Piqués au vif
Non seulement le dopage n'existe pas dans le football, mais il est également interdit de l'évoquer. Surtout si l'on a de bonnes raisons, et qu'on est qualifié pour le faire. Tel Robert Duverne, renvoyé à ses plots par son patron Jean-Michel Aulas et celui de l'UEFA, Michel Platini...
Auteur : Julie Grémillon
le 12 Mars 2007
La semaine passée a été marquée par l'interview de Robert Duverne, publiée par Le Monde du 6 mars. Les réactions n'ont pas tardé, et montrent à quel niveau se situe le débat – et la liberté de parole sur le dopage aujourd'hui.
"Dans un mur"
Le préparateur physique de l'OL (également détaché auprès des Bleus à l'occasion de la Coupe du monde) s'alarmait, en des termes explicites, de la surcharge des calendriers: "On fonce dans un mur. On met le foot en danger. Si on ne peut plus répondre au rythme infernal des compétitions par l'entraînement et la récupération, le risque est de faire appel au dopage. Il est urgent de se pencher sur les plannings des compétitions afin de tenir compte de l'organisme des sportifs. Le temps de l'entraînement et de la récupération ne sont plus respectés". Il déplorait notamment l'absence de trêve hivernale digne de ce nom qui pourrait permettre une récupération en profondeur, craignant que "Le foot s'expose au phénomène qu'a connu le Tour de France: trois ou quatre cols par jour, et un contre-la-montre de 60 km pour finir".
Duverne réagissait aussi à la nouvelle disposition adoptée par la Ligue concernant le calendrier de la saison prochaine (lire 48 heures chroniques): "Ce sont les droits télé qui aujourd'hui organisent les compétitions. Chaque chaîne qui achète les retransmissions d'une compétition veut son jour de diffusion. La saison prochaine, les équipes françaises qui participeront à la Coupe de l'UEFA joueront le jeudi. Et le samedi en championnat de France, soit 48 heures plus tard. Les entraîneurs, les préparateurs physiques, les médecins sportifs, les formateurs du football ont-ils été consultés pour cette décision? Non".
Pas de droit à la critique pour les exécutants
Des propos de bon sens, crédibilisés par le fait qu'ils émanent d'un spécialiste de la question, a priori bien placé – avec les médecins de club – pour juger des risques en toute connaissance de cause. Encore n'est-il pas besoin d'être un expert en pharmacologie pour s'alarmer devant le constat qu'au cours des vingt dernières années, l'augmentation de l'intensité athlétique et de la fréquence des matches, ainsi que le durcissement des enjeux financiers sont autant de facteurs qui favorisent le recours au dopage. Mais finalement, rien ne le favorise mieux que la loi du silence imposée par le milieu lui-même.
C'est ainsi que Jean-Michel Aulas a rapidement fait connaître son sentiment. "Je pense que Robert Duverne devrait se concentrer sur sa préparation physique plutôt que de faire de grandes déclarations. Je me suis fait reprendre de volée par les gens de la Ligue. Robert peut donner son avis sur tout, il n'y a pas de problème, mais j'aimerais qu'il vienne m'en parler avant de donner une conférence de presse", a-t-on pu lire dans L'Équipe de jeudi. On appréciera notamment l'aveu selon lequel JMA se serait fait gronder par ses confrères, et l'amalgame entre conférence de presse et interview...
Il en ressort clairement que ce qu'on n'a pas le droit de dire, c'est que les calendriers sont trop chargés. Peu importe que les joueurs y risquent leur santé et le football, son basculement dans le dopage organisé. On ne critique pas l'organisation des compétition. Surtout si l'on n'est qu'un simple exécutant.
Platini hors sujet
Mais la réaction la plus absurde est encore celle du nouveau président de l'UEFA. "Si c'est un bon préparateur physique, il n'a qu'à dire qu'avec la préparation physique on peut avoir des joueurs physiquement au point, on n'est pas obligés d'utiliser des produits dopants pour essayer de les aider", a déclaré Michel Platini dès mardi sur RTL (propos rapportés par l'AFP), suivant un raisonnement de niveau CM2.
Certes, il n'y a aucune surprise à entendre Michel Platini tenir des propos désinvoltes sur le dopage (lire Faut-il voter Platini?). En revanche, il se met complètement hors sujet en assimilant Duverne à son club ("Les cadences sont infernales à Lyon, pas à Sedan. Alors qu'est ce qu'on fait? Si Lyon ne veut pas jouer la Ligue des champions, ne veut pas jouer la finale de la Coupe de la Ligue [...], ils joueront moins de matches") alors que celui-ci critique justement la multiplication des compétitions et prône la trêve hivernale qui figurait dans le programme du Lorrain. De toute façon, Platoche tire un trait sur le débat: "Quand les joueurs ne jouent pas, ils râlent parce qu'ils ne jouent pas, quand ils jouent, ils râlent parce qu'ils jouent trop. Ils veulent jouer tous les trois jours quand ça va bien, quand ils perdent ils disent qu'ils jouent trop. (...) Je la connais cette histoire de calendrier et du nombre de matches".
L'omerta comme clause de contrat
Les déclarations de Duverne (auquel quelques grands esprits vont certainement reprocher de cracher dans la soupe) sur un sujet majeur, au lieu de susciter un débat, ont simplement montré que ce dernier était verrouillé d'avance. À force d'organiser l'omerta, les patrons du foot vont bientôt en faire une clause de contrat.
Même la possibilité du dopage est taboue. On se souvient qu'à la suite de notre interview du Dr Jean-Daniel Escande (La solution du produit n'est jamais loin) avait suscité un droit de réponse de la part de son ancien employeur, le LOSC. Il n'avait pourtant fait que s'interroger sur le statut des médecins de club et exprimer, lui aussi, ses craintes que les dispositifs de lutte antidopage soient insuffisants... Et comment lui donner tort, puisque la chape de plomb offre justement les meilleures conditions à un éventuel développement des pratiques dopantes.
Le procès de la Juventus (lire La vieille dame tapait dans la pharmacie) n'a servi à rien. Remarquablement occulté par le milieu et les médias spécialisés, cette affaire qui a conclu à l'usage d'EPO dans un des plus grands clubs d'Europe n'a pas été considéré comme un précédent (ou comme un "tremblement de terre", pour employer une terminologie journalistique). Il y a donc eu un "avant" et un "après", mais l'après ressemble à s'y méprendre à l'avant. La politique de l'autruche a donc de beaux jours devant elle. Tant pis si l'autruche a des seringues dans le fondement.