Les larmes de Garuda
Conclue hier, la finale de l'AFF Suzuki Cup a généré un enthousiasme extraordinaire des Indonésiens pour leur équipe nationale. Un élan brisé par le réalisme malaisien...
Auteur : Richard N.
le 30 Dec 2010
Le soufflé est retombé beaucoup plus vite qu’il n’était monté. Le football indonésien avait à portée de main les ingrédients pour faire basculer le pays dans l’ivresse: une finale contre le voisin honni, un match retour à domicile et un handicap suffisamment lourd à rattraper pour susciter des envies d’épopée. Mais les joueurs de “Garuda”, surnom de l’équipe nationale indonésienne, ont échoué. Une fois de plus.
L'Indonésie qui affronte la Malaisie en finale de l’AFF Suzuki Cup, cela vaut bien, en terme d'intensité, un Allemagne-Pays Bas, un Grèce-Turquie ou un bon vieux Égypte-Algérie. Un match tendu d’avance entre équipes nationales voisines, où les polémiques sportives entrent en résonance avec les tensions politiques qui opposent les deux pays.
L'Indonésie, 136e nation au classement FIFA, est un pays où le ballon rond est évoqué avec passion et érudition. L’étranger y est accueilli à bras ouverts, on lui montre son maillot du Barça ou de Liverpool, on pose fièrement à ses cotés pour une photo souvenir, puis on évoque avec lui les exploits de Klose, de Messi ou Iker Casillas. On évoque la Ligue des champions, les grands clubs anglais, ainsi que les sélections dont la plupart des rencontres sont diffusées et suivies sur les télévisions locales.
Mais lorsque l’étranger demande, par hasard, ce qu’il en est du foot local, l’enthousiasme du passionné se fane, son visage devient triste, ses yeux partent dans le vague. Le foot, ici? Bof… Nous avons 240 millions d’habitants, et on n’est pas foutu d’en trouver onze pour taper correctement dans un ballon.
Nationalisme et primes de victoire
Apprendre en cette fin d’année que l’archipel s’enthousiasme pour Garuda, son équipe de foot, a donc de quoi interloquer. La Suzuki Cup, c'est en fait la Coupe des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN), une épreuve internationale née il y a une quinzaine d’année sous le nom de Tiger Cup. C’est la seule épreuve à la mesure de l’Indonésie et ses proches voisins, la seule qu’elle pourrait remporter un jour. L’archipel a d’ailleurs abrité quelques matches de poules du premier tour de cette édition 2010, en même temps que le Vietnam. Les demi-finales et la finale se jouent par matches aller-retour, dans le pays de chacun des adversaires.
L'équipe Indonésienne, entraînée par Alfred Riedl – un autrichien qui aurait notamment évolué une saison au FC Metz – a réalisé dans l’épreuve un parcours sans faute: quatre victoires sur quatre matches, dont un 5-1 en match d'ouverture contre... la Malaisie. Pour cette qualification, les joueurs ont reçu une prime de 210.000 euros, payée cash par un sponsor un peu spécial: M. Aburizal Bakri, businessman, milliardaire et homme politique très en vue, qui a de surcroît affrété un de ses jets privés pour emmener l’équipe à Kuala Lumpur.
Les tensions frontalières entre Indonésie et Malaisie sont suffisantes pour réveiller l’esprit nationaliste et faire de cette finale un événement. Le Jakarta Post, principal quotidien du pays, a bien fait monter la sauce en rapportant qu’au moins deux millions d'Indonésiens, installés plus ou moins légalement en Malaisie, convergeaient vers le Bukit Jalil National Stadium, antre du match aller.
Attaques laser
Cette finale aller, jouée le Boxing day devant 80.000 spectateurs, se déroula bien sûr dans une ambiance étouffante. La partie a même été arrêtée, juste avant l'heure de jeu, par l’arbitre japonais Toma Masaaki, après que les joueurs indonésiens se sont plaint d'être aveuglés par des rayons lumineux, projetés des tribunes par des spectateurs munis de stylo lasers. On n’arrête pas le progrès. Markus Horison, le gardien de but indonésien, fatigué de se faire chatouiller la rétine sur chaque coup franc, a dit son fait à l'arbitre. Celui-ci a dû arrêter la partie, s'entretenir avec le capitaine malaisien Safiq Bin Rahim, puis évacuer la pelouse tandis que le speaker annonçait que le match reprendrait lorsque tout le monde aurait rangé son stylo.
Ce n'est pas la première fois qu’une affaire de lasers vient perturber des footballeurs à Kuala Lumpur. L'équipe du Vietnam, battue 2-0 en demi-finales dans ce même stade, s'était plaint du traitement un peu spécial réservé aux adversaires. Malaise chez les Malais, l’affaire remonte en haut lieu jusqu’au ministre des Sports Ahmad Shabery Cheek qui présente aussitôt ses plus plates excuses: “Je suis en colère contre ces supporters malaisiens qui ne respectent pas l'esprit du sport”. Une déclaration qui n’apaise en rien la colère de la fédé indonésienne, bien décidée à porter plainte. Il est vrai que coté indonésien, on espérait bien, secrètement bien sûr, faire annuler la rencontre. Lorsque le match avait repris, après six minutes d'interruption, l'équipe indonésienne avait en effet encaissé trois buts quasiment coup sur coup et fini le match avec un sérieux 3-0 à remonter.
Le match retour au Gelora Bung Karno Stadium de Jakarta a suscité un élan d’enthousiasme considérable. Des écrans géants ont été installés sur les grandes places de la future ex-capitale, ainsi que dans d’autres grandes villes de l’archipel. Les Indonésiens obtiennent un penalty après un quart d’heure, mais le tir de la star locale Firman Utina est stoppé par le gardien malaisien. En début de seconde période, le terrible Modh Safee, deux buts au match aller, douche pour de bon l’enthousiasme local en ouvrant le score. C’en est fini des espoirs des Indonésiens, qui parviendront à inscrire deux buts dans les vingt dernières minutes – sans ébranler vraiment les certitudes malaisiennes.
Ce n’est pas cette fois encore que le foot indonésien laissera une trace dans l’histoire de son pays. Il ne manque pas grand-chose, pourtant, pour que les habitants s’enthousiasment à l’évocation de leur équipe nationale. Un jour, peut-être…
Sources : courrierinternational.com, thejakartapost.com, affsuzukicup.com