La FIFA sanctionne durement le Cameroun pour son maillot "une pièce"… Puma crie au scandale, mais c'est bien l'équipementier qui a transformé les Lions indomptables en dindons de la farce.
Pour n'avoir pas respecté les règlements sur les tenues lors de la Coupe d'Afrique des nations, le Cameroun s'est vu infliger par la commission de discipline de la FIFA un retrait de six points à valoir pour les qualifications de la prochaine Coupe du monde. Placé dans un groupe déjà difficile (1), cette sanction sportive — qui s'ajoute à une amende de 200.000 francs suisses pour la fédération nationale — frappe de plein fouet des joueurs que l'on peut difficilement considérer comme responsables.
La panthère et les Lions
Dans cette histoire, la FIFA se donne le mauvais rôle et fait preuve au minimum d'une insigne maladresse. Sa sévérité en l'espèce contraste avec ses indulgences dans d'autres dossiers autrement plus graves. Elle tend le bâton pour se faire battre en se réclamant d'un règlement qui n'interdit pas le "délit" aussi explicitement qu'elle le prétend (2) et en ayant tardivement décidé d'invalider l'homologation initiale de la CAF (Confédération africaine de football). Quant à Sepp Blatter, il ne doit pas s'étonner que tout le monde lui fasse payer ses déclarations sur son souhait de voir les footballeuses adopter des tenues plus sexy, et plus généralement, sa capacité à émettre des idées burlesques comme la suppression du match nul.
Les faits révèlent inévitablement un imbroglio administratif et réglementaire plus compliqué. En "découvrant" les tenues camerounaises lors du premier match de la CAN disputé par le Cameroun le 25 janvier, la FIFA (qui n'a pas prêté attention aux spots de pub diffusés dès décembre ni au lancement commercial du produit), adresse dès le lendemain une injonction à la fédération camerounaise pour qu'elle revienne à la panoplie conventionnelle. La Fecafoot argue alors que son équipementier ne pourra la fournir avant la fin du premier tour, et la FIFA lui consent une dérogation temporaire. Mais lors de leur quart de finale contre le Nigéria, les Lions indomptables arborent le même équipement et leurs dirigeants invoquent une nouvelle fois l'impossibilité pour Puma de leur procurer des tenues conformes en moins de deux mois (une performance très médiocre, soit dit en passant). La confédération mondiale transmet le dossier à la Commission de discipline, aux yeux de laquelle la "gravité de l'infraction" justifiera la fameuse sanction…
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Épilation du maillot
Mais étudions de plus près l'objet du délit. Ce maillot "une pièce" n'est pas la première tentative de Puma pour se démarquer. On se souvient en effet du maillot sans manches présenté à la veille de la Coupe du monde 2002, que le Cameroun avait finalement renoncé à utiliser à la suite des menaces de la FIFA. Autant dire que Puma est un récidiviste de la provocation… Un expert même, parce que si l'expression "une pièce" laissait imaginer une combinaison analogue à celles des sprinters, la tunique n'est pas vraiment révolutionnaire. On se demande même quel peut bien être l'intérêt de ce délire textile. Si le "haut" est moulant comme la mode l'exige, faisant saillir les pectoraux et pointer les tétons, le "bas" est bouffant et ressemble à s'y méprendre à un short normal, sans même mettre en valeur ces légendaires fessiers africains qui rendent jaloux le reste du monde (sans parler du reste).
En somme, la combinaison scandaleuse n'est rien d'autre qu'un maillot cousu à un short, qui oblige les joueurs à ouvrir des fermetures éclair sur les épaules et à faire glisser l'ensemble pour satisfaire le plus élémentaire des besoins naturels.
Un résultat hautement saugrenu, qui semble n'avoir pour but que de proclamer une nouveauté absurde, ou bien de préparer le terrain, avec cette "jurisprudence une pièce", à une vraie combinaison intégrale…
Une combinaison gagnante
Surfant sur la vague de l'indignation, l'équipementier a lancé une campagne de publicité européenne et menace d'en recourir aux tribunaux. Elle vient aussi de mettre en ligne en site dédié, sur lequel il lance un vibrant appel aux amateurs de football afin qu'ils
"montrent leur mépris pour la récente décision du gouvernement du football mondial et pour envoyer le message clair que le football n'est qu'un jeu" en signant une pétition en ligne. Le football n'est qu'un jeu? La ficelle de l'innocence et de la pureté est un peu grosse venant d'un industriel très largement responsable de cette affaire, dont on peut penser qu'il l'a en grande partie préméditée et qui fait preuve d'une hypocrisie certaine lui aussi.
Pour mieux se convaincre de la nature très publicitaire de la démarche, on peut souligner l'allusion très claire du slogan de la campagne, "Nothing is possible", un écho au "Everything is possible" d'Adidas, qui règne sur le marché du sport et sur celui du football en particulier, accessoirement sponsor de la FIFA. Pour exister face au géant allemand et à son challenger Nike, les outsiders doivent emprunter des chemins de traverse et profiter des moindres opportunités. Sponsoriser l'équipe olympique de Jamaïque par exemple, miser avec plus ou moins de bonheur sur des stars de second plan ou en devenir (Eto'o, Pires, Wiltord, Anelka, Buffon, Bridge, Hasselbaink, Stam, Cocu, Giuly)… Ou rebondir sur une décision des vilaines instances rétrogrades, qui ignorent tout de ce qui fait kiffer les jeunes.
En définitive, si les joueurs camerounais font les frais d'une intransigeance excessive de la FIFA, ils sont aussi les otages d'une stratégie de communication douteuse, mais terriblement efficace. Car la couverture médiatique de "l'événement" assure à la marque une visibilité extraordinaire, et gratuite. Puma se serait-il risqué à de telles fantaisies avec d'autres clients, comme la squadra azzurra?
Pendant ce temps, la fédération camerounaise voit ses dirigeants mis en cause dans une enquête sur des cas de corruption présumée. L'Équipe (4 mai) évoque l'interrogatoire subi par l'ex-ministre des sports — tout récemment limogé — à propos… de ses liens avec Puma. La Fecafoot a également "oublié" de transmettre sa position dans le cadre de la procédure disciplinaire sur la fameuse tenue (3). Quant à la sélection, elle s'est lourdement inclinée en Bulgarie (3-0) la semaine dernière, après avoir connu des problèmes de visa qui l'ont contrainte à arriver trois heures à peine avant la rencontre, au lieu de la veille. Le Cameroun, déjà auteur d'une CAN décevante, ferait bien de réformer autre chose que sa garde-robe.
(1) Le groupe 3 de la zone Afrique comprend la Côte-d'Ivoire, l'Égypte, le Soudan, le Bénin et la Libye. Il ne désignera qu'un seul qualifié.
(2) La loi 4 — Équipement des joueurs — indique en des termes légèrement surannés que
"l'équipement de base de tout joueur comprend un maillot ou chemisette, des culottes (si le joueur porte des cuissards, ceux-ci doivent de la même couleur que la couleur dominante des culottes), des chaussettes, des protège-tibias, des chaussures". Une décision de l'International Board précise que
"les maillots doivent être des maillots à manches". En fait, il faudrait que le Board précise que les maillots doivent être distincts des shorts… Mais il lui faudrait aussi anticiper toutes les dérives textiles que peuvent inventer les équipementier, ce qui n'est pas gagné.
(3) Elle a fait appel de la décision au début du mois.