Liza rasant
Les gloires déclinantes vieillissent-elles mal, ou bien l'âge révèle-t-il leur nature profonde? Au détour d'une interview au JDD, Bixente Lizarazu délaye son aura en exposant une personnalité bien ordinaire...
Auteur : Étienne Melvec
le 8 Nov 2005
Lizarazu bénéficie d'une image positive, à la fois en tant que joueur et en tant qu'homme. Sa combativité sur le terrain, ses qualités techniques et sa réussite sportive complètent idéalement son côté nature, son profil de surfeur invétéré, son identité basque affirmée ou son intelligence, communément reconnue. Ce profil (de gendre) idéal lui avait notamment permis de signer quelques contrats publicitaires, en tant que figure majeure des titres de 1998 et 2000 (c'est lui qui enchaînait les reprises de volée Petrol Hahn, avant Robert Pires).
L'an passé, son passage écourté à Marseille a cependant un peu écorné l'icône, peu après un Euro marqué par une bourde de junior devant Zagorakis – à laquelle s'était ajoutée une passe en retrait fatale face au PSG. Les circonstances de son retour à Munich, sous la forme d'une démission assumée et de déclarations acides envers Philippe Troussier (sans reconnaissance de la médiocrité de ses propres prestations) n'avaient pas franchement ajouté à sa légende personnelle, mais cette demi-saison ne fut pas réellement versée à son passif.
En Bavière, le latéral a cumulé les ennuis musculaires, mais il dispute sa dix-huitième saison dans l'élite, et à bientôt trente-six ans, il se dirige vers une reconversion en consultant télé qui avait déjà été évoquée l'an dernier à la même époque, même s'il préfère éluder en s'énervant comme si l'on évoquait une rumeur de transfert. "Pour le moment, spéculer sur mon cas est ridicule. Je n'aime pas ceux qui parlent à ma place, même si mon profil est légitime pour couvrir un Mondial en Allemagne", a-t-il confié au JDD de ce week-end.
Bavarois aux fraises
Cette interview justement, réalisée en commun avec son collègue Willy Sagnol, ne montre pas vraiment le joueur sous son meilleur jour. Il s'aligne d'abord sur Gérard Houllier et Arsène Wenger concernant le match de l'équipe de France en Martinique (voir "Houllier-Wenger, duo de tartufes" dans le numéro 20), et cela d'une manière pas tellement plus élégante que celle des deux entraîneurs: "Rendre hommage au football antillais est une excuse bidon. Pourquoi, dans ce cas, ne pas aller à l'île Maurice pour célébrer Dhorasoo?" Peut-être parce que, indépendamment des liens plus étroits entre les Antilles et le sport français, aucun avion de Mauriciens ne s'est écrasé au Vénézuela... Comme l'entretien n'évoque pas la tragédie, on se demande même si Lizarazu est au courant. "À sept mois d'une compétition majeure, une préparation réussie passe par une récupération maximale", insiste-t-il. Ah bon, même pas besoin de jouer et de vivre un peu ensemble, histoire de ressembler à une équipe en juin? Les deux jours de rassemblement et l'unique match (en mars) dont Raymond Domenech devra se contenter en 2006 pour préparer le Mondial auraient-ils suffi aux Bleus de 98?
Le hasard veut que dans la colonne voisine de l'hebdomadaire, Bernard Lama se désole de l'annulation de la rencontre projetée au Parc des Princes le 7 novembre sous l'égide de l'association France 98, elle aussi au bénéfice des victimes de la catastrophe aérienne. "Le sélectionneur profite de l'opportunité pour redorer son blason et mettre les joueurs dans sa poche. C'est un peu de la récup". L'ancien gardien de but, qui avait déjà allumé Domenech avant la qualification, semble décidément avoir des comptes à régler avec celui-ci.
Divarazu
Bixente Lizarazu, se met d'ailleurs à ressembler à Bernard Lama quand il affirme "Je n'ai pas encore décidé quand j'arrêterai ma carrière. Rien ne presse". Il ajoute même, dans une envolée tautologique de philosophe des gazons "Je déteste me fixer des limites, ça bride ma liberté". Il fait aussi l'éloge du pays organisateur de la Coupe du monde 2006 en donnant l'impression de dénigrer un peu la France, et en profite pour embrayer sur le sélectionneur national: "lorsqu'[il] est venu me voir à Marseille, censément pour me convaincre de prolonger l'aventure, je n'avais pas été convaincu par son discours. Depuis, j'ai été champion d'Allemagne, gagné la Coupe et été élu meilleur latéral du pays". On sent poindre l'amertume au milieu de cette contradiction: il semble estimer qu'il avait le niveau pour continuer en bleu (ce que démentaient formellement ses prestations d'alors), tout en oubliant que c'est bien lui qui avait choisi d'arrêter... Lequel des deux devait convaincre l'autre?
Ces saillies sonnent assez désagréablement, tant on préférerait que l'homme soit plus conforme à son image de joueur (ou aux valeurs que nous projetons, probablement de manière abusive, sur lui). Ce n'est toutefois pas la première fois qu'une telle "déception" survient à son égard. En 1999, Lizarazu affichait sa volonté de ne surtout pas apprendre l'Allemand, affirmant même "Je ne suis pas là pour découvrir la culture allemande". Plus tard, alors que les licenciements chez Lu avaient incité les journalistes à interroger les nombreux Bleus sponsorisés par la marque de biscuits, lui-même avait dégagé très loin en touche, comme si sa conscience écologique proclamée ne déterminait aucune conscience politique particulière (ce que l'on peut, toutefois, difficilement lui reprocher plus qu'aux autres sportifs – voir "Le footballeur, le petit beurre et la politique").
Après Marcel Desailly ou Fabien Barthez, et quoique de manière moins spectaculaire, un autre "champion du monde" (un vrai, un joueur symbole des belles années) semble retourner à l'ordinaire irritant des footballeurs contemporains. Est-ce le fait de carrières qui durent un peu trop longtemps, ou bien d'un désenchantement prévisible, s'agissant de joueurs que l'on a peut-être trop aimés, nous exposant ainsi à certains malentendus?