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La trajectoire des balles

Quelques mots à nos lecteurs et nos amis: sur le football, le terrorisme et Paris.

Auteur : Jérôme Latta le 16 Nov 2015

 

 

En football, la tradition des France-Allemagne nous renvoie à quelques inoubliables rencontres "historiques". Celle de vendredi le restera avec comme singularité le fait que pas grand monde ne se souviendra du score ou du nom des buteurs.

 

 

Au stade

Comme certainement beaucoup de spectateurs et de téléspectateurs du match, nous nous repassons la bande-son des explosions entendues lors de la première mi-temps, et nos pensées encore désinvoltes à ces instants: "Tiens, ils tentent les bombes agricoles pour mettre de l'ambiance au Stade de France".

 

C'était le coup d'envoi d'autre chose qu'une soirée de foot et à partir de la mi-temps, quand les premières informations – invraisemblables, confuses – ont commencé à tomber, l'écran ouvert sur le match s'est progressivement estompé pour disparaître complètement.

 

Notre sport aura été mêlé dans notre pays, au cours d'une période dont les débuts coïncident avec ceux des Cahiers du football, à bien des moments d'hystérie nationale, il aura été considérablement instrumentalisé par les plus néfastes desseins – auxquels il a généreusement offert le spectacle de nombreuses turpitudes. On ne peut qu'être frappé par la façon dont, d'affaire en affaire, cette chronique-là a témoigné des pathologies de la société française, de la France black-blanc-beur de 1998 au scandale des quotas en passant par France-Algérie 2001 et la Coupe du monde 2010.

 

De bien des manières, le football a pris la place centrale d'une obsession nationale, et rarement pour des raisons strictement sportives. En visant le Stade de France, les terroristes ne se sont pas placés sur ce terrain-là, mais ils ont bien saisi l'impact symbolique que pouvait revêtir cet objectif: le lieu, l'affiche, la présence du président de la République, le nombre potentiel de victimes.

 

Cette fois, le football n'a fait que de la figuration, presque en marge des événements. Essentiellement parce que les kamikazes sont restés à l'extérieur du stade. On doit à l'efficacité de la surveillance aux entrées, à la bonne gestion de l'évacuation et à ce qui s'apparente à un total manque de présence d'esprit de la part des assaillants, d'avoir échappé à un bilan infiniment plus lourd – tant il aurait été facile de l'obtenir en profitant de la densité de la foule aux abords de l'enceinte quand celle-ci était en train de se remplir.

 

Pour nous amateurs de football, la conscience, même vague, que les stades peuvent constituer des objectifs pour des tueurs de masse n'est pas nouvelle, mais elle va désormais prendre une tout autre acuité, et d'autres résonances dans les mois qui vont précéder l'Euro 2016.

 

 

À la ville

Malheureusement, les autres opérations menées vendredi soir à Paris auront connu une tout autre réussite. Et cette fois, ce n'est pas par le football que nous ressentons une proximité particulière avec des événements dont l'impact dépasse pourtant les limites topographiques. Je ne voudrais pas tomber dans le travers consistant à "ramener à soi" des événements qui ont une telle portée, mais je ne saurais tout simplement pas faire autrement que de dire, aussi, le sens plus personnel pris par ces événements, entre l'intime et le général.

 

Si les rédacteurs des Cahiers, à toutes les époques, ont toujours compté des gens de toutes origines et de toutes localisations, les lieux des attentats ou leurs lisières sont ceux où beaucoup d'entre nous vivent, où nous nous réunissons ou travaillons, où nous sortons, où nous avions fêté nos dix ans. Où nous buvons des coups avec les copains de Horsjeu, qui ont perdu Moké au Bataclan, un de leurs piliers. Où habite notre camarade Gilles Juan, qui a perdu deux amis rue de Charonne. On vous embrasse, comme tous ceux qui sont dans la peine.

 

Ces quartiers réunissent des bars, les restaurants, les salles de concert. Des endroits où résiste aussi (tant bien que mal) un Paris populaire et populeux, où se côtoient des milieux et des origines différents, des quartiers qui – au contraire de bien d'autres – ne sont ni un décor pour touristes, ni le théâtre d'un entre-soi social étouffant, ni les territoires exclusivement diurnes où se concentrent les entreprises.

