La malédiction du nouveau stade<br/>
Parce que le meilleur moyen de se casser la gueule est de construire une nouvelle enceinte, et alors que l'OL vient d'inaugurer la sienne, penchons nous sur ce phénomène à la récurrence troublante.
Après des années et des années d'attente, l'Olympique lyonnais va entrer dans son nouveau stade qui, à l'heure où nous écrivons cet article, se nomme encore Stade des Lumières mais ne devrait pas tarder à s'appeler Pigeot Stadium ou Société Géniale Arena. Mais qui dit nouveau stade, dit aussi malédiction du nouveau stade. Il est temps de faire le point et de mettre en pleine lumière ce mystère encore plus mystérieux que le Triangle des Bermudes.
Pour l'OL, la théorie ne semble pas délirante. Faisons un rapide retour dans un passé qui semble désormais lointain. Nous voici en décembre 2006. Sous la houlette de Gérard Houllier, le club rhodanien remue du bassin en fêtant son exceptionnelle demi-saison: cinquante points au compteur, soit quinze de plus que son dauphin, et une différence de buts de +28. Côté Ligue des champions, c'est un quasi sans-faute: invaincu, Lyon devance le Real Madrid en tête du groupe E. Pourtant, en janvier, tout bascule. Jean-Michel Aulas annonce coup sur coup l'entrée en bourse et la construction d'un nouveau stade. Un peu comme si vous décidiez de marcher sous une échelle en cassant un miroir.
Lyon, comme Grenoble (en moins pire)
Tapie dans l'obscurité, la malédiction du nouveau stade commence à faire sentir son effet: l'OL ne prend qu'une trentaine de points sur les matches retours et se fait éliminer sans gloire par la Roma en huitième de finale. Avec, au passage, un lumbago pour Anthony Réveillère. La suite ne sera bien entendu qu'une longue descente aux enfers parfaitement symbolisée par les résultats à domicile du club. Dernier match de L1 à Gerland? Une défaite par deux buts d'écart contre un promu qui n'aurait pas dû être un danger. Dernier match de Ligue des champions à Gerland? Une défaite contre un club belge. Dernier match de coupe de France à Gerland? Une défaite encore, cette fois contre une Ligue 2 qui égalise dans les arrêts de jeu! Seule la coupe de la Ligue permet aux Lyonnais de voir une dernière victoire dans leur antre…
Si l'affaire semble entendue du côté de Fourvière (ou plutôt de Décines), qu'en est-il dans les autres clubs? Évidemment, viennent en premier lieu les exemples magnifiques de Grenoble et du Mans. Après des années de patience (quarante-cinq ans, une paille), le GF38 parvient à atteindre l'élite en 2008/09 et se maintient même relativement facilement. Mais le club change de stade en février. Le début de la fin. Un exemple: en coupe de France, le GF38 passe ses trois premiers tours à l'extérieur mais, à peine revenu au Stade des Alpes, c'est l'élimination. La saison 2009/10 sert de confirmation: plus grand nombre de défaites consécutives de l'histoire de la première division et relégation indiscutable. Happé par le tourbillon de la défaite, le Stade des Alpes voit le GF38 finir une nouvelle fois dernier et être relégué en National. L'équipe première risque une relégation en CFA mais termine finalement en CFA2 après un dépôt de bilan. Le Grand Chelem.
Le Mans, l'exemple
Le Mans est tranquillement ancré en Ligue 2 quand il parvient à franchir le cap et semble même s'installer durablement dans l'élite avec cinq saisons consécutives de présence entre 2005 et 2010. Là encore, un nouveau stade s'annonce. La malédiction est tellement forte que le club sarthois trébuche une première fois en descendant en Ligue 2 sans même avoir joué dans son nouveau joyau. Zéro tracas, zéro blabla, l'inauguration du stade se fait à l'échelon inférieur contre le prestigieux... AC Ajaccio en janvier 2011. Comme pour Grenoble, une seule demi-saison ne suffit pas à la malédiction pour s'installer durablement puisque Le Mans termine même quatrième de L2. Deux saisons entières dans le nouveau stade auront raison des Manceaux: une fois les places de dix-septième et dix-huitième acquises, ce n'est même pas un tourbillon mais un vortex qui plonge le club… en Division d'Honneur!
