Sanctions : les Verts en enfer ou au purgatoire?
Retrait de points, une première attendue
Une précision s'impose d'abord, concernant l'article publié avant que les attendus de la Commission juridique n'aient été rendus publics (7 points, 2 mois et un an). Les sept points retirés semblaient en effet correspondre aux points acquis par les verts entre la 17e et la 22e journée. Mais il faudrait n'y voir qu'une coïncidence, la Commission ayant considéré que la faute stéphanoise méritait une sanction de cet ordre, sans chercher à la corréler aux résultats ou aux matches disputés en "situation irrégulière". Cette amende "forfaitaire" nous semble plus logique dans son principe, puisqu'elle crée un précédent, une jurisprudence, fixe une sorte de barème à l'aune duquel les sanctions futures pourront être décidées. Sur le fond et malgré les circonstances dramatiques pour le foot français, on ne peut que se féliciter que la Ligue se résolve à punir sportivement une telle fraude, en regrettant vivement qu'elle n'ait pas pratiqué plus tôt le retrait de points. Les sanctions financières ou les suspensions ne peuvent en effet totalement réparer les préjudices subis au sein de la compétition, et maintiennent l'impression d'une certaine impunité des clubs (voir la saison passée l'affaire OM/Monaco, qui avait laissé une amertume certaine à de nombreux observateurs). L'arbitraire de cette décision peut paraître excessif, mais c'est à un tel arbitraire que s'exposent ceux qui commettent des fautes aussi graves…
Les aléas de la justice sportive
Concernant la suspension d'un an de Gérard Soler, le risque pris par la Ligue est bien que la justice civile prononce un non-lieu en sa faveur, ce qui fragiliserait rétrospectivement sa décision. Ceci dit, il faut bien rappeler que la justice sportive ne met pas en examen les mêmes fautes, et que dans l'affaire qui nous préoccupe, on ne peut occulter la responsabilité des dirigeants, qu'ils aient eu ou non un rôle actif dans la supercherie. Même si Gérard Soler n'a pas directement incité les joueurs incriminés à se munir de faux passeports, il est administrativement responsable des documents qu'il a présentés à la Ligue. Cette dernière est elle aussi, et au même titre, coupable d'avoir bien légèrement homologué des nationalités sur la base de faux grossiers, ainsi que d'avoir laissé par pure négligence se développer une situation qui trouve aujourd'hui son dramatique aboutissement (voir Faux passeports et vrais procès). Mais dans tous les cas, la "relaxe" des responsables stéphanois n'aurait fait qu'aggraver le laisser-aller général.
Reste à savoir si le Conseil d'administration de la Ligue va porter le cas d'Alain Bompard, un de ses vice-présidents, devant la commission de discipline, comme l'a suggéré la Commission juridique. Car en l'état, la décision de cette dernière est incomplète et recèle un compromis politique manifestement conçu pour sauver un personnage majeur de l'élite professionnelle, même si celui-ci adresse une partie de ses menaces à des confrères avec lesquels il semble être entré en guerre. La raison politique l'emportera-t-elle dans les couloirs?
Des sanctions spectaculaires, mais relatives
Pour mieux voir, derrière leur apparence spectaculaire, la réalité plus mesurée de ces sanctions, quelques rappels sont nécessaires. D'abord, certains prônaient une sévérité totale et une relégation directe en D2. Pour improbable qu'elle puisse paraître (surtout parce que la Ligue n'oserait pas en venir à cette solution extrême), cette condamnation était possible, elle ne tenait qu'à une interprétation différente du règlement. Ensuite, s'il est confirmé qu'il reste dans l'effectif, Alex pourra rejouer dans un peu plus d'un mois, alors qu'une absence plus longue aurait peut-être coûté plus de sept points à son équipe, en extrapolant un peu. L'attaquant brésilien (comme son compère Aloisio quand celui-ci aura récupéré de sa grave blessure) conserve aussi sa valeur marchande, même si certains prédateurs vont tenter de profiter de la fragilisation du club pour acheter à meilleur marché. Ensuite, Gérard Soler est privé de fonctions officielles, mais il peut continuer à travailler avec techniquement les mêmes prérogatives.
Mais on ne mesurera l'ampleur de ce retrait de point qu'en fin de saison, lorsque l'on constatera s'il a été fatal ou non à l'équipe stéphanoise. Dans l'hypothèse d'un maintien, l'ASSE en serait quitte pour une "crise de croissance" et une grosse frayeur, et sauverait clairement les meubles. Elle subira le préjudice financier d'une prime au classement plus faible (issue de la répartition des droits de télévision), voire, en étant "optimiste", celui d'une privation de Coupe d'Europe si les Verts arrivaient à remonter en milieu de tableau. Le club sauverait pourtant son avenir et pourrait repartir sur des bases encore solides. À l'inverse, une relégation imposerait évidemment une tout autre interprétation et aurait des conséquences dramatiques, avec un radical changement de destin. Mais au moins reste-t-il aux coéquipiers de Wallemme la chance d'en décider eux-mêmes …
Enfin, n'oublions pas que les recours annoncés par les dirigeants obtiendront peut-être le retour d'une certaine clémence, selon un complaisant processus d'appel, désormais classique.
Bompard dangereux pour les Verts?
Pour cruelles qu'elles soient aux supporters stéphanois, ces sanctions ne constituent donc pas une condamnation définitive du club, et nous pourrions parier sur le sursaut de l'équipe stéphanoise, soudée face au vent contraire (voir Saint-Étienne marche sur une mine. A condition que Bompard n'entraîne pas l'ASSE dans un enchaînement de recours, de propagande et de polémiques qui pourraient perturber l'opération "sauvetage" en jouant sur un victimisme qui deviendrait fatal à l'équipe elle-même. Son discours belliqueux et vindicatif laisse planer une telle menace sur la sérénité de son groupe. Les clubs ont souvent pâti des dérives égocentriques de leurs dirigeants, l'AS Saint-Étienne étant bien placée pour s'en souvenir. Les supporters verts ne sont d'ailleurs pas dupes de la responsabilité des patrons de leur club, et Bompard serait bien inspiré de trouver sa rédemption sur le terrain plutôt que devant les micros ou les tribunaux.
On constate finalement la difficulté à qualifier les sanctions stéphanoises de manière univoque et définitive. Les débats sont vifs à ce sujet, et les "points de vue" pour analyser cette affaire sont multiples. Personne ne peut totalement y trouver son compte, mais le plus important est que dans les autres cas de ce dossier comme dans ceux qui se présenteront à l'avenir, la Ligue garantisse la fermeté et la cohérence de sa politique disciplinaire. Pour sa crédibilité dans l'immédiat, tous les clubs reconnus coupables de fraudes similaires devront être sanctionnés selon la même logique, sous peine, dans le cas contraire, que l'ASSE ne fasse office de bouc émissaire. Auquel cas le foot français aura encore régressé dans ce domaine. On a un peu peur…