Les gains marginaux sont-ils l’avenir du foot?
Fin août, Liverpool s’est attaché les services de Thomas Gronnemark, spécialiste des remises en jeu. Tentative d’optimisation de la performance sans lendemain ou prélude d’une révolution? Ce recrutement inédit ouvre des perspectives sur la manière de préparer son équipe.
Qui a récemment passé un après-midi devant le Tour de France a déjà entendu l’expression, maintes fois utilisée au moment d’analyser (ou justifier) les résultats du Team Sky. À ceux qui s'interrogent sur la domination de l'équipe britannique, on oppose une réponse qui tient en deux mots: "marginal gains" ou gains marginaux.
Pour Dave Braisforld, manager général de Sky, les données sont simples: "Si vous isolez tous les éléments liés au cyclisme auxquels vous pouvez penser, et que vous améliorez chacun de 1%, en les additionnant vous obtenez un progrès significatif."
Les performances de Chris Froome, Geraint Thomas et consorts, vainqueurs de six des sept dernières éditions, tiennent-elles uniquement à une attention de tous les instants au moindre détail? On avoue ne pas connaître la réponse. On peut en revanche se demander si l'approche ne permettrait pas à un club de football d’obtenir de meilleurs résultats.
À Liverpool, on en est convaincus. Pas de combinaisons futuristes chez les Reds mais un technicien chargé d’améliorer les performances dans un secteur bien particulier: les touches. Désireux de ne négliger aucun détail, Jürgen Klopp a été séduit par les travaux de Thomas Gronnemark. Chaque match donnant lieu à près de cinquante remises en jeu, on se dit que le Danois n’a pas dû avoir à beaucoup argumenter. D’autant que le recours à des spécialistes est chose courante dans la plupart des sports.
Exception culturelle
Au rugby, chaque club pro dispose d’un entraîneur principal et de plusieurs assistants, chacun en charge d’un secteur de jeu: touche, mêlée, jeu au pied, technique individuelle.... Le Stade Rochelais est même allé jusqu’à recruter un adjoint en charge des phases de transition. Même idée outre-Atlantique où les franchises NBA et NFL emploient toutes, au minimum, un "defensive coach".
Le football fait figure d’exception. Très peu de clubs font appel à ce que Thomas Gronnemark appelle des "coaches de skills". "Comparé à d’autres sports, notamment des sports US, le foot a été un peu lent à tenter l’expérience (…) et je crois que ça tient à son histoire, avançait le Danois dans une interview à 20 Minutes en septembre. Historiquement, une équipe de foot a un manager ou un entraîneur, un entraîneur adjoint, un entraîneur de gardien et c’est tout." En dépit de ce que l’on peut observer partout ailleurs, la clé du succès ne résiderait donc pas dans la synergie des compétences.
Le cas du Paris Saint-Germain est symptomatique. Ses deux derniers coaches ont la réputation d’accorder une grande importance aux détails. Dans une interview à Football Stories en marge de sa biographie consacrée à Unai Emery, Romain Molina indiquait: "Lorsque tu arrives à cette optimisation des détails, c'est qu'il y a un côté un peu lunaire. C'est pas scientifique mais plutôt scolaire, voire universitaire."
Au fil de sa carrière, Thomas Tuchel s’est forgé la même réputation. Pourtant, ni le Basque ni l’Allemand n’ont pour l'instant fait appel à un intervenant extérieur afin d’améliorer les performances dans un secteur de jeu déterminé.
Cette réticence à solliciter des experts interpelle d’autant plus que les exemples de réussites liées de près ou de loin à un apport extérieur sont légion.
De l’importance des coups de pied arrêtés
Pour tenter de briser la "malédiction des tirs au but" qui frappait son équipe nationale (trois défaites dans l’exercice au Mondial et trois autres à l'Euro), la Football Association a par exemple convoqué des psychologues, qui ont soumis les joueurs sélectionnés pour la dernière Coupe du monde à des tests psychométriques. Le but: déterminer lesquels résisteraient le mieux à la pression si une nouvelle séance se présentait.
Fruit d’une préparation optimale ou simple coïncidence, les Anglais se sont qualifiés pour les quarts de finale en battant la Colombie… aux tirs au but.
Le cas du SCO d’Angers est également révélateur de l’impact que peut avoir un intervenant extérieur sur les résultats d’une équipe. Lors de la saison 2015/16, les Angevins ont inscrit 40% de leurs buts sur coups de pied arrêtés en Ligue 1. À la fin de la phase aller, ils étaient même à 63% et occupaient la troisième place.
À l’époque, la réussite du promu tenait en grande partie au travail de Pascal Grosbois, ancien milieu du club devenu spécialiste des phases arrêtées. Interrogé par 20 Minutes en janvier 2016, il souriait: "Je pense surtout que Stéphane Moulin a eu l’intelligence de faire appel à quelqu’un de l’extérieur, ce n’est souvent pas la règle dans le foot!" Le point de départ de son analyse? "Seulement 30 % de ces situations de jeu mettent en danger l’adversaire. Donc il y a les 70 % restants à optimiser", professait-il dans Comment regarder un match de foot?.