N'en jetez plus, la malédiction du nouveau est une évidence qu'il convient d'éviter à tout prix. Contre toute attente cependant, d'autres petits futés ont décidé de tenter l'aventure à leur tour. Sans doute avec l'air bravache du cascadeur sûr de lui qui se dit qu'il fera différemment des autres et y arrivera. L'OGC Nice, en nette progression depuis quelques années (treizième en 2011/12, quatrième en 2012/13), par exemple. Au début de la saison 2013/14, il quitte son démodé Stade du Ray pour l'Allianz Riviera. Le résultat est immédiat: l'OGCN termine à la dix-septième place. Malédiction on vous dit! Exemple suivant. Le LOSC est l'une des équipes phare du début des années 2000, à tel point qu'on le voit en concurrent possible à l'Olympique lyonnais – il ne termine d'ailleurs pas une seule fois en deçà de la dixième place entre 2003/04 et 2014/15. Pourtant, la malédiction frappe une nouvelle fois. Pour fêter son arrivée dans sa nouvelle antre, Lille termine dernier de son groupe de Ligue des champions derrière Borisov puis, quelques mois plus tard, se sépare de Rudi Garcia pour René Girard. Pire: après année convaincante (un trompe-l'oeil?), Lille plonge à la huitième place et c'est Nolan Roux qui termine meilleur buteur. Cette année encore, Lille se morfond dans le ventre mou. On ne pourra pas dire que les Nordistes n'étaient pas prévenus...
Bordeaux sur la bonne voie
Bordeaux est un grand club français. Ça fait mal, mais c'est vrai. Et, comme Lille, Bordeaux est un second couteau intéressant depuis 2004 avec même un beau titre de champion au palmarès. Toujours classés entre la première et la septième place, les Girondins conservent tranquillement leur petit nid en haut de la L1. Leur arrivée dans le Matmut Atlantique (le nom de ce stade est une malédiction à lui tout seul) est assez récente et il nous manque peut-être un peu de recul pour juger tout ça, mais leur triste début de saison et la piteuse élimination en Ligue Europa semblent être une nouvelle preuve de la malédiction.
Et s'il ne fallait pas que trois exemples pour finir de vous convaincre, il faudrait passer par Londres, Rennes et Saint-Étienne. Oui, passer par Rennes et Saint-Étienne n'a rien d'une partie de plaisir. On va donc commencer par Londres, à Arsenal pour être précis, lequel découvre l'Empirates Stadium en octobre 2006. Devinez de quand date le dernier exploit des Gunners? Bien sûr, de mai 2006 avec une qualification pour la finale de Ligue des Champions! Alors, certes, Arsenal a gagné les deux dernières FA Cup. Mais les troupes d'Arsène Wenger ne décollent plus ni en Premier League, ni en Ligue des champions, avec une tripotée de huitièmes de finale perdues.
Rennes et Saint-Étienne, les petits malins
Quand on n'a pas de sous, on a des idées. Sauf que Rennes a apparemment des idées de saouls. À l'heure où un paquet de clubs de L1 changent d'enceinte, le Stade rennais la joue finement et tente un subtil lifting en changeant le nom du stade qui, de Stade de la Route de Lorient, devient Roazhon Park. Un peu comme si Rennes essayait de camoufler le cimetière indien qui se cache sous le Stade de la Route de Lorient. Et ça marche un certain temps puisque la troupe de Philippe Montanier parvient à devenir leader (du classement équitable) pendant quelques journées. Il semblerait donc que, pour oublier une malédiction, il faudrait la contrer par une autre malédiction: cimetière indien contre nouveau stade. Mais les dieux sont malins et découvrent vite le pot aux roses, et les Bretons retournent dans l'anonymat du ventre mou.
Saint-Étienne enfin. Que serait Saint-Étienne sans Geoffroy Guichard? Deux-trois crassiers et un ruisseau-poubelle (on exagère un peu). Mais, pourtant, Roro et Zozo décident en 2009 de jouer les apprentis-sorciers et tâtent le terrain en évoquant un nouveau stade dans la ville aux sept collines. Les saisons 2008/09 et 2009/10 se terminent donc, sans qu'on soit franchement surpris, à la première place de non-relégable. Depuis, cette idée farfelue est reléguée, ce qui n'est pas le cas du club qui enchaîne les bonnes saisons comme cela n'avait pas été le cas depuis des décennies!
De ces cas de figure emblématiques il est évident que: si on annonce un changement de stade, le club plonge aussitôt; qu'une fois le nouveau stade occupé, les résultats sont catastrophiques; que l'OL va devoir investir dans un paratonnerre. Espérons pour les Lyonnais que la malédiction des blessures et la malédiction du nouveau stade s'annulent et qu'ainsi commence une nouvelle spirale positive...