Il ne fait pas bon être supporter de Manchester United en cet hiver 2015. D’abord parce que les Red Devils sont complètement passés à côté de leur Boxing Day et que la situation ne s'améliore pas franchement depuis. Ensuite parce que le FC United of Manchester, le désormais fameux club anti-Glazer et anti-foot-business créé par des supporters de MU, n’a carrément pas eu droit à son Boxing Day, la faute à un terrain impraticable. Les joueurs du FCUM ont donc eu deux jours de plus pour digérer le repas de Noël avant d’accueillir Hednesford Town pour le compte de la Vanarama National League North, la 6e division du football anglais.

Ambiance à part

Le Football Club United of Manchester concentre une bonne partie de tout ce pourquoi on aime le football: l’Angleterre, un stade carré, des chants, un maillot splendide, de l’engagement et un peu de lose. Surtout, il redonne un peu d’espoir dans l’avenir du foot dans un passage de 2015 à 2016 marqué, entre autres, par la flambée des montants de transfert, les scandales de la FIFA, et la Ligue 1 la plus inintéressante de l’histoire de l’humanité.

Sur place, les gars qu'on voit dans le tramway en allant au stade ont vraiment la classe. Tout le monde descend à l’arrêt Newton Heath & Moston, dans le quartier où est né le vrai (ou l’ancien vrai) Manchester United en 1878 sous le nom de Newton Heath LYR F.C. Le temps de remonter la bien nommée St Mary’s Road entouré d’autres pèlerins et nous arrivons à Broadhurst Park, le stade flambant neuf du FCUM. L’enceinte est un modèle de ce que EA Sports aurait intelligemment baptisé "Stade à l’Anglaise (D6)". Autant dire que c’est autre chose que les arènes aseptisées qui poussent comme des champignons en Europe depuis que les villes en ont assez de construire des ponts et des musées.

À Broadhurst Park, on compte une tribune assise et un kop debout derrière le but; les deux autres côtés du stade sont constitués de préaux sans gradin recouverts de drapeaux en l’honneur des différentes branches de supporters, de slogans antifascistes ou encore d’hommages aux légendes locales Warsaw/Joy Division/New Order. De quoi rappeler le rôle avant-gardiste et révolutionnaire que compte jouer le FC United dans le nouvel ordre du football mondial.

Bon début de match

Les 3.421 supporters du jour ont commandé leur hot-dog et payé leurs neuf pounds d’entrée, le kop donne de la voix et le match peut commencer. Le FCUM, 19e sur 22 en National League North, joue aujourd’hui un match plutôt important pour sauver sa saison face à un concurrent direct dans le ventre mou, Hednesford Town, 17e avec un point de plus. On est ici en 6e Division anglaise et, évidemment, le football pratiqué n’est pas des plus techniques mais la rencontre est ouverte et plutôt agréable.

Le FC United commence par défendre devant le Kop et le gardien David Cornell multiplie les sorties aventureuses façon libéro... jusqu’à une première bourde durant laquelle il laisse ses buts sans défense et se fait dépasser par l’attaquant de Hednesford. L’occasion est heureusement vendangée par l’imposant numéro 9 adverse, Kyle Perry, qui sera dès lors gratifié d’un "Number 9 wants a pie" à chaque prise de balle pour lui rappeler qu’il a bien profité des fêtes. Il n’a pas l’air de trop s’en émouvoir puisqu’il chauffe le public en mimant le chef d’orchestre.

Entre temps, Matthew Wolfenden ouvre la marque pour United de l’autre côté du terrain et les chants reprennent de plus belle, avec ces appels-réponses en forme de gospel interminable dont seuls les kops anglais ont le secret. L’arbitre siffle la mi-temps, l’occasion de faire le tour du stade et d’acheter une écharpe souvenir, vendue dans un stand rempli de goodies de plus ou moins bon goût, nounours et bonnets roses bonbon pour mamies anglaises compris.

Projecteurs récalcitrants

Au retour des vestiaires, le F.C. United gère un peu négligemment son avance et personne ne semble trop inquiet pour l’évolution de ce beau lundi après-midi. Et personne ne voit venir (peut-être d’ailleurs que personne ne l’a vraiment vu, à part les quelques supporters de Hednesford regroupés de l’autre côté du terrain) cette égalisation du numéro 11 Adam Thomas. En fait, à ce moment-là, tout le monde était occupé à réinterpréter Anarchy in the UK avec les sympathiques paroles que voici: “I am an FC fan/I am a mancunian/I know what I want/And I know how to get it/I want to destroy Galzer and Sky/Cos I wanna be at FC”.

Après ce but contre le cours du jeu, l’ambiance devient un peu plus tendue, sixième division oblige. L’arbitrage n’est pas franchement sévère, avec un quelques attentats et échauffourées pour un seul carton jaune… attribué de manière assez absurde au portier de Hednesford pour gain de temps alors que le quatrième arbitre annonçait un changement. Ou peut-être que le portier en question voulait simplement laisser monter le "oooh" avant le traditionnel "You fat bastard" qui accompagne tous ses dégagements. De son côté, le FCUM pousse vainement pour reprendre l’avantage. Et quand il semble prendre finalement le dessus, le sort se charge d’éteindre le feu de leur révolte. Littéralement.

À l’approche de la fin du match, deux projecteurs s’éteignent au-dessus du stand et le match est arrêté. Il reprend quelques minutes plus tard devant un public un peu plus clairsemé, mais les ultimes tentatives mancuniennes ne donnent rien, et les deux équipes se quittent donc sur un score nul. L’ascension du FC United à travers la pyramide du foot anglais attendra. En revanche, nul doute qu’une partie – la meilleure – de l’avenir du football se joue à Newton Heath, avec ceux qui se réapproprient le football parce qu’ils en ont marre de payer toujours plus cher pour un spectacle toujours plus pauvre, et qui savent que sans eux le football n’est rien. Et puis, si on voulait voir le Man U-Chelsea programmé le même jour, il valait définitivement mieux aller au pub.