Passeports : la Ligue devant ses responsabilités
La Ligue, qui réunissait son Conseil d'administration vendredi, a cru bon de déclarer officiellement que "La LNF appliquerait ses règlements", comme si effectivement le doute était permis. Il faut dire qu'avec les déclarations contradictoires de ses représentants, les intérêts imbriqués du cercle des dirigeants, on ne sait pas trop si le dossier sera géré avec la désinvolture qui prévaut d'habitude en matière disciplinaire, ou si au contraire la Ligue sera contrainte à sévir, sous la pression de l'opinion, des clubs qui s'estiment lésés et des politiques, ministère en tête.
Incitée à prendre des mesures rapides, afin de juguler l'affaire (argument un peu stupide en soi) et de rétablir la crédibilité de la compétition, quelle attitude adoptera la commission juridique, qui détient le pouvoir en la matière?
Qui sanctionner?
Il ne fait aucun doute que les joueurs seront considérés comme fautifs et subiront des suspensions. Cette décision, qui ne bouleversera pas le paysage global, est la plus facile à prendre, mais peut-on s'en contenter? Si la commission juridique reconnaît la négligence ou la complicité des dirigeants, ceux-ci peuvent aussi faire l'objet de sanctions à titre individuel (suspensions, interdiction d'occuper des fonctions), mais leur club peut aussi être exposé à une batterie de mesures nettement plus graves (retrait de points, rétrogradation…).
Que sanctionner?
En théorie, le fameux article 114 du règlement de la Ligue interdit aux clubs d'avoir sous contrat plus de trois joueurs hors UE, plus un "assimilé", résident dans l'Union depuis plus de trois ans (règle des "3+1"). Un simple dépassement de ce quota dans l'effectif professionnel est donc une faute en soi. Que faut-il alors sanctionner? Ce dépassement? Un dépassement sur la feuille de match, comme certains journaux l'ont scénarisé? Ou encore un dépassement constaté sur le terrain, qui implique un préjudice direct pour l'adversaire? De l'interprétation de la règle dépendra en effet l'ampleur des sanctions, et l'on voit déjà que quelques arrangements sont possibles. D'autre part, si des retraits de points sont envisageables, l'instance nationale a pour le moment écarté l'idée d'en ré-attribuer aux adversaires des équipes fautives. Se pose également la question de la période de remise en cause: remontera-t-on avant le 18 novembre, date à partir de laquelle les résultats n'ont plus été homologué? Enfin, statuera-t-on seulement sur les matches pour lesquels des réserves ont été déposées, ou sur tous ceux qui posent problème à l'égard du règlement sur les joueurs non communautaires? Là encore, l'arbitrage des instances ne sera pas neutre…
Saint-Étienne sacrifié sur l'autel du foot pro?
L'AS Saint-Étienne, qui partage avec le RC Strasbourg la responsabilité de l'éclatement de l'affaire (mais le cas Garay ne menace plus une compétition 99/2000 dont les résultats ont été homologués, Nancy ne pouvant prétendre qu'à des compensations financières*), est aujourd'hui dans le collimateur et pourrait se trouver plus esseulée encore si l'on s'attachait à faire d'elle une victime expiatoire. Les dirigeants peuvent encore plaider leur bonne foi (tant qu'Alex ne confirme pas devant le juge d'instruction les graves accusations qui lui ont été attribuées dans la presse brésilienne, ainsi qu'à son avocat brésilien), mais il semble qu'ils ne pourront échapper à des mesures sportives. Alex s'est présenté aujourd'hui lundi 15 au SRPJ de Lyon, et a été placé en garde-à-vue, puis mis en usage pour usage de faux, comme Levytsky. Il devrait honorer sa convocation devant la commission juridique prévue demain (mardi), et son passage en France marquera probablement un tournant dans le dossier.
Au risque de l'explosion
Cependant, si la Ligue, à ce stade de la compétition et de l'enquête, choisit de punir le club stéphanois d'un retrait de points, elle ne peut encore mesurer les conséquences de cette décision. Si de nombreux autres cas sont détectés, les clubs concernés devront subir le même sort, et le championnat sera profondément bouleversé par un classement réécrit sur tapis vert, avec une situation ingérable et des recours en cascades. Déjà affaiblie économiquement (et minée par les dérives de ses ténors présumés), l'élite française s'infligera-t-elle une telle crise, en étant probablement et une fois de plus la seule nation à faire le ménage chez elle?
La Ligue peut-elle s'exposer au risque d'une aussi profonde déstabilisation? Jean-Claude Camus, président de la commission juridique évoquait "six brebis galeuses dans deux clubs", et Gérard Bourgoin, "cinq à dix fautifs". De la part de ces responsables et alors que l'instruction n'est pas close (ni sur le plan juridique, ni sur le plan sportif —à moins qu'ils ne disposent depuis longtemps d'informations sensibles sur le sujet), ces projections étrangement précises ressemblent plus à un souhait qu'à une analyse objective. Car ainsi contingentée, l'affaire resterait gérable et le championnat s'en sortirait sans trop de dommages.
Une amnistie pour sortir de l'ornière?
Dans cette hypothèse, l'ASSE paierait les pots cassés, et la Ligue jetterait l'eau du bain, mais pas le bébé. Parviendra-t-elle pour autant à isoler le dossier stéphanois pour lui faire jouer un rôle d'écran? Les dirigeants foréziens l'entendront-ils de cette oreille, et comment avoir des certitudes sur la régularité de l'ensemble des effectifs, avant les conclusions de l'enquête judiciaire?
Déjà caressée par certains responsables (Gérard Bourgoin, dont les déclarations contradictoires n'ont pas vraiment éclairé notre lanterne, et Jacques Thébault, son directeur général), l'idée d'une amnistie déguisée n'est pas encore écartée. Dans le contexte très politique du Conseil d'administration récemment élu de la LNF, les intérêts bien compris du foot pro pourraient l'emporter en orientant dans ce sens les décisions de la Commission juridique, malgré les assurances données quant à son indépendance…
Le foot français n'a pas la "culture" des sanctions sportives du type retrait de point, l'épisode OM-Monaco de l'an passé étant venu confirmer cette tendance. Ses instances n'ont pourtant pas eu de dossier aussi sensible à gérer depuis la corruption de VA-OM. Alors, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles?
*Le recours le l'AS Nancy Lorraine sera examiné par le Conseil d'Etat. La demande de réintégration en D1 a peu de chances d'aboutir, mais on n'ose pas imaginer les conséquences en cascade d'une remise en cause des résultats de la saison précédente…