 

Ce ne sont pas des lieux universels, ni idéaux: ils excluent eux aussi, et on ne saurait ignorer les faux-semblants de la mixité sociale, ni la gentrification qui y est à l'œuvre. Mais on ne leur fait pas justice en les réduisant à la notion grossière, inexistante sociologiquement, de "bobos" à laquelle on accole toutes sortes d'épithètes – coco, gauchos, parisiens, bien-pensants, etc. – pour désigner tout le monde et personne en particulier, stigmatisation probablement moins nuisible que d'autres, mais tout aussi bête. Simplement, oui, là se concentrent beaucoup de membres des professions intellectuelles et artistiques (ce qui, au passage, fait beaucoup de précaires) avec leurs mœurs parfois énervantes, leurs richesses et leur niveau de tolérance supérieur à la moyenne nationale.

 

Car il fait bon vivre dans ce nord-est parisien qui recèle tant de beaux lieux et de belles gens, où subsiste le Paris qu'on a besoin d'aimer envers et contre tout, où s'expriment des façons de profiter de la vie qu'on aurait tort de voir comme les uniques symboles de la ville et du pays, mais qu'on aurait tout aussi tort de croire négligeables. Il est difficile de distinguer, dans leur pensée confuse, ce qui a motivé le choix des terroristes, mais on ressent leur logique en même temps que notre propre consternation quand ils désignent la "capitale des abominations et de la perversion".  [1]

 

Pardon de n'avoir finalement pas dit grand-chose dans ce texte, de n'avoir rien dit de tout ce qui a contribué à faire de ce stade, de ces rues, de cette salle de concert l'épicentre d'une déflagration dont les origines sont si complexes et si nombreuses, ni évoqué ce qu'il faudrait pour enrayer les logiques mortifères qui ont conduit à cette tragédie (comme à tant d'autres, ailleurs). Cela aurait obligé à faire part d'un pessimisme dispensable en ces heures où nous voulons juste vous dire, chers lecteurs, frères branquignols en compagnie desquels nous exorcisons la mort en regardant vingt-deux crétins courir derrière un ballon, qu'on vous aime parce qu'ensemble nous continuerons à parler de football, parce que c'est plus dérisoire et donc plus indispensable que jamais.

 

 

[1] Sur les différences à souligner entre les différents quartiers de ce nord-est, on peut lire les textes de Gonzaï et d'André Gunthert publiés sur le sujet. Sur la population des 10e et 11e arrondissement en tant que cible, celui de Daniel Schneidermann et l'interview de Pierre-Jean Luizard. Sur ce qu'ils représentent, la chronique de Luc Le Vaillant.

 

Réactions

  • osvaldo piazzolla le 16/11/2015 à 18h26
    Bonjour Jérôme. Comme beaucoup j'habite dans le quartier. Je ne connais personne directement parmi les morts, mais des amis d'amis sont morts. Ton tweet sur les fachos qui ont du mal à cacher leur joie, je l'ai vécu tout le weekend sur poteaux carrés où toute l'extrême droite ordinaire supportrice de l'ASSE s'en est donné à coeur joie, et je me rends compte que c'est ce qui me traumatise le plus.
    Dans notre quartier tout le monde est modéré, mais autour ça explose.

  • inamoto le 16/11/2015 à 19h21
    Bel article Jérôme. Et toutes mes pensées à Gilles Juan et tous les autres qui ont perdu un (des) proche(s).







    Vivement que Rennes rejoue p*****! [foutue charte]

  • Tonton Danijel le 16/11/2015 à 21h59
    Il s'appelait Christophe Lellouche.

    C'était Moké, Francis Van, ou Mad Professor, mais aujourd'hui, j'ai juste envie de rappeler son nom, parmi tant d'autres. Je ne le connaissais pas personnellement, je n'étais pas fan de tous ses écrits, mais c'est finalement un des seuls visages que je peux mettre à cette tragédie.

    Et soutien à tous les autres, perso, je suis soulagé d'avoir su que mon neveu a préféré faire autre chose vendredi que d'aller dans des coins où il avait ses habitudes.

  • gurney le 16/11/2015 à 22h25
    Merci pour cet article Jérôme.
    Ça fait du bien d être touché par des écrits.

    Bisette à tous les branquignoles.

