Le cadeau fiscal empoisonné de l'Euro 2016
En se privant de 200 millions d'euros de recettes fiscales au proft de l'UEFA, la France continue la tradition de l'extrême gentillesse envers des instances loin d'être irréprochables. Malgré le caractère scandaleux d'une telle mesure...
Le deuxième projet de loi de finances rectificative pour l’année 2014 recelait quelques nouveautés fiscales. Parmi elles, l’exonération de toute fiscalité des sociétés qui organiseront les futures compétitions sportives internationales en France, y compris l’Euro 2016.
Devant la levée de boucliers que la mesure a provoquée, la commission des finances a adopté un amendement qui restreint cette faveur au seul Euro 2016, privant ainsi les futures compétitions de toute exonération systématique. Cela ne signifie pas que le championnat d’Europe de basket, par exemple, qui doit se tenir en France en 2015, ne bénéficiera pas du même traitement que l’Euro de football, mais les députés ont décidé que la décision se ferait au cas par cas, refusant ainsi de faire du racket fiscal une norme. Un premier pas, qui en appelle d’autres: le groupe écologiste à l’Assemblée a déposé un amendement qui supprime purement et simplement la mesure (lire la tribune des députés EE-LV).
Illégitimité juridique et économique
Pour le seul Euro, le manque à gagner pour l’État est estimé à environ 200 millions d’euros. C’est la nécessité de respecter les engagements pris par la France dans le cadre de la candidature qui a été invoquée pour justifier le maintien de l’exonération pour l’Euro 2016. Mais au-delà de son caractère scandaleux – qui suffirait à lui seul à le rendre illégitime – ce cadeau pourrait bien connaître quelques accrocs juridiques. Un tel abandon de recettes, en effet, constitue une aide d’État au même titre qu’une dépense, probablement contraire au droit européen dans le sens où on peut difficilement lui conférer un caractère "d'intérêt général" (lire "Pas d’impôts ou pas d’Euro : pourquoi le chantage fiscal de l’UEFA est contraire au droit européen"). De quoi relativiser les prochaines remontrances de l’UEFA à l’égard d’un club qui aurait reçu des subventions de la part du secteur public. Il n’est pas garanti, non plus, que la loi passe l’épreuve du Conseil constitutionnel sans encombre: la rupture de l’égalité devant l’impôt est ici bel et bien consommée.
Cette exonération, pourtant, n’avait pas créé de vagues lorsque la France avait déposé son dossier de candidature en 2010, époque à laquelle la crise était déjà bien installée et la question des finances publiques au moins aussi omniprésente qu’aujourd’hui. Et pour cause: le procédé est un classique, même s’il a pris une dimension inquiétante ces dernières années – en 1998, par exemple, la FIFA n’avait pas bénéficié d’un régime fiscal dérogatoire pour l’organisation de la Coupe du monde. Sans doute un début de prise de conscience s’est-il opéré ces quatre dernières années, pendant lesquelles les désastres sociaux, économiques et écologiques des Mondiaux sud-africain et brésilien ou des Jeux de Sotchi ont été largement relayés par les médias. Il est en effet acquis aujourd’hui que les grandes messes sportives rapportent moins qu’elles ne coûtent, et la promesse nébuleuse de retombées d’images, la défense des compétitions internationales comme accélérateurs économiques, ne suffisent plus à justifier les dépenses engagées pour leur organisation: il arrive un moment où la facture est trop douloureusement concrète pour qu’on la fonde sur des motifs abstraits ou des bénéfices lointains.
Exigences et résistance
Reste à savoir si la quasi-unanimité qui semble se dessiner autour du coût de l’organisation de ces événements peut aboutir à un quelconque changement dans la pratique. La surenchère dans le chantage – le terme n’est pas usurpé – ne semble pourtant pas avoir trouvé son point de rupture. Contestée par à peu près tout le monde, noyée sous les scandales, la FIFA paraît encore largement intouchable. Les investigations consécutives aux accusations de corruption sur les dossiers Russie 2018 et Qatar 2022 ont débouché sur une vaste fumisterie qu’on ne peut qu’observer avec cynisme ou affliction. Le stade critique d’impopularité atteint par les instances internationales n’a pas non plus conduit ces dernières à mettre le ola sur leurs exigences. Une petite "ristourne" fiscale n’est d’ailleurs qu’une obligation d’ordre secondaire si l’on se souvient que les instances imposent, à l’occasion des tribunaux d’exception, l’interdiction aux gens de rentrer chez eux le soir sans être accrédités ou exigent l’expulsion de commerçants non officiels de ses "zones d’exclusion".
La riposte politique n’en est qu’à ses balbutiements, mais elle est la seule à pouvoir déboucher sur quelque chose. Elle témoigne en tout cas d’un certain embarras chez des parlementaires conscients de l’inadmissibilité de telles lois dans une société en crise, où les questions de souveraineté ont, par ailleurs, pris un tour hystérique. Arguer que la suppression de cette exonération pourrait affaiblir les futures candidatures tricolores, ce n’est rien d’autre que céder au racket. Et c’est sans compter sur l’éventuel effet d’entraînement qu’une suppression de cet avantage indu pourrait avoir sur les autres nations candidates. Bien que celui-ci soit aujourd’hui largement hypothétique, il faut bien qu’il y en ait un qui commence.