À la fin de la collaboration entre les deux parties en janvier 2017, le SCO est rentré dans le rang et oscille désormais autour de la moyenne nationale, située à 25%.
Au-delà d’un travail collectif, quelques clubs et sélections ont déjà fait appel à des entraîneurs pour faire progresser des individualités. Là encore, les exemples de résultats probants sont nombreux. Officiellement intégré au staff de Roberto Martinez en 2016 en tant que deuxième adjoint, Thierry Henry devait améliorer le rendement offensif des Diables Rouges, notamment celui de Romelu Lukaku dont la réussite était en berne. Bilan au terme des vingt-six mois de collaboration: ving-huit buts en vingt-sept matchs.
Gagner des secondes
À Chelsea, à partir de 2004, Christophe Lollichon a également tout mis en œuvre pour que son élève réussisse. Durant près de dix ans, il n’a eu de cesse de challenger Petr Cech. Biofeedback, dissociation segmentaire et analyses vidéos étaient chaque jour au menu du portier tchèque.
L’entraineur français est même allé jusqu’à collaborer avec Michel Guillon, optométriste installé à Londres. Ce dernier est connu pour avoir imaginé un tableau composé d’une petite centaine de lumières qui s’allument aléatoirement et que l’utilisateur doit toucher le plus rapidement possible. Objectif: gagner de précieux dixièmes, essentiels pour un gardien.
En Angleterre, l'ancien Rennais a empilé les trophées, soulevant la Ligue des champions à l’issue d’une séance de tirs au but d’anthologie. Parfaitement préparé par Lollichon et les gardiens remplaçants, Cech plongea six fois sur six du bon côté. Le tout après avoir stoppé un penalty d’Arjen Robben en prolongation. Quelques heures avant le début de la rencontre, le gardien avait déclaré: "Chaque match doit être abordé avec un plan en tête et avec une parfaite connaissance de l'adversaire. Le but est d'être le moins surpris possible."
L’appel à la technologie fait écho à ce qu’Hoffenheim a mis en place pour tenter de rivaliser avec les grosses écuries européennes. Il y a quelques années, le club a notamment investi dans un "Footbonaut", machine censée permettre de développer la réactivité et la précision des joueurs du TSG. Parallèlement, l’état de forme des troupes est constamment évalué.
À l’issue de chaque entraînement, les hommes de Julian Nagelsmann doivent impérativement donner leur ressenti sur la séance qu’ils viennent d’effectuer et évaluer leur niveau de fraîcheur physique. Le tout sur une application dédiée que chaque joueur possède sur son smartphone.
Malgré un budget inférieur à celui d’une dizaine de clubs allemands, "Hoppenheim" vient de terminer deux fois dans le top 4. Si le travail tactique et psychologique du jeune coach ne peut être occulté, la corrélation entre investissements technologiques et résultats donne à réfléchir.
Repousser les limites
Au-delà de considérations techniques, certains clubs commencent à plancher sur l’impact du sommeil et du bien-être des joueurs sur la performance.
À Southampton, les joueurs doivent chaque matin noter la qualité de leur sommeil sur dix. Même attention accordée à la récupération à Swansea ou Lille, deux clubs qui ont doté leur centre d’entraînement de petites chambres dans lesquels les joueurs peuvent faire des siestes.
En France, les travaux entrepris à Luchin ont valu à leur instigateur, Marcelo Bielsa, d’être définitivement rangé dans la catégorie des entraineurs excessifs. Une étude chez les basketteurs menée par l’Université de Stanford démontre pourtant clairement les bienfaits du sommeil sur la performance, avec des variations d’adresse substantielles… mais aussi des changements dans le temps de réaction et la vitesse de course.
À l’heure où les athlètes tutoient certaines limites physiologiques, l’amélioration de la performance semble passer par les détails. C’est en tout cas l’avis du Docteur Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de Recherche bioMédicale et d'Epidémiologie du Sport (IRMES). Le 14 octobre, au micro de France Inter, le chercheur assurait que c'est désormais "le couple techno-physio" qui permettrait de repousser les limites.
Indépendamment des études et des recommandations scientifiques, nombre de dirigeants n’ont pour le moment d’yeux que pour le rectangle vert. La question de savoir s’il vaut mieux investir trois millions d’euros dans un "Footbonaut" ou dans un footballeur ne se pose que dans de rares clubs.
L’attention accordée aux "gains marginaux" demeure l’apanage des joueurs. Dans un sport toujours plus concurrentiel, ils n’hésitent plus à investir dans des entraîneurs individuels ou dans du matériel technologique afin de franchir les paliers. Les prochains résultats d’Hoffenheim et de Liverpool donneront peut-être envie à certains dirigeants de les imiter.