Le coup de la panne
Lettre ouverte aux internationaux français : c'est le moment de contracter une bonne petite blessure pour échapper à l'enfer du calendrier et être en pleine forme au Portugal…
Auteur : Etienne Melvec
le 23 Mars 2004
En 2002, nous avions vécu un Mondial morose, amputé de plusieurs stars, dominé par un Brésil médiocre, mais dont de nombreux titulaires avaient bénéficié d'un temps de travail réduit grâce à leurs blessures en cours de saison (à commencer par Ronaldo) et par une Allemagne qui bénéficia de la vraie trêve hivernale de la Bundesliga (et qui en bénéficiera encore, avec ses internationaux presque tous engagés sur le sol national). Mais les bons parcours de la Seleçao et de la Mannschaft n'avaient pas caché la faillite avant tout physique des autres "grands pays" de football, terrassés par des équipes de coureurs de 5000 mètres bien préparés. L'Euro sera le moment de voir si le rapport de force a encore évolué en faveur des clubs, engagés dans une guerre contre les sélections, qu'ils voudraient réduire à la portion congrue. Afin de faire pencher la balance du bon côté et de ne plus être victimes d'un quadriceps ou d'un genou défectueux, et plus généralement d'un état de fatigue avancé de nos favoris, nous adressons aux internationaux français cette incitation à tirer au flanc pour la bonne cause. Camarades bleus, Nous sommes à moins de trois mois de l'Euro 2004. L'heure devient grave. Nous fûmes suffisamment avertis, il y a deux ans, des conséquences des cadences infernales sur vos organismes, sur la qualité de jeu des sélections nationales et surtout, sur les performances de l'équipe de France. Le 12 juin prochain, au moment du match d'ouverture du championnat d'Europe, beaucoup d'entre vous auront dépassé la cinquantaine de matches disputés, et entameront leur onzième mois de compétition. Pour certains, la saison a commencé dans les 99% d'humidité des contrées asiatiques ou américaines où vous a traînés l'avidité de vos dirigeants en plein mois d'août, vous privant d'une préparation digne de ce nom. D'autres subissent le peu de goût de leurs entraîneurs pour le turnover. Et tous autant que vous êtes, l'enchaînement des matches, la pression du résultat, les coups des adversaires et la médecine du tirage sur la corde (infiltrations, anti-inflammatoires, rééducation express…) vous amènent inévitablement au dernier stade de l'épuisement une fois passée l'ultime échéance de votre club. Sur un autre plan, vous subissez toute l'année les discours de vos dirigeants. À leurs yeux, le fait de payer l'exorbitant salaire de votre sueur leur donne l'exclusivité de votre temps et de votre talent, niant un siècle d'histoire des équipes nationales — dont ils veulent bien les avantages (la valorisation de leur précieux cheptel sur le marché des transferts, un show room bien pratique pour recruter ou vendre) sans en accepter les inconvénients, n'hésitant pas à se plaindre de disposer des meilleurs joueurs du monde. Ils atteignent là des sommets de mauvaise foi, accusant les sélections de plomber les calendriers, quand eux-mêmes votent pour des championnats à vingt clubs, des coupes d'Europe plombées par les poules, la duplication des coupes nationales, la suppression de la trêve hivernale et, donc, les tournées lucratives à l'autre bout du monde. Restez sourds camarades, hochez la tête en les écoutant, mais n'en pensez pas moins, n'en donnez pas plus. Car vous n'avez pas oublié que la gloire sportive la plus noble s'acquiert sous des tuniques vierges de sponsors, lors de ces phases finales qui ont gravé en vous, au temps de vos jeunes années, l'amour du football. De Séville à Rotterdam, en passant par la porte d'Auteuil, Guadalajara et Saint-Denis, c'est l'équipe de France qui nourrit les plus belles passions… Mais le drame, c'est que nous avons la certitude que certains d'entre vous, y compris parmi les titulaires présumés, manqueront à l'appel de la liste des 23, ou à celui des feuilles de match de l'Euro. Plutôt que de laisser votre destin et celui des Bleus se jouer à la roulette russe, les Cahiers vous invitent à recourir à une solution simple et efficace. En effet, le football contemporain est à ce point absurde, qu'il faut désormais considérer les absences pour blessure — à cette période — comme des chances de préserver votre état de forme, et comme des motifs de satisfaction pour nous autres supporters. C'est ainsi que parmi vous, Sagnol, Lizarazu, Gallas, Giuly ou Trezeguet devraient arriver au Portugal avec un kilométrage raisonnable, grâce à différents pépins physiques dont on est prêt à se féliciter. Comme quoi, le foot est vraiment dangereux pour la santé. Notons au passage que certains y sont allé un peu fort dans l'intermittence, comme Desailly, Barthez ou Wiltord, mais c'est un moindre mal pour des compétiteurs de leur trempe, habitués à être dans une forme optimale quand les échéances se présentent. En revanche, l'inquiétude est de mise pour Vieira, Makelele, Henry, Zidane, Silvestre ou Pires et quelques autres comme Dacourt ou Thuram, à peine moins sollicités. C'est à ceux-là que nous lançons un vibrant appel. Messieurs, il est encore temps de vous octroyer un arrêt maladie réparateur, un bon mois de coupure qui vous laissera le temps de reprendre l'entraînement, puis de revenir à votre meilleur niveau dans les dernières semaines des saisons nationales. Veillez à doser la gravité de la blessure pour ne pas compromettre vos chances: une petite déchirure, une bonne élongation, une entorse raisonnable, une légère fatigue des adducteurs feront parfaitement l'affaire. La parfaite connaissance de votre corps doit vous permettre ce subtil dosage, voire de simuler tous les symptômes d'une de ces pathologies. À défaut, ne négligez pas l'option suspension, puisqu'un ou deux cartons rouges judicieux vous permettraient d'arriver à un résultat similaire à moindres frais pour vos mutuelles santé. Bref, camarades, c'est le moment de vous faire porter pâles, afin de porter plus haut les couleurs nationales en juin prochain.