Multinationales et football
Malgré une actualité électorale très prenante, l'UEFA réunie en congrès à Dublin a réussi à avancer sur un dossier sensible, celui des grandes entreprises "multipropriétaires", contrôlant différents clubs européens. Gerhard Aigner, secrétaire général, a pris acte de la déclaration du commissaire européen à la concurrence, Karel Van Miert, qui laisse à la Fédération européenne la possibilité de statuer sur le problème. On touche là une contradiction dans les directives européennes, censées libéraliser les marchés à l'intérieur de la Communauté, mais qui ne peuvent tolérer sans réserves les effets très pervers de cette libéralisation dans le domaine sportif. Une commission sera créée pour mettre au point une nouvelle réglementation effective dès la saison prochaine. Il n'est pour le moment pas question d'interdire aux clubs ayant le même propriétaire de participer aux mêmes compétitions, encore moins d'interdire purement et simplement le contrôle de différentes équipes : il s'agit juste d'éviter qu'elles ne se rencontrent entre elles. Plusieurs difficultés à l'application d'une telle règle sont manifestes : comment attribuer la "propriété" d'une formation à une société, quand le jeu des participations et de l'actionnariat n'identifie clairement pas de propriétaire, un actionnaire minoritaire pouvant détenir le pouvoir de décision (c'était encore récemment le cas de Canal+ au PSG). D'autre part, si le phénomène se généralise, le tirage "au sort" nécessitera d'étranges contorsions.
En statuant dès maintenant, l'UEFA espère anticiper sur une évolution déjà engagée, mais qui pourrait prendre une ampleur supplémentaire dans les années à venir : par exemple, le groupe britannique ENIC, qui contrôle déjà les Glasgow Rangers et Vicenza, s'intéresse de très près aux Girondins de Bordeaux; IMG Mc Cormack ne limitera certainement pas ses ambitions au seul RC Strasbourg. En plus des sociétés d'investisseurs que l'on peut deviner peu scrupuleuses quant à l'éthique sportive, il faudra aussi compter sur les appétits des groupes médiatiques qui ont tout intérêt à placer leurs billes (et leurs pions) directement dans ces producteurs d'audience incomparables que sont les clubs.
Sur un autre sujet, mais dans le même registre, le trésorier dans l'UEFA Egidius Braun s'est déclaré très inquiet à la perspective de perdre le "marketing central" des compétitions organisées par sa fédération, devant la menace de certains clubs et ligues professionnelles de créer une ligue européenne indépendante. Plus que la perte de ses principales ressources, il peut en effet craindre l'avènement d'un football européen à deux vitesses, la partition radicale entre riches et pauvres que la Ligue des Champions (et des seconds) esquisse déjà dans sa formule actuelle.
Accompagner le football dans l'ère des marchés financiers revient à relever des défis avec la certitude de ne pas jouer à armes égales. Devant l'introduction d'intérêts aussi puissants que dispersés, le pouvoir sportif aura-t-il les reins assez solides pour faire respecter une éthique qu'il n'a pas toujours réussi à préserver jusqu'à présent?