Mourinho : The Final One ?
Ce sont quelques secondes qui résument José Mourinho et peuvent expliquer son incapacité à rester plusieurs années dans le même club. Le monstre est peut-être fatigué.
Mercredi soir, le Real Madrid se déplaçait à Amsterdam pour y affronter l'Ajax de Frank de Boer. Cristiano Ronaldo lance les Madrilènes en ouvrant le score peu avant la mi-temps, mais c'est au retour des vestiaires que la rencontre connaît son sommet. À la 48e minute, Kaka pique le ballon vers Karim Benzema. En position inconfortable, le Français peut contrôler ou laisser filer jusqu'à Cristiano Ronaldo, mieux placé. Il préfère le choix irrationnel: tenter un ciseau. La balle se loge sous la barre transversale, le gardien est battu, les commentateurs jurent de plaisir, les joueurs rigolent. Le staff merengue applaudit. C'est le plus beau but de la soirée, sûrement le plus beau du Real depuis le début de la saison.
Joies calculées
José Mourinho reste impassible. Il ramasse sa bouteille pour boire. Tellement impassible que ses assistants, Aitor Karanka compris, arrêtent leurs manifestations de joie. Le Portugais ne montre rien pendant que tout le monde félicite l'ancien Lyonnais. Seul, au milieu de ces sourires, sans émotion.
Difficile d'interpréter quelques secondes. José Mourinho est connu pour ses réactions disproportionnées volontairement afin de placer les joueurs dans un état d'euphorie (cf. ses courses à Old Trafford avec Porto et à Barcelone avec l'Inter). La joie n'est pas une de ses spécialités. Face à Manchester City, lors du but victorieux en fin de match de Cristiano Ronaldo, il a célébré le retour de son équipe comme un joueur fêterait un but, glissant sur ses genoux. Pas avec joie. Avec satisfaction, mais surtout avec la rage indissociable de sa personnalité. La renaissance d'un Mourinho pré-Madrid, en costume et énergique. Authentique? Ou une réaction encore calculée pour démentir la rupture entre son style de management et les Espagnols du vestiaire?
Cet été, lors d'un stage du Real Madrid aux États-Unis, il disait: "Embrasser, frapper mes joueurs ou pleurer avec eux ne me pose aucun problème. […] Il faut être ouvert pour partager des émotions et des idées." Il disait aussi: "Je motive mes joueurs avec ma propre motivation. Votre motivation doit être le moteur pour que les joueurs vous suivent ensuite" [1]. Comment qualifier l'absence de réaction suite au but de Benzema, son Benzema, qu'il a malmené, rabaissé pour le faire progresser? Un acte manqué? Un signe qu'il exige plus encore et qu'une pirouette ne suffira pas? José Mourinho n'est pas du genre à "oublier" de faire quelque chose. Tout est minutieux, préparé, utile dans un futur plus ou moins proche.
Un dernier verre de José
Verra-t-il ce futur avec le Real Madrid? Depuis la reprise, nombreux sont les journalistes espagnols notant une cassure. Des joueurs épuisés par la pression constante de leur entraîneur. Mourinho ne laisse rien passer. Même après cette victoire 4-1 à l'extérieur en Ligue des champions, il revint sur le but encaissé et le jugea "inacceptable". Avec lui, pas de répit.
Ce style est-il compatible avec le long terme? Deux ans à Porto, trois à Chelsea, deux à l'Inter. Troisième année au Real Madrid en cours. Distancé par Tito Vilanova dans une Liga de toute façon déjà inscrite à son palmarès, José Mourinho va sans aucun doute parier sur la C1 après deux défaites en demi-finale. S'il en a la force. Après dix ans de succès à travers l'Europe, Mourinho pourrait, inversement aux habitudes, s'épuiser plus qu'il n'épuise les autres. Dix ans à motiver des joueurs pour gagner le championnat, la coupe, la C1, à combattre la presse tel un ennemi. Deux ans d'un duel géant avec Pep Guardiola, d'innombrables clasicos au compteur, perdus, gagnés. Un adversaire catalan marqué au point de se retirer momentanément du football.
Dans ce vaste bazar organisé, cette valse d'entraîneurs qui disparaissent avant de ressusciter, José Mourinho n'est jamais mort. Un ogre mangeur de trophées qui ne semble jamais repu. Une petite indigestion ne serait pas incompréhensible.
[1] Source des citations: just-football.com