Les médias rendent-ils service au football ?
Invité : Lucarne Opposée – L\'information sur le football abonde, mais de quel football nous parle-t-on? Étude de cas sur six sites Internet.
Qui mieux que Lucarne Opposée, le site tous les footballs, pouvait s'interroger sur la représentation des compétitions et des équipes dans l'information en ligne? NDLR : les graphiques ont été réinterprétés, d'autres versions figurent dans l'article originel.
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Nous avons tous eu nos rêves d’enfants. À l’époque où nous tapions dans nos premiers ballons, nous avons tous imaginé nos histoires de foot dont nous étions les héros, côtoyant alors nos idoles et les clubs qui nous faisaient rêver. Nous avons tous nos souvenirs. Outre les images marines et blanches, mes souvenirs personnels font remonter des noms comme Blokhine dont j’avais vu des images et lu quelques articles de l’épopée du Dynamo Kiev de 86 où son association avec Belanov m’avait alors marqué (et oui, déjà). Je me souviens me prenant pour ces ukrainiens virevoltant et leur football total. Je me souviens également cette passion pour le football argentin probablement arrivée avec l’Argentine de Maradona (je ne sais) qui crût dans mon esprit de petit enfant.
Ce n’est qu’en grandissant que j’ai pu mesurer ma frustration de ne pas pouvoir suivre réellement ces footballs, ces équipes. Non pas qu’il n’y avait aucun intérêt (quoi que) mais surtout car l’accès à l’information était quasi-impossible. Ce sont toutes ces frustrations que je comble désormais en parcourant la planète football grâce à Internet et chaque jour, je me suis souvent dit que si j’avais grandi à l’époque actuelle, j’aurais pu vivre encore plus intensément ma passion. En fait, plus le temps passe, plus je m’aperçois qu’il n’en est rien. Aussi cet article, fruit – il faut le reconnaître d’une certaine frustration –, doit aussi être pris non pas comme un pamphlet anti-presse mais surtout comme une base de réflexion sur le sujet du traitement du football et de sa diversité par les grands médias, débat auquel vous êtes invités.
Pluralisme ou redondance ?
On ne cesse de le rappeler, n’importe quel internaute assis devant son écran a accès à toute l’information. Pourtant, un simple regard sur l’offre proposée à l’internaute et au lecteur amateur de foot suffit à montrer que finalement, l’information à portée de tous n’a pas changé grand-chose. Un enfant de dix ans (c’était mon âge en 86) ne dispose que d’une couverture parcellaire et en rien différente de celle que j’avais à mon époque. Faux me direz-vous? Il suffit alors de s’intéresser à la façon dont l’actualité footballistique est couverte en France.
Dans son rapport d’activité daté de 2009, Franck Rebillard s’intéressait à Internet, pluralisme et redondance de l’information. L’étude, menée en collaboration avec de nombreuses équipes de chercheurs mêlant plusieurs disciplines, était destinée à mesurer, via divers sites couvrant l’actualité politique, l’information en ligne et ainsi rendre compte "de la dialectique entre pluralisme et redondance de l’information sur Internet". Pour cela, les auteurs ont mis au point un protocole d’observation destiné à étudier les actualités couvertes par différents sites généraux (et non spécialisés), qu’ils soient tenus par des journalistes ou de simples blogs, autour d’un thème particulier (à l’époque donc, la politique).
Ils avaient alors montré qu’un même sujet était traité de manière redondante par la presse en ligne, redondance qui tient dans le continuum dépêche, agrégateurs puis traitement critique ou réflexif par la presse. La plupart des blogs s’emparent alors de l’information (la presse conservant le plus souvent la primauté de l’info) et soit la traitent, apportant le plus souvent leur spécificité liée à leur subjectivité (le fameux "traitement décalé"), soit décident de l’occulter. Le pluralisme porte donc non pas sur les sujets traités mais principalement sur la façon de traiter un même sujet. Le football c’est différent?
Un jour en avril...
