Lemerre qu'on voit danser
Première contribution d’un nouveau venu parmi la rédaction des Cahiers, lecteur fidèle, mais néanmoins auteur à succès, Julien Sibony. Pour cette première, il nous propose une chronique ouverte sur le cas Lemerre, déroutant personnage à la tête d’une équipe sans surprise.
Auteur : Julien Sibony
le 5 Juin 2000
Roger Lemerre est-il un bon sélectionneur? Si la question préoccupe tous les passionnés de foot, peu sont ceux qui osent crier haut et fort leur désapprobation et leurs inquiétudes. Jurisprudence Jacquet oblige. Que l'on critique la sélection de Karembeu, et l'on se voit rappeler celle de Dugarry en 98. L'absence de Lamouchi ou de Cauet vous gêne? Elle n'est pas plus scandaleuse que celle de Cantona ou de Ginola à d'autres époques. Et si ce sont les propos sibyllins de Lemerre, à faire pâlir Canto lui-même, qui vous déplaisent, on vous rappellera que le "dieu" Aimé etait bien peu enclin à communiquer. C'est ainsi que les maladresses passées d'une "certaine presse" permettent à Lemerre de travailler dans un climat des plus agréable. Que ceux qui en doutent lisent la presse étrangère. Comment dès lors peser les mérites du sélectionneur français en évitant les écueils de la critique simpliste? Il faudrait déjà s'entendre sur ce qu'est un bon sélectionneur.
Un sélectionneur... ca sélectionne. Au delà de cette lapalissade, la responsabilité première de Lemerre etait bien de livrer une liste de 22 joueurs, c'est fait; elle est discutable, une autre liste l'eût été autant. L'Espagne s'est privée de Morientes, les Pays-Bas et l'Italie laissent des superstars sur le carreau. La liste française n'est donc pas scandaleuse. Mais n'y a-t-il pas manière et manière de sélectionner?
Lemerre "s'appuie" sur le groupe champion du monde, il ne le cache pas. Que les champions du monde soient avantagés, c'est somme toute assez légitime: leur capacité à gérer des grands rendez vous n'est pas négligeable. Mais Lemerre n'est-il pas allé trop loin? Pires et Karembeu ont été appelés sans que l'on donne leur chance à Lamouchi et Cauet! Cela est injuste. Au delà d'une éventuelle erreur technique, la question prend une dimension éthique. Les plus cyniques diront que cette exigence de justice n'est pas dans le cahier des charges. Et qui sait si Karembeu ne nous fera pas gagner l'Euro? Mais Lemerre aura-t-il eu raison pour autant?
C'est bien parce que la sélection des trois quarts de l'équipe s'imposait d'elle même et qu'il faudrait être devin pour savoir si Pires et Micoud feraient un meilleur Euro que Vairelles et Giuly, que les choix de Lemerre auraient dû être transparents. Or si l'on reprend ses déclarations, notre sélectionneur nous a annoncé tout et son contraire. Charbonnier, Djetou, Vairelles n'ont d'ailleurs pas mâché leurs mots pour critiquer l'iniquité d'un système où le sélectionneur n'a finalement aucune justification à donner. Simone, qui lui non plus n'a jamais eu sa chance en Italie, a récemment pris Zoff à parti. N'est-on pas en droit d'attendre du détenteur d'un poste aussi prisé et aussi puissant que celui de sélectionneur un certain sens de l'équité? Car on ne juge pas un sélectionneur que sur ses résultats. Prétendre cela revient à présupposer que le football est une science exacte et à donner raison à ceux qui s'empressent de virer les entraîneurs dès que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Un sélectionneur, qu'il le veuille ou non, est un personnage public qui doit avoir la conduite appropriée à sa tâche.
Ainsi Lemerre communique mal. Mais finalement est-ce que cela porte réellement préjudice à l'équipe de France? Non. Les mécontents ne sont pas dans les 22, et les journalistes et amateurs déconcertés n'ont jamais réellement pesé sur un match. Lemerre pêche par la forme. Soit. Qu'en est-il du fond?
Comment juger du travail de Lemerre? La tactique bien sûr. Et la cohésion. 22 bons joueurs et à fortiori 11 n'ont jamais fait une équipe. Pour ce qui est de la cohésion, en se bornant à choisir les "happy few" champions du monde, Lemerre s'est couvert à coup sûr. Ce n'est pas le cas de Rijkaard ou de Ribbeck qui doivent gérer les dissensions de leurs joueurs. Mais avait-il le choix? Ginola exagère peut-être en disant que Deschamps fait l'équipe, mais l'on remarque bien avec le préparateur mental des bleus que "consciemment ou inconsciemment, les champions du monde n'ont pas donné la balle à giuly en écosse". Dans ces conditions, la cohésion s'est faite d'elle-même. Qu'en est-il de la tactique? D'après Roger, chaque match est riche d'enseignements. Le profane reste dubitatif. 4-3-3 ou 4-4-2? Henry et Wiltord ensemble? Djorkaeff et Zidane ensemble? Anelka ou pas Anelka? Que se passe-t-il sans Zidane? Lemerre le sait-il vraiment?
Les contradictions de son discours permettent d'en douter. Et l'on retombe à nouveau sur le "savoir communiquer".
Enfin, l'entraîneur moderne, à fortiori le sélectionneur national, dispose d'un atout majeur, les changements. Or s'il existait un doute en 98 sur le réel potentiel des 22, il n'y en a aucun aujourd'hui. Fort d'un groupe aussi riche et doté de joueurs aux qualités si différentes, Lemerre devra savoir sentir les besoins de son équipe, les faiblesses de l'adversaire et s'adapter alors en cours de match.
Attendre le 2 juillet pour juger? Très bien. Mais en communiquant si mal et en ayant une gestion si peu humaine, Lemerre n'a pas encore montré qu'il etait un bon sélectionneur. Un Euro qui s'arrêterait pour les bleus avant la finale prouverait même le contraire.