Cher Michel,
Hier soir, tu recevais Zinédine Zidane pour que, les yeux dans nos bleus à l’âme, il nous explique sa décision de mettre un terme à sa carrière internationale. Tout était réuni pour nous offrir un mémorable moment de télévision. Zizou, Canal+, toi… On avait tous imaginé un truc de dingue, un hommage à la hauteur du technicien, une commémoration digne de l’homme, deux heures de bonheur à enregistrer pour montrer à nos enfants, plus tard…
19h45, le mot "EVENEMENT" scintille sur mon écran bombé 12 cm. Vous êtes là, face à face, décor cosy, pas l’interview cheap façon Stade 2 sur le bord du terrain, pas de public à la con applaudissant les mauvais mots du présentateur à la mode, pas d’invités-venus-pour-rendre-un-dernier-hommage: ça sent bon. Zinédine, en seigneur, a même eu la bonne idée, dans l’après-midi, d’annoncer la couleur, il quitte l’équipe de France, c’est fini, chacun son tour, merci, à bientôt. On l’a tous lu en direct, on est tous partis illico au fax ou en salle de réunion pour se recueillir, verser une petite larme en cachette de la collègue de bureau qui trouve que de toute façon, ils sont trop payés pis ils courent plus, ces fainéants. Nous avions tous passé une après-midi trop longue avec cette si douloureuse annonce et nous nous étions dépêchés de rentrer à la maison pour voir Canal nous mettre du baume au cœur, avec de la mise en scène efficace mais pas tape-à-l’œil, du décalage, de la caméra angle opposé, des ralentis interminables sur une carrière que nous savions éternelle depuis longtemps, bref, du beau. Tu penses, Zizou, Canal, Denisot…
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Canal, qui nous a offert nos plus beaux moments de télé depuis Séville avec l’Euro 84 et les matches de première division en direct, Paille-Cantona en Espoirs et les résumés de Bundesliga, pour les plus secoués.
Et Zinédine, qui nous a offert tout ce que l’on sait.
Et puis toi, Michel, qui fait tant partie de notre mémoire de petits produits de la sous-culture télévisuelle. Ton interview de Coluche dans la piscine du Martinez, tes hurlements pendant France-Brésil 86, Gainsbourg pourrissant Ringer, Poiret dans son cercueil… Tu étais sans conteste l’homme de la situation, en ce 12 août bien sombre.
Mais TF1 a envahi Canal, Nulle Part Ailleurs est présenté par Stéphane Bern, les Nuls sont partis à temps mais les Guignols s’accrochent à leur notoriété comme un Marcel à son record de sélections, L’Équipe du Dimanche est présentée par un gars qui n’avait pas le niveau pour faire Téléfoot, et de Michel Platini consultant on est passé à Claude Leroy… Et d’un événement consacré au départ du dernier homme capable de faire vibrer notre peuple si froid, si peu latin finalement, vous nous faites… ça. Rien, quinze minutes de vide. Quinze minutes de plans fixes de la star qui fait vendre, entre deux tranches de pub. Champions du monde!
Zizou avait tout dit dans l’après-midi sur Internet.
"La plus belle chose de ma vie professionnelle". "Des belles choses et des moins belles mais surtout des belles". "Place aux jeunes". "Faut savoir dire stop, voilà, quoi".
Ça, on savait, Michel. Y’aurait peut-être fallu passer à autre chose, non? Tu demandes si le Real a influé? Ouais, pourquoi pas, mais on n’est pas vraiment là pour polémiquer. On veut écouter, partager, évoquer, s’émouvoir. Pas comprendre. Pas analyser. Pas l’entendre répéter ce qu’il vient d’écrire sur son site.
Tu demandes si un retour est envisageable dans six mois, si jamais ça va pas bien dans les qualifs? Oui, Michel, oui, c’est bon, ça, mais on connaît Zizou.
"Une équipe ne repose pas sur un seul homme", tout ça tout ça. Je sais pas, moi, demande-lui si un astéroïde géant devait tomber sur la planète et qu’il nous restait plus que vingt-quatre heures à vivre et que Bruce Willis serait pas disponible, est-ce qu’il accepterait de remettre son maillot? Même juste une mi-temps?
Tu demandes si le licenciement des Boixel, Ferret ou Emile a influé? Michel, n’y va pas à demi-mot, propose carrément qu’on vire ce bourrin de Domenech et qu’on rappelle Aimé, nom d’un petit bonhomme! Il ne va pas cracher sur les décisions des nouveaux, c’est Zizou, il est trop bien éduqué pour ça. C’est sa décision, il y a forcément des paramètres extérieurs qui rentrent en compte, comme les médecins, Lilian, Lizarazu, et peut-être même que Guivarc’h lui manque, qui sait… Mais est-ce qu’on s’en fout pas, un peu, des paramètres, des raisons, des causes, Michel? Zinedine Zidane ne portera plus le maillot bleu, celui avec l’étoile qu’il atricotée lui-même, tu te rends pas compte, Michel? Tu poses tes questions, là, comme si de rien n’était, comme si tu avais devant toi un Anelka qui claque la porte ou un Bernard Lama qui se la prend dans la tronche. Tu ne t’es pas mis à la hauteur de l’événement, Michel. Zizou était touché, toi à peine. Et nous, du coup, on n’a rien ressenti de plus que face à notre ordinateur, en lisant les annonces officielles de cette retraite. Ton seul boulot, c’était de lui transmettre notre détresse, notre tristesse, notre sentiment d’abandon, lui montrer à quel point on ressentait un vide, combien on se trouvait vieux, hier, d’un coup. Au lieu de cela, on a juste réalisé que 98, c’était loin, c’était il y a six ans, il y a un siècle, une éternité.
Votre émission était bâclée, presque autant que les pauvres images des journaux télévisés de votre grande sœur TF1 dans la foulée. Y’avait des tonnes de trucs à faire, matière à nous faire pleurer jusqu’à la Bosnie et plus si non-affinités avec les choix de Raymond, vous n’avez rien proposé, même pas le basique : l’émotion.
Je me doute que vous en gardez sous le coude, que les émissions spéciales vont pleuvoir jusqu’aux prochains succès de l’équipe de France. N’empêche, là, dans un direct qui sonnait aussi faux que l’interview simultanée de Domenech sur TF1 et France 2 pendant le 20 heures, vous ne m’avez pas fait vibrer, Michel. J’aurais préféré Gilardi, à la limite. Peut-être même Stéphane Bern.
Une telle cérémonie pour un départ, sûr que Zizou ne regrettera pas sa décision, merci pour lui.