Embarquement immédiat à Casablanca
Récit – De toutes les manières de se convertir au football. Être plongé dans la folie d'une qualification marocaine à la Coupe du monde n'est pas la pire.
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Enfant, je suivais le foot avec un intérêt fluctuant au gré des victoires, des matches et des compétitions. Et puis, alors adolescent, un match m’a fait basculer du côté des vrais fans de ballon rond.
Il s’agit du match Maroc-Zambie, qualificatif pour la Coupe du monde 1994, le 10 octobre 93. Volontairement, pour ne pas "abîmer" mes souvenirs de l’époque, j'ai renoncé à revoir des images de ce match, préférant garder en mémoire mes impressions d’alors.
J’habite à l’époque au Maroc, dont l’équipe nationale, après un parcours historique lors du Mondial 86, échoue à se qualifier pour l’édition 90. En octobre 93, au moment d’aborder cet ultime match de la phase de qualifications, les Lions de l’Atlas sont à une marche de la World Cup 94: une victoire validerait leur billet pour la phase finale, un nul ou une défaite les éliminerait.
Unique sujet de conversation
Le contexte est particulier et contribue à l'ambiance particulière qui entoure ce match. La Zambie a vu son équipe nationale décimée dans un tragique accident d’avion pendant la phase de qualification, suscitant une émotion bien légitime à travers le monde et au sein de la FIFA, qui a dû adapter le calendrier pour permettre aux Chipolopolos de se reconstruire.
L’entraîneur de l’équipe marocaine [Abdelkhalek Louzani] a été licencié peu de temps avant ce match, pour des raisons toujours restées obscures, malgré son formidable travail qui a permis à la sélection nationale de jouer sa qualification lors de cet ultime match.
La ferveur populaire, dans ce pays fan de foot, encore sous l’émotion du Mondial 86 (avec une accession historique aux huitièmes de finale, grande première pour une équipe africaine), est énorme. Les journaux, radios, télévisions, tournent en boucle autour de ce match, qui devient l’unique sujet de conversation pendant les semaines qui précèdent l’événement.
Et puis, c’est le grand jour. Dans mon souvenir, il fait un grand soleil ce jour-là, l’unique chaîne de télévision nationale ouvre ses programmes sur le match, avec des premières images du stade, et de la foule immense qui se presse dès 9 heures du matin pour prendre d’assaut les meilleures places.
Atmosphère irrespirable
À midi, le stade est plein comme un œuf, les estimations officieuses parlent de 100.000 spectateurs dans une enceinte prévue pour 80.000, l’ambiance est électrique, et les heures s’égrènent lentement.
Le match est tendu, âpre, électrique tant l’enjeu est grand pour les deux équipes. Un jeune Franco-marocain, inconnu jusque-là, fait ses grands débuts avec la sélection marocaine. Il s’agit de Mustapha Hadji, future star de l’équipe et du continent, qui s’illustre par des gestes de grande classe, dont un tir lobé qui échoue de peu à dernière minute de la première mi-temps.
Le score est de 0-0 à la pause, je sors de chez moi pendant la pause, et échange quelques mots avec les différents voisins. On y croit, mais le gardien adverse est dans un grand jour, les Marocains sont fébriles et n’arrivent pas à concrétiser leurs occasions.
L’atmosphère devient irrespirable durant la deuxième mi-temps. On peut sentir la pression du stade à travers l’écran: grondements, applaudissements, cris de rage ponctuent les actions qui se succèdent, sans que ce but salvateur soit marqué pour autant.
Dans le tourbillon
Et soudain, en début de deuxième mi-temps, la délivrance: un coup franc rapidement joué par le Maroc dans sa moitié de terrain, une remontée de balle ultrarapide à une touche, pour trouver le latéral gauche qui a pris l’espace. Son centre est parfait, et trouve l’attaquant de pointe [Abdeslam Laghrissi], parfaitement démarqué, dont la tête plongeante croisée ne laisse aucune chance au goal zambien.
Le stade, la ville, le pays hurlent leur joie, féroce, bestiale, évacuant une pression qui devenait insoutenable.
[lire aussi : Laghrissi 1994, le billet pour l'Amérique]
Il faut maintenant tenir, les Zambiens se font de plus en plus pressants, un contact a lieu dans la surface de réparation marocaine, l’attaquant zambien s’écroule. L’arbitre hésite peut-être une demi-seconde à siffler un penalty, mais le grondement des 100.000 spectateurs l’en dissuade immédiatement.
Le coup de sifflet final plonge le pays dans une liesse indescriptible, les rues sont envahies, les coups de klaxon retentissent tard dans la nuit, le peuple marocain communie dans une ambiance folle. Et moi, jeune ado pris dans ce tourbillon surréaliste, je bascule définitivement du côté obscur des passionnés de foot.