«Les Anglais ne trouvent pas la L1 assez sexy»
Bonus web - À la suite de l'article du n°10 consacré à la presse anglaise, interview de Ric George, journaliste britannique et fin connaisseur du football européen…
Auteur : Propos recueillis par Chahine
le 22 Nov 2004
Ric George est journaliste free-lance. Il a débuté sa carrière dans une agence de presse locale avant de rejoindre le service des sports du Liverpool Echo, où il a travaillé de 1986 à 1999. Il a aussi été rédacteur chef du magazine officiel du FC Liverpool. Parfaitement bilingue, il a longtemps collaboré pour des médias français : correspondant anglais pour France Football pendant quinze ans, il a été consultant pour France 2 lors de l'Euro 96 ou encore pour Europe 1 et RTL entre 2001 et 2003... L’Angleterre est la patrie du football et le pays où la presse écrite est l’une des plus florissantes d’Europe. Comment expliquer alors l’absence de quotidien ou de pluri-hebdomadaire consacré au ballon rond? Tous les continentaux s’en étonnent. Les Français qui viennent chez nous constatent avec surprise l’absence d’une version anglaise de L'Équipe ou de France Football. En matière de football, la presse britannique se situe complètement à l’opposé de ce qui se fait en France. Chez vous, le ballon rond est la chasse gardée d’un quotidien spécialisé. Les grands journaux abordent le football dans leur rubrique sportive mais sur une page ou deux seulement. C’est tout le contraire en Angleterre. Nous n’avons pas de quotidien spécialisé sur le sport ou le football. C’est aux grands titres de la presse anglaise que revient le traitement de l’actualité sportive. Les tabloïds peuvent consacrer une dizaine de pages au foot en semaine, le double le week-end. Les journaux dits de qualité en font un peu moins, mais ils utilisent un plus grand format et publient chaque semaine des suppléments plutôt bien faits. Les lecteurs fans de foot n’éprouvent donc pas vraiment le besoin d’aller regarder ailleurs. D’autant plus qu’en achetant un journal généraliste, ils peuvent tout aussi bien s’informer sur les matches du championnat que sur l’actualité en Grande-Bretagne. Un journal comme L'Équipe pourrait-il voir le jour en Angleterre? En Angleterre, un quotidien exclusivement consacré au sport ou bien au football serait voué à l’échec. Il y a eu quelques tentatives par le passé, mais aucune n’a véritablement réussi. Les lecteurs n’ont pas suivi. Bien sûr, il y aura toujours quelques fanatiques qui seront prêts à acheter tout ce qui parle de foot, mais ces passionnés ne constituent pas un public assez important. Le créneau n’est pas porteur et n’offre aucune garantie de réussite. Par ailleurs, il existe une certaine paranoïa chez les journalistes anglais. Les chroniqueurs sportifs de la presse quotidienne verraient d’un très mauvais œil l’émergence d’un concurrent. Ils se sentiraient menacés et seraient prêts à tout pour que celui-ci coule au plus vite. Personnellement, je souhaite vivement qu’un quotidien type L’Équipe ou La Gazzetta dello Sport puisse émerger et rivaliser avec les journaux traditionnels. Mais j’en doute fort. À moins de changer la mentalité du lecteur anglais. On doute parfois de l’impartialité des journaux anglais, qu’en est-il au juste? Les supporters d’un club anglais aiment bien croire que la presse soutient l’équipe rivale. Par exemple, les supporters de Liverpool diront que le Daily Mirror est anti-Liverpool et pro-Manchester United. Je ne sais pas si cela est vrai. Le parti pris est parfois bien difficile à déceler dans les colonnes de certains journaux. Par contre, une chose est sûre, c’est que les journalistes de la presse tabloïd peuvent clairement afficher leurs préférences dans les comptes rendus de matches. Et au sein même de ces rédactions, on peut trouver des journalistes supporters de Manchester, d’Arsenal, de Chelsea, de Liverpool ou de n’importe quel autre club anglais. Il est vrai aussi que