La terre du milieu
Tribune des lecteurs - Symbole de la dépoétisation du football ou architecte du jeu moderne? Analyse du rôle du milieu défensif, récupérateur et relayeur…
Auteur : Laurent Moncelle
le 20 Oct 2004
"C’est la plaque tournante de l’équipe !". Voilà ce que l’on peut entendre bien souvent après un match où un milieu récupérateur (ou défensif) a réalisé une grosse performance. Bien qu’étant aussi cliché qu’un polaroid, cette formule n’en est pas moins exacte la plupart du temps. En effet, à une époque où l’on ne parle plus que de "bloc équipe", "d'espaces et d’intervalles entre les lignes", le rôle du milieu de terrain défensif s’est considérablement accru. Devant un jeu de plus en plus rapide, les joueurs occupant ce poste ont dû développer des qualités nouvelles afin de devenir des "plaques tournantes". Le temps où les numéros 6 n’étaient là que pour harceler les joueurs adverses, leur subtiliser le ballon pour ensuite s’en débarrasser est bien loin. Aujourd’hui le milieu de terrain défensif, terme un peu réducteur, tout comme celui de milieu récupérateur d’ailleurs, doit, en plus de qualités physiques supérieures, être doté d’une technique et d’une vision du jeu à toute épreuve. Plus seulement défensif, pas totalement offensif, ce poste est un condensé des qualités exigées par le football moderne. Harcèlement normal Au niveau physique, le milieu est sûrement le joueur le plus armé du football. Tantôt devant la défense, tantôt derrière les attaquants, il est en perpétuelle activité, touche un nombre considérable de ballons et parcourt des distances colossales. La technique de harcèlement de joueurs aux gabarits modestes comme Makelele ou Mavuba dépend directement de leur endurance, eux qui n’ont pas les qualités athlétiques d’un Vieira par exemple. "L’homme aux trois poumons" est également un poncif éculé, mais c’est là aussi une réalité. Comme le souligne le préparateur physique des Girondins de Bordeaux, Eric Bédouet, à propos de Mavuba: "Il est hors du commun au niveau athlétique. Il a une vitesse maximale aérobie élevée de 22 km/h, pour une moyenne de 17 km/h chez les footballeurs. Conjugué à une grande capacité d'accélération et une réduction de foulée très rapide, ça le rend très efficace au pressing". Techniquement, il doit aussi être gâté par la nature. En effet, le kick-and-rush a sombré dans l’oubli et l’on n’imagine plus une action offensive qui sauterait le milieu de terrain (ou le milieu de l’équipe, il faut demander cette précision à Charles Biétry). Désormais le milieu défensif doit donc savoir se servir de ses pieds et maîtriser le jeu long et court. L’exemple type de cette évolution est sans doute un joueur comme Pedretti, dont le niveau technique au-dessus de la moyenne fait de lui un précieux lanceur de contre-attaques. Même lorsque l’attaque se déroule sur les ailes, avec la plupart du temps l’arrière latéral qui vient soutenir son ailier, le milieu défensif se pose bien souvent comme un relais entre les deux, prouvant là encore son importance, non plus dans la longueur du terrain, mais dans sa latéralité. Gueulard et la manière Récupérateur-relayeur, voilà le terme qui serait le moins inapproprié pour désigner ce poste. Et c’est d’ailleurs bien souvent cette association qui est choisie par les entraîneurs. Ainsi, un "harceleur" est dorénavant souvent associé à un joueur plus technique. Costa-Pedretti, Essien-Juninho et, dans une moindre mesure, Mavuba-Meriem en sont les illustrations. Mais, en plus de ces qualités footballistiques, le poste exige aussi des aptitudes mentales particulières. Car qui dit relayeur de ballons dit aussi relayeur de paroles. Idéalement placé pour observer les différentes phases de jeu, c’est souvent lui qui se charge de replacer ses coéquipiers. Or, pour se permettre ce genre de choses, il est préférable d’être doté d’un tempérament adapté. Ainsi, il est assez rare de trouver des milieux de terrains effacés et introvertis. Les exemples sont légions, et se trouvent bien souvent chez les joueurs-références à ce poste ( Deschamps, Roy Keane…). Le numéro 6 est un gueulard, c’est une nécessité. C’est d’ailleurs bien souvent lui qui est choisi comme relais par l’entraîneur. Meneur d’hommes, la carrière de ces joueurs passe d’ailleurs souvent par le banc de touche, où ils sont nombreux, une fois leurs carrière de joueur achevée, à venir reposer leurs jambes usées par les kilomètres parcours. Et force est de constater que le résultat est bien souvent convaincant. Ainsi, si l’on jette un œil au passé de footballeur des trois entraîneurs leaders de la Ligue 1, on constate qu’ils ont tous (Puel, Le Guen, Deschamps) occupé ce poste. Ce n’est sûrement pas un hasard (par honnêteté intellectuelle je n’évoque pas le cas de Michel Pavon). Travailleur de l’ombre mais rouage essentiel dans une équipe, le milieu défensif est de plus en plus reconnu et son importance n’est plus à prouver. Demandez au Real Madrid s’il est évident de jouer sans véritable spécialiste à ce poste…