Onze Allemands pour un génie
Journée Argentine – C'était mieux avant: Argentine-Allemagne, finale du Mundial 1986.
Auteur : Grégory Protche
le 11 Fev 2009
Extrait du n°32 des Cahiers du football.
N’ayant pas été pour la France lors de la demi-finale de Séville, mon soutien à l’Argentine, au moment de la finale de la Coupe du monde mexicaine de 1986, contre l’Allemagne (encore de l’Ouest) était donc déjà, et absolument, inconditionnel. Face aux rayés blanc et bleu, l’Allemagne ou une autre équipe... Y a bien la Yougoslavie (cette Argentine de l’Europe) que je n’aurais pas aimé voir opposée à l’Argentine. Mais à ce stade de la compétition, en principe, je ne risquais pas grand-chose.
Huit coéquipiers potables
Reste que l’Allemagne, même aujourd’hui, personne n’a jamais envie de la jouer. Alors en 1986... On avait Diego – oui, pour PSG et l’Argentine, je dis "on" ou "nous", c’est ridicule mais sincère (ce qui ferait une assez convenable définition du supporter) –, c’est tout. Onze Allemands pour un génie, un grand (Burruchaga), un élégant buteur un peu raide et pas hargneux (Valdano) et huit coéquipiers potables. Quand les équipes entrent, il y a moins de petits papiers qu’en Argentine en 78, mais plus qu’en Espagne en 82. Mexique. Des filles en tenues folkloriques maquillées comme des travelos sur lesquelles s’attardent, méchamment, les caméras. Un hurluberlu moustachu tout seul dans le rond central agite le drapeau... mexicain. Rien compris au film.
Pendant les hymnes : Olarticochea ressemble étrangement au Cordoba de l’Inter. Maradona est digne comme un papa qui feint, le soir de Noël devant ses enfants, de ne pas savoir ce qu’on va lui offrir. Les Allemands sont en vert pelouse – pour ça que Diego leur marchera dessus? Je m’en remets pas: Schumacher est bien plus grand que Rummenigge. Ce qui m’avait, à l’époque, complètement échappé. Beckenbauer, lui, à son air hautain et méprisant, on sent bien qu’il n’aime déjà pas le Platini qu’il vient de défaire.
Sa première balle, Diego la joue à fond, face, dès le début du match, à son Berti Vogts, l’énigmatique Andreas Brehme. Lui, c’est un phénomène: personne n’a jamais su s’il était réellement bon, mais le fait est qu’il a toujours évolué dans de grandes équipes (et mis des buts décisifs). Somptueux une-deux entre Allofs et Rummenigge – plus petit, donc, que je croyais, mais infiniment plus subtil, élégant et délicat que dans mes souvenirs. Karl-Heinz (prénom mythique s’il en est!) remet d’une magnifique talonnade aérienne. Allofs échoue sur Pumpido.
Brown en diagonale
Diego est serré de près. Comme dit pudiquement le commentaire: "Un artiste que les Allemands empêchent de s’exprimer". Illustration: autre une-deux, cette fois-ci, entre Cuccuffio et saint Diego. Sublime, en mini-retournés lobés. Un Allemand par Argentin = deux fautes. L’arbitre en choisit une. Coup franc tapé par Burruchaga. "Schumi", pardon, pas le même, Schumacher se troue à la Ettori. Brown, le corps en diagonale, coupe juste la trajectoire. 1-0. Là, je dois avouer, immense trouille. 1-0, c’est pire que 0-0. Si les Allemands marquent, on oublie les consignes et on donne tout. À 1-0, on a quelque chose à perdre. Si les Teutons égalisent, ça va les doper et ils vont gagner...
Je me rends compte que j’avais beau supporter l’Argentine, je raisonnais alors vraiment comme un Français, complexé et infériorisé en face de la Nationalmannschaft. Pourtant, même avec le Kaiser en coach, c’était pas la RFA de 74. Lourde, prévisible et plus rugueuse qu’agressive. Mi-temps. Ralentis divers. Il bloquait quasiment tous ses ballons, Schumacher. J’aimerais bien avoir son opinion sur les renvois au poing et les ballons d’aujourd’hui... Quand même, il avait une sale gueule, Bilardo, le sélectionneur argentin. Faut-il une junte pour avoir en guise de sélectionneur un chef-d’œuvre comme Luis Cesar Menotti?
Trente minutes d’absence
C’est reparti. Nourri surtout d’images d’appoint (gros plans, plans serrés, etc), le doc d’ESPN oppose à l’évidence du plan large classique, les rictus, expressions, frottements, tirages de maillots, et rend aux contacts leur brutalité. Contrecoup : même les actions amenant but, pris dans la contemplation, on ne les "lit" pas. Le but de Valdano prend un air irréel d’aisance.
Moi toujours, ce que j’avais en tête, c’est qu’il restait trente minutes. Les deux buts allemands m’ont semblé évidents, attendus, même pas marrants. Et allez, demain, partout sera vanté le réalisme allemand... Pendant la finale de Wimbledon opposant Björn Borg à Roscoe Tanner, à deux sets à rien pour Tanner et son service, j’ai éteint la télé. Je suis allé jouer dehors. Comme on va boire. Deux heures plus tard, je rentre et allume la téloche, au cas où... Borg servait au cinquième pour le match!
J’ai éteint la finale. Je suis allé m’asseoir dehors. Stupéfaction familiale. Une clope. Deux. Trois. Le but de Burruchaga, je l’ai vu au dernier journal (sûrement présenté par Joseph Poli).