Manchester United et Arsenal bénéficient d’une plus large couverture médiatique que les autres clubs. Leurs victoires sont bien médiatisées car ce sont les équipes les plus populaires du moment, et donc celles qui font vendre le plus. Paradoxalement, ils se feraient descendre en cas de fiasco en Champions League ou s’ils venaient à se faire sortir de la Cup par un modeste club de division inférieure. Les tabloïds ont-ils le redoutable pouvoir que l’on veut bien leur prêter? Les tabloïds, et plus particulièrement le Sun et le Mirror, sont très populaires. Ils touchent des millions de personnes tous les jours. Leur influence est considérable sur le lectorat anglais. Les premiers acteurs du football que sont les joueurs et les entraîneurs n’ignorent pas ce qui se dit dans ces journaux. Même s’ils ne sont pas eux-mêmes lecteurs de la presse tabloïd, ils finissent toujours par savoir tout le mal que l’on pense d’eux. Si un journal influent veut éjecter un entraîneur, il fera tout pour y arriver. Il dramatisera chaque résultat négatif et publiera à coup de gros titres toute déclaration susceptible de le décrédibiliser aux yeux des supporters. Plus le titre est gros, plus il a de chance d’être lu, cru et retenu. Un entraîneur qui a la presse montée contre lui a toujours une chance de s’en sortir. Mais dès lors que le public adhère aux idées du journal, il est foutu. En Angleterre, un entraîneur ne peut pas se mettre à dos les journalistes et les supporters. Pourquoi s’intéresse-t-on si peu au football étranger de l’autre côté de la Manche? Les Anglais sont des insulaires. Ils se moquent un peu de tout ce qui peut bien se passer en dehors de leur île. Beaucoup s’imaginent encore que le foot pratiqué ici est meilleur qu’ailleurs sous prétexte qu’il fut inventé par des Anglais il y a deux siècles. Cependant, la couverture médiatique des championnats étrangers est meilleure qu’il y a dix ou vingt ans. Quand j’ai commencé à travailler pour le Liverpool Echo en 1986, je tenais une rubrique dans l’édition du samedi exclusivement consacrée au football étranger, histoire d’informer les lecteurs sur ce qu’il se passait dans les stades du continent. On s’était bien moqué de moi à l’époque. On me disait que personne ne la lirait. Et pourtant, cette rubrique a connu beaucoup de succès au fil des années. Les lecteurs l’avaient bien appréciée. Puis Sky fit son apparition dans le paysage médiatique. Du jour au lendemain, on a eu droit aux matches des championnats italien et espagnol à la télé. Les Anglais se sont alors mis à s’intéresser au football venu d’ailleurs. Mais cet intérêt demeure assez limité si l’on compare l’engouement de nous voisins Européens pour notre Premier League. Quel regard portent les Anglais sur la Ligue 1 ? À vrai dire, les Anglais ne savent pas grand chose sur le championnat de France. Il y a encore un grand manque d’information à ce niveau-là. Je me rappelle que les tabloïds avaient titré "Arsène who?" lorsque Arsène Wenger avait débarqué à Londres pour être nommé manager d’Arsenal. Vu que je m’intéressais au football français — depuis 1977 pour être précis — je connaissais assez bien Wenger. J’avais même écrit un article sur les qualités de cet entraîneur et sur ce qu’il pouvait apporter à son équipe. J’avais dit qu’il réussirait bien en Angleterre. En fait les Anglais ne trouvent pas le championnat de France assez "sexy". Cela vaut aussi pour la Bundesliga. Cela dit, même la Bundesliga a plus de charme que la Ligue 1 aux yeux des Anglais. Votre championnat sera pris plus au sérieux dès qu’un club français remportera la Champions League à plusieurs reprises, histoire de marquer les esprits. Et encore. Regardez Porto. Ils ont gagné la Coupe de l’UEFA puis la Champions League, mais la seule raison pour laquelle on entend parler d’eux ici est parce qu’ils rencontrent Chelsea en matches de poule… >> Retrouvez l’actualité du foot anglais sur l'excellent kicknrush.com