Plonger
L'histoire tragique de Robert Enke, gardien de la Mannschaft qui s'est donné la mort en 2009, a inspiré l'écrivain Bernard Chambaz...
Auteur : Kenneth de Bier
le 3 Août 2011
Le 10 novembre 2009, pendant que l’Allemagne célèbre les vingt ans de la chute du Mur de Berlin, un autre mur s’écroule. Robert Enke met fin à ses jours en se plaçant volontairement sur la route d’un train, sur un passage à niveau de la banlieue de Hanovre. Dépressif, irrémédiablement affecté par la mort de sa jeune fille trois ans auparavant, le gardien de la Mannschaft n’aura pas réussi à enrayer sa propre chute, malgré la perspective de disputer la Coupe du monde en Afrique du Sud. Pour le natif d’Iéna, c’est la fin de l’histoire.
Formé au FC Carl Zeiss Iéna, passé par Mönchengladbach, Robert Enke a connu une carrière chaotique. Placé sous le signe de l’exil, son parcours l’emmènera du Benfica Lisbonne au FC Barcelone, à Istanbul et même en seconde division espagnole, à Tenerife, jusqu’à son retour à Hanovre où il trouvera une forme de stabilité malgré la dépression qui l’affecte depuis 2004.
Plonger, c’est le geste emblématique du gardien de but, mais également la descente interminable dans la dépression, jusqu’au suicide. Profondément marqué par les circonstances de la mort d’Enke, Bernard Chambaz lui rend hommage dans un récit poétique en forme de fugue, qui fait se répondre le destin individuel du gardien de but, l’histoire du football et l’histoire d’un pays disparu – la RDA – comme autant de sujets et de contrepoints. Avec délicatesse, le texte tente de retracer les dernières vingt-quatre heures de la vie de Robert Enke, heures qui font office de trame pour un jeu de correspondances qui invoquent pêle-mêle Rosa Luxemburg, Goethe, la vie d’Enke, Garrincha, Hegel, et la difficile réunification d’un pays meurtri.
Entre anecdotes personnelles et évocation de figures mythiques, Plonger se situe sur un point d’équilibre fragile ; évitant l’écueil du pathos facile, le texte laisse à Robert Enke la place qui convient pour ne pas faire de sa disparition un simple prétexte à littérature. À la fois sujet de fugue et palimpseste dans lequel se lisent l’histoire d’un sport et d’un pays, la figure d’Enke fournit une paradoxale vitalité à une écriture qui se nourrit principalement d’absence et de deuil impossible. Conscient des limites de l’entreprise, Bernard Chambaz ne cherche pas à saisir les mécanismes intimes qui ont conduit Robert Enke à choisir la mort. Il est question ici de se tenir à ses côtés et, d’une certaine manière, de rendre compte de son dernier plongeon.
Plonger de Bernard Chambaz, Gallimard 2011 – Collection L’un et l’autre.
Professeur d’histoire, Bernard Chambaz (né en 1949) n’a pas découvert le football un soir de juillet 1998, bien au contraire. Supporter de l’AS Monaco de Théodore Szkudlapski et de Liverpool, il a pratiqué le football en FSGT pendant plusieurs années, manière de décliner son engagement politique sur le plan sportif. Pour ce compagnon de route du Parti communiste, c’était en effet l’occasion de rester en contact avec les "vraies gens" de la classe ouvrière. Milieu de terrain, parfois buteur, il fut un temps capitaine de l’équipe corpo de Gaz de France, qu’il a emmenée en huitième de finale de la Coupe Auguste Delaune – son plus haut fait d’armes.