, ils ont du mal à suivre des matches en entier. La consommation de ce sport change, et l'explosion de cette bulle n'est pas anodine. Tout n'a pas été géré dans l'intérêt général du football dans cette affaire. Ceux qui commercia-lisent ce produit vont devoir s'interroger. On a pris le risque d'éloi-gner les fans du foot.

 

Julien Momont. Les chaînes de télé et les médias en général mènent une réflexion sur les usages et sur la façon de capter l'attention des jeunes. Ils tâtonnent. L'offre de Free (des extraits disponibles en quasi-direct) est conçue dans cette optique… Est-ce que le marché est mûr pour passer au tout-numérique? Je ne sais pas, beaucoup de gens continuent de regarder les compétitions de manière traditionnelle sur leur télévision.

 

Julien Brun. Je ne suis pas persuadé qu'il faille tout changer. Si des gamins n'arrivent plus à tenir quatre-vingt-dix mi-nutes, on ne va pas faire des matches de vingt minutes. Côté diffusion, il y aura nécessairement des changements de plateformes, de modes d'abonnement et de consommation, mais ça ne changera pas le football en soi.

 


 

Réactions

  • Tonton Danijel le 03/09/2021 à 01h42
    En tout cas, merci pour ces échanges. Je n'ai pas vu "Téléfoot" pour en juger mais sur Bein Julien Brun m'a toujours donné l'impression d'un mec bien et équilibré, content qu'il ait retrouvé du boulot après cette expérience!

  • Utaka Souley le 03/09/2021 à 13h10
    Oui, merci pour ces interviews. On sent des gens qui ont aimé participer à l'aventure, qui ont fait de leur mieux et à les lire, je me dis que j'aurais pu prendre du plaisir à les suivre, que j'ai sûrement raté quelque chose d'intéressant.

  • Tonton Danijel le 03/09/2021 à 18h53
    Puis ils précisent qu'ils ont fait ce pari car ils adorent couvrir la Ligue 1 (ce que les "transferts" de Brun et Lorenzo sur Prime confirme), ça change du faux-culisme du CFC qui présente la Premier League comme le seul championnat digne d'intérêt... quand ils n'ont pas les droits de la Ligue 1.

  • vertigo le 03/09/2021 à 21h39
    Je confirme que Téléfoot c'était bien, l'émission de Marina Lorenzo notamment qui couvrait la L1 et la L2 et qui permettait de faire découvrir plein d'acteurs joueurs, staff, dirigeants. Et également qu'ils n'étaient pas dans le sensationnel. Dans mon souvenir ils n'ont pas fait une semaine de débats sur le PSG-OM qui était parti en sucette, par exemple.

    La ligne éditoriale aurait peut-être changé avec le temps, on ne le saura jamais, mais le fait que ça se soit arrêté aussi vite est bien dommage pour tout le monde.

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