Répartition des thèmes abordés en page d'accueil de six sites
(jeudi 5 avril 2012)
Le football n’échappe pas à cette règle. Et d’en revenir à la problématique de départ: pour le gamin de dix ans, les mêmes images en boucle. Et quand ce ne sont pas les images, ce sont les textes. Exemple type : jeudi 5 avril. Alors que la Libertadores bat son plein, que l’Asie joue sa Ligue des champions, que la CONCACAF connait l’affiche de la finale de sa Ligue des champions, que l’équipe de France féminine poursuit sa domination sur le groupe 4 des qualifications pour le prochain Euro, que l’Europe se prépare aux quarts de finale retour de l’Europa League, 57% des titres en une sur 6 principaux sites traitant de football (soit 52 sur 92 articles au total) sont consacrés soit à la Ligue des champions européenne (dont les derniers matches se sont terminés la veille) et l’axe Paris-Lyon-Marseille.
Répartition des sujets abordés en page d'accueil
(5 avril 2012 – en nombre d'articles)
Si l'on reste centré sur l’Europe, les quarts de finale de l’Europa League ne concernent que 4% des actualités. Pire, si on prend les résultats site par site, si certains parviennent à "diversifier" leur une (citons par exemple Chronofoot, France Football et L’Équipe qui, malgré le faible nombre d’articles en une, répartit bien les sujets), certains jouent sur un sujet majeur venant totalement éclipser les autres (la palme pour So Foot et Foot 365). S’il n’est pas question pour moi d’opposer blogueurs et journalistes, la puissance financière dont jouissent les seconds par rapport aux premiers devrait permettre d’offrir une couverture plus large du football. Reste qu’au final, l’actualité footballistique reste principalement concentrée autour de peu de sujets tous redondants entre les sites.
Quand le buzz et la pub commandent l’information
Dans un ouvrage publié par l'Observatoire des mutations des industries culturelles, disponible en ligne, l’auteur, Tristan Mattelart, rappelle la transformation subie par la culture dans les années 80 lorsque va être introduite l’idée que "l’un des principaux lieux de production de la diversité culturelle est la consommation". Trente ans plus tard, cette affirmation guide toute couverture culturelle. Le football, pour moi un élément de culture, n’y échappe pas et, avec son titre de noblesse acquis un soir de 1998, va subir de plein fouet cette transformation pour passer de sport à l’état de produit de consommation. Pour citer Tristan Mattelart: "On voit bien le problème que pose le fait de penser la diversité culturelle en privilégiant l’instance de la consommation: le problème de l’offre devient alors secondaire". Sur Internet, l’aspect consommable est poussé à son paroxysme.
"Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible: c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible". Patrick Le Lay livre cette célèbre affirmation en 2004. Appliqué à ce football devenu produit de consommation cela donne des articles le moins long possible, des sujets les plus futiles et la priorité donnée à la course au buzz: il n’est plus nécessaire de prendre son temps à bien écrire, à travailler un sujet quand noyer d’infos aux titres vendeurs permet de générer l’audience. Pas une émission, pas un site de masse ne vit sans sa publicité, la fameuse "contrainte économique". Conséquence, le temps de présence de l’internaute dédié à la lecture d’un article ne compte pas: il suffit de générer du trafic. Même schéma à la télévision: moins d’images, moins de sujets de fond, place aux discussions de comptoir toujours en boucle sur les même sujets avec comme caution d’expertise, la sacro-sainte statistique sur laquelle s’appuie les nombreux sites de paris sportifs dont les spots publicitaires viennent ponctuer la plupart des émissions.
Souvenez-vous l’excellent reportage sur les conséquences du dopage de l’équipe algérienne dans le Canal Football Club. Qui a poursuivi le travail? Combien d’articles à ce sujet? Dans l’émission, après un malaise sur le plateau, aucune analyse, un joli renvoi aux vingt-deux mètres avant de passer à des sujets plus futiles.
Le temps de cerveau disponible, philosophie d’un homme vendeur de médiocrité à la télévision devenu président de club. Tout un symbole. Car s’il est une certitude, c’est que le football n’est plus un sport, une passion, il est devenu une industrie du spectacle dans laquelle les médias semblent désormais réduits à assurer la promotion de ses blockbusters.