Martel en tête
Immanquablement, en fin de cette semaine qui vit le président du Club Europe remettre le couvert sur les droits télé devant le C.A. de la Ligue, Gervais Martel entonne la complainte du dirigeant, sur des paroles de Jean-Michel Aulas et une musique du Club Europe. Il fait donc le constat qu'en France, il y a quelque chose qui ne va pas, les meilleurs joueurs français jouent à l'étranger, et les meilleurs joueurs étrangers aussi, les vilains. Il faut donc faire quelque chose, "sur les structures juridiques, la fiscalité et les charges sociales". Comme on est à Téléfoot, l'argumentaire n'ira pas plus loin. Il n'y en a pas besoin, nous sommes dans le royaume des idées reçues et des contre-vérités officielles: pour se sauver (de quoi?), il faut donc permettre aux clubs d'être cotés en bourse et lui offrir une fiscalité d'exception, afin que les salaires mirifiques des joueurs soient mirifiques nets d'impôts. Passons à autre chose, voilà Gervais Martel sur un terrain de golf, puis sur le banc de touche (quelle émotion), et on fait même connaissance avec son message de répondeur. Il est sympa, Gervais Martel!
Puisque nous ne sommes pas sur TF1, revenons sur cette critique rituelle du système fiscal français qui condamnerait nos clubs à la relégation en deuxième division européenne. D'abord, répétons que l'infériorité financière nationale est ancienne, et elle ne peut avoir pour seule cause la fiscalité, c'est charger un peu la mule. Ensuite, quand le même Gervais Martel déclare qu'Elie Baup a "bien raison de dire qu'il y a un rapport de un à trois au niveau des charges pour les clubs", il laisse quelqu'un d'autre dire une connerie pour l'accréditer ensuite, il fait passer une excuse d'entraîneur pour une expertise économique. Mais les stéréotypes ont la vie dure, comme l'a justement montré une enquête du Monde comparant les fiscalités française et britannique, suite à la pseudo-affaire Laetitia Casta. Il en ressort que les écarts sont presque marginaux, et même sur les tranches supérieures on est très loin des gouffres annoncés. Et tant qu'à prendre des exemples, pourquoi ne pas regarder vers l'Allemagne, un football en bonne forme sportive et financière, où l'imposition est pourtant comparable à celle de la France. Ceux qui veulent quand même maintenir le point de vue inverse pourront se reporter au numéro du Point sur les raisons de l'"évasion fiscale"; un magazine dont le propriétaire est François Pinault, qui est un expert en la matière.
Enfin, prendre pour modèle un pays pour sa fiscalité revient à prendre pour modèle ses politiques publiques: services publics anéantis, système de protection sociale réduit au minimum, système de santé ravagé, flexibilité du travail, "working poors" etc. C'est peut-être payer un peu cher un football compétitif. On aimerait aussi tordre le cou au thème du "retard français", vieille scie mille fois diffusée par les haut-parleurs de la propagande ordinaire. Un retard en quoi, au juste? Dans le fétichisme du supporter-consommateur, dans l'inflation indécente des salaires, dans le mercenariat des joueurs, dans la dégradation de l'éthique sportive?
Le RC Lens est excellemment géré par un Gervais Martel avisé, qui se donne les moyens d'assurer la pérennité d'un club fantastique et sa présence au plus haut niveau (comme cette année en demi-finale de Coupe d'Europe). Rien ne l'empêche de continuer dans les conditions actuelles, avec l'afflux de ressources financières conséquentes et croissantes, tout en respectant la solidarité et la cohérence de l'ensemble du football professionnel français. Pour cela, mais pas pour ses discours geignards de patron de PME, nous sommes à fond derrière lui. Parce qu'en plus, c'est vrai qu'il est sympa Gervais Martel.