  • dugamaniac le 16/11/2015 à 22h55
    Même sans le lien géographique fort, il a été frappant pour moi, ces 2 derniers jours, depuis Bordeaux, de constater à quel point ces 129 victimes inconnues au départ était en fait "l'ami de" ou "l'ami de l'ami de" dans mon entourage

    Évidemment, le mot de Jérôme met en évidence un lien sociologique (foot, musique, intérêt, âge aussi probablement) entre les cibles et victimes, et le profil du cdfiste.

    Mais jamais je n'avais ressenti ou réalisé à quel point on peut être rattaché si facilement en quelques personnes à 129 personnes parmi plus de 60 millions de français.

    Parallèlement, je ne peux m'empêcher de constater et réaliser que les assassins qui tuent au nom de Daesh depuis plusieurs mois en France sont aussi de ma génération et j'ai probablement d'autres points communs sociologiques avec eux ayant grandi dans un quartier populaire et métissé.
    Pour eux aussi, je crains que je n'aurai pas de mal à connaitre "quelqu'un qui connaissait".

    Tout ça me parait tellement absurde en fait.

  • Moravcik dans les prés le 17/11/2015 à 00h29
    Oui pareil j'ai longtemps habité là, je connais les lieux comme ma poche, ce café, ce restau, le Bataclan... Par miracle tous les gens que je connais sont passés entre les balles (dont certains presque littéralement, à quelques dizaines de mètres près), mais j'ai quand même l'impression que toutes les victimes sont de ma famille, ou disons de mon clan.

    Samedi Paris était très vide. Mais dès dimanche les terrasses débordaient de nouveau. Et on a bu un coup, et puis deux, et puis douze. Et on s'est marrés. On en avait bien besoin. Pour reprendre un joli mot de maitre Eolas le lendemain de cette saloperie, ils peuvent bien dire que nous sommes la capitale des abominations et de la perversion, la flatterie ne les mènera nulle part.

  • Bouderbala le 17/11/2015 à 12h12
    Merci Jérôme. C'est peut-être l'endroit pour faire part de mes humbles pensées cédéfistes à HorsJeu et aux proches, de près ou de loin, des victimes de vendredi.

    Bon courage à Jamel aussi, car les prochains jours ne seront pas faciles devant la presse, la télé, peut-être même dans la rue. Mais j'ai espoir que mes congénères français ne rejettent pas une faute imaginaire sur leurs voisins sous prétexte de leur religion, de leur couleur de peau ou simplement de leur nom. À part les auteurs habituels et connus de ce genre d'amalgames vicieux, on s'en sort plutôt bien jusqu'ici. "Touch wood", comme dirait Wayne Rooney.

    J'espère voir un beau match ce soir. J'espère oublier le regard d'Evra et ce vacarme qui lui fit détourner les yeux du ballon. Et les nôtres du match qu'on voulait voir. Oublier tout le reste pendant quelques minutes ce soir ! Que nos 22 crétins préférés reprennent leur droit dans nos vies ! Vite, retrouver le plaisir masochiste qui nous fait nous lamenter de leurs passes en touche, reprises govouesques à 1m du but et autres courses dans le vent. Patrice, si tu te fais prendre de vitesse ce soir, c'est pas grave. J'en serais même très heureux !

  • la menace Chantôme le 17/11/2015 à 12h28
    Moi je connais personne de personne, aucun proche de proche. Mais j'ai été littéralement abattu comme tout le monde, et chaque récit des faits ou témoignage est un véritable coup de poignard. Je soutiens vraiment de tout mon cœur tous les gens touchés de près ou de loin, ou juste symboliquement comme moi.

    Face au soutien du monde entier, j'ai compris aussi à quel point j'avais été con de me contenter d'un message téléphonique à mon oncle quand sa mère est morte (au lieu d'une bonne vieille carte) en me disant qu'à sa place, je ne voudrais pas que tous les gens dont je sais qu'ils ont de la peine pour moi m'aident à ressasser ce décès...

    Enfin, samedi soir, après 24 heures de télévision, et 8 heures de taff (ô combien salutaires), j'ai mentalement rangé Hitman au placard pour un bon bout de temps.
    Il n'y avait bien que FIFA dans ma ludothèque qui me donnait envie. Une vive envie, d'ailleurs.

    Le sport est notre bénédiction.

  • la menace Chantôme le 17/11/2015 à 12h29
    (Merci M. Latta, évidemment)

  • Ba Zenga le 17/11/2015 à 14h59
    Merci Jérôme.

La revue des Cahiers du football