En vert ou à l’envers ?
Août vient à peine de s’achever et déjà l’ASSE a passé, peut-être sans s’en rendre compte, un tournant dans sa saison. Pour quel parcours ensuite?
Depuis plusieurs saisons, Roland Romeyer et son staff se montrent plutôt habiles sur le marché des joueurs. Mais est-ce véritablement bon signe? Faut-il être à chaque fois adroit, habile pour s’en sortir, et que se passera-t-il le jour où cette politique connaîtra une moindre réussite?
Vendre et valoriser
Depuis plusieurs saisons, l’AS Saint-Etienne a pris l’habitude de bien vendre ses meilleurs et jeunes éléments: Payet, Matuidi et – pour remonter plus loin –, Gomis ou même Camara. Telle est la politique généralement mise en œuvre par les clubs ne bénéficiant pas des largesses d’un mécène, c’est-à-dire tout le monde sauf Paris, Monaco et, dans une moindre mesure, Marseille. La condition est de posséder un bon centre de formation et d’optimiser les recrutements. Pour le premier volet, la pépinière fonctionne et alimente l’équipe première: Perrin, Sall, Ghoulam, Zouma, Guilavogui sont passés par la réserve. Saint-Maximin ou Diomandé semblent proches de titularisations régulières.
Christophe Galtier et ses collègues ont également su attirer les profils idoines. Des joueurs expérimentés comme Ruffier ou Brandao, quelques bonnes surprises aussi: Mollo, ostracisé sûrement avec raison par Jean Fernandez à Nancy et que l'entraîneur a su gérer, et surtout Aubameyang, l’exemple le plus remarquable au vu de sa progression spectaculaire dans le Forez. Le prochain sur la liste pourrait être Hamouma, brillant par intermittence, et qui rappelle la trajectoire de Payet à son arrivée. Et c’est la solidité financière de l’ASSE qui a permis sa venue l'an passé: contrairement à Vincent Labrune, Romeyer a pu signer le chèque à Caen.
Guilavogui, le prix d'un départ
Pourtant, à deux jours de la fin du mercato, la vente de Guilavogui a été conclue afin de financer la venue de Mollo et Erding. Les ressources issues de la vente d’Aubameyang sont passées dans les achats de Corgnet, Baysse et Tabanou... et surtout dans le rééquilibrage des comptes de la saison dernière. Car le club n’a pas été capable, structurellement, de se suffire à lui-même. La vente du nouvel international français s’apparente ainsi à un expédient, à une réponse conjoncturelle face à un besoin urgent. Dommage pour le projet sportif.
Roland Romeyer nuance cette déception dans une interview parue dans les colonnes de La Tribune-le Progrès, le 4 septembre: "Son départ n’aurait pas été une nécessité si Ghoulam était parti. Même si, au prix proposé par l’Atlético, je l’aurais peut-être vendu quand même. (…) L’année prochaine, nos comptes n’auraient pas été équilibrés. Il aurait fallu vendre quelqu’un comme c’est le cas partout ailleurs. Avec ce transfert, je peux déjà assurer qu’au mois de juin 2014, le bilan sera positif." Tout en reconnaissant l’obligation d’être pérenne financièrement. "Il faut qu’on développe nos ressources". Que se passera t-il si un jour l’actif joueur est épuisé? La question ne se pose pas encore: Ruffier, Zouma, Perrin – si mal reconnu – ou Hamouma pourraient encore servir de monnaie d’échange.
Le revers danois
L'intersaison, côté départs, a donc été marquée par le transfert d’Aubameyang à Dortmund pour treize millions d’euros. Le Gabonais n’a pas été remplacé et il manque une flèche sur un côté pour embraser le jeu stéphanois. Les victoires à Ajaccio et face à Guingamp ont été celles d'une efficacité peut-être en trompe-l’œil. En résumé, le groupe est solide, il se connaît mais ne met pas le feu. Cependant, Aubame n’était pas seulement un dragster: sous ses allures extravagantes, il était apprécié dans le vestiaire et en dehors [1]. L'effectif compte-t-il un profil similaire ou bien Galtier doit-il réfléchir autrement? Pour l'heure, Saadi étant trop juste et Saint-Maximin trop jeune, Brandao et Hamouma sont seuls sur le front. Erding et Mollo ont été acquis à bon prix (3,5 millions d'euros au lieu de 5 demandés pour l'ancien Rennais et 2 millions au lieu de 4 pour l'ancien Nancéen) dans les dernières heures du marché d’été, signe de l'attractivité du club.
Mais en l’espace d’un aller-retour, contre Esbjerg, les Verts ont beaucoup perdu. Au Danemark, où s'est jouée l'élimination, et à Geoffroy-Guichard, où les joueurs ont fini de dissiper le rêve européen de milliers de supporters. Dans les incertitudes du début de saison, avec ses signes contradictoires, difficile de pronostiquer le niveau de l'équipe. Roland Romeyer joue l'optimisme: "Stabilité, sérénité, solidarité, voilà ce qui nous fait avancer. Là, le gardien de but et la défense n’ont pas bougé. Au milieu, seul Corgnet est arrivé pour remplacer Bodmer. Devant, Hamouma, Mollo, Tabanou, Erding… sont de bons joueurs. (…) On a une belle équipe. J’ai confiance, je suis optimiste".
Un statut incertain en Ligue 1
La greffe prendra t-elle? S’ajoute le problème Ghoulam, remplaçant – voire plus – de Brison sur le flanc gauche de la défense. Sa mise à l’écart, sans doute tout à fait légitime d’un point de vue interne et de management d’une équipe (volonté de départ de la part du joueur, prétentions salariales gourmandes, attitude un peu légère?) pose problème sur le plan sportif – sans atteindre toutefois les extrémités atteintes à Lyon avec Gomis. Le président stéphanois rappelait dernièrement sur RMC: "Soit c’est la CFA2 toute l’année, soit il change des trucs et il réintégré". Exemple lors du retour face à Esbjerg: le couloir gauche est tenu par Clerc, qui par un jeu de chaises musicales est remplacé par Zouma à droite. La charnière centrale est alors tenue par Perrin et par Sall (sa reprise sous la barre et son fabuleux jeu long...).
Des incertitudes, beaucoup de questions, et peu de réponses. Les atouts sont pourtant réels et peuvent faire des envieux chez nombre de présidents de L1, sans peut-être justifier le statut d'outsider vite accordé à l'équipe dans les présentations de la saison. Le club est bien structuré (la rénovation du stade se poursuit, le musée des Verts ouvre en décembre – une bonne idée dont il faudra reparler), est géré avec rigueur (n'oublions pas le salary cap maison) et attire des joueurs réputés – un signe positif. Sur le plan de l’effectif, seuls Paris, Monaco et Marseille sont franchement devant. Lyon et Lille entretiennent leurs doutes, Nice doit digérer sa croissance soudaine, Bordeaux, Montpellier ou Rennes semblent un cran en dessous...
Surtout, l'ASSE a gagné face à Bordeaux en poussant et en se procurant des occasions, juste le jour où il lui fallait reconquérir son public. Malgré toutes les réserves formulées ici, et en attendant d'y voir plus clair, le classement place aujourd'hui dix-sept équipes derrière les hommes verts.
[1] La preuve: délesté de ses trois voitures lors de la nuit de la victoire en Coupe de la Ligue, les bandits laissent – rendent? – les bolides (certes assez voyants) sur la voie publique, sans trop de dégâts.