La Gazette du Mondial, numéro 4
TF1 seul sur le terrain
Les chaînes de télévision ne disposant pas de l'exclusivité des droits de la Coupe du monde — c'est-à-dire toutes sauf TF1 — vont assurer une couverture minimum de l'événement (AFP 23/05). On pouvait s'attendre à ce qu'elles fassent comme les radios et essaient de contourner la contrainte. Elles auraient ainsi pu opter pour un traitement magazine qui aurait poussé l'analyse un peu plus loin, animer des débats, montrer la compétition sous des angles originaux… Cela aurait été d'autant plus bienvenu qu'en face TF1 va faire le contraire et sortir la grosse artillerie pour rentabiliser l'affaire (en annonçant les 10 calamités d'un Mondial sur TF1, en novembre dernier, nous étions encore loin d'imaginer le couple Flament-Pernaut). Mais ni France Télévisions, ni Canal+ n'ont fait cet effort. Equipes réduites, temps d'antenne minimum, le choix est celui d'une nette distanciation. Leurs stratèges doivent juger qu'ils n'y trouveraient pas leur compte économiquement, sans se soucier de pluralité ni même de cohérence avec leur propre image (du moins pour Canal, chaîne du football). A croire qu'en abandonnant le terrain à TF1, ils misent sur l'échec de cette opération vitale pour le leader du marché, que cet échec soit dû aux horaires matinaux ou plus radicalement à une élimination prématurée des Bleus.
Ce retrait a en effet une autre signification : il confirme la progressive inversion du rapport de force entre les détenteurs de droits et les diffuseurs. Les sommes record que Kirch a dû payer à la FIFA pour acquérir les droits des Mondiaux 2002 et 2006 ont entraîné une inflation proportionnelle du ticket d'entrée pour les télévisions, un durcissement du marché impliquant la vente par exclusivités nationales. Les conséquences sont en France une couverture radio partielle par RMC et le monopole du groupe TF1 sur les images. Ailleurs, c'est un accès payant qui restreint l'audience de la Coupe du monde, en contradiction avec sa vocation universelle et au risque d'épuiser la vache à lait.
Mais le front uni des radios françaises face à RMC et l'effacement des concurrents de TF1 montrent bien que les médias ne sont plus enclins à surenchérir indéfiniment, et parient même sur une déflation déjà amorcée, quitte à bouder un tel événement (voir On dirait un krach et Extension du domaine de la crise). TF1 devra apporter la preuve que l'investissement reste rentable, et ce n'est pas gagné d'avance. On mesure encore un peu mieux l'enjeu d'un bon parcours de l'équipe de France, condition sine qua non de la réussite du pari, tant la médiatisation de la compétition est axée sur les Bleus...
A part ça…
C'est la saison des départs anticipés. Robert Waseige a d'ores et déjà annoncé qu'il quitterait ses fonctions de sélectionneur de la Belgique après la Coupe du monde, pour prendre les rênes du Standard de Liège. Daniel Kenedy, qui avait fait un passage non-remarqué au Paris Saint-Germain, a battu le record de l'aller-retour avec un contrôle positif qui l'exclut d'un groupe portugais qu'il venait de rejoindre pour la première fois. Roy Keane aussi prendra une retraite internationale anticipée, avant la Coupe du monde et non après comme prévu, suite à des critiques répétées contre l'organisation de la sélection irlandaise et à une engueulade avec son sélectionneur. Il est en revanche peu probable que Ljundberg subisse le même sort après son altercation avec un coéquipier (qui devait lui en vouloir pour le tacler de la sorte à l'entraînement). Quand on vous qu'il ne se passe rien.
Roger and us
Les journalistes étant menacés par le vide en cette morne période, ils se jettent sur l'ombre d'une polémique. On a ainsi beaucoup entendu parler du cordon sanitaire établi autour des Bleus par le lourd dispositif de sécurité, comptant 800 membres et impliquant le survol permanent du site par un hélicoptère afin de peaufiner l'ambiance. La responsabilité en incombe aux autorités japonaises, mais il est reproché à Roger Lemerre de beaucoup apprécier l'étanchéité de la bulle, essentiellement vis-à-vis des médias.
Le premier incident entre le sélectionneur et la presse n'a d'ailleurs pas tardé, au motif de l'incompréhension autour de la vraie-fausse blessure de Thierry Henry. Ajoutée aux relatives indisponibilités de Thuram, Christanval et Boghossian, elle offrait un angle tout cuit: les Bleus menacés par les blessures. Un angle pas si bête d'ailleurs, l'inquiétude étant légitime concernant l'état physique des internationaux. Mais Lemerre tenait son prétexte, et les points presse déjà très encadrés ont été momentanément suspendus. Le même coup qu'en 2000 (pour mémoire, Rupture de faisceau et Le silence de Lemerre).
Il est vrai que s'exprimer devant la presse est une corvée pour lui autant que pour Jacquet. Il a choisi un autre mode de conflit que son prédécesseur, plus habile, mais les relations sont tout aussi orageuses. La différence tient à ce qu'il prend l'initiative en profitant de l'immunité accordée aux champions du monde et renforcée par les champions d'Europe sous sa direction. De toute façon, depuis 98, plus personne ne s'avise d'exiger du sélectionneur qu'il s'exprime exhaustivement et dans une langue claire sur le moindre de ses choix. A part peut-être Vincent Duluc à mots couverts et Didier Roustan, qui couvre l'antenne de L'Equipe TV avec des spots de promo pitoyables pour son émission (il y a deux ans, il avait déjà sonné cette charge, voir Roustan n'a pas changé).
Les propos de Lemerre sont d'un ésotérisme amusant, nettement préférable à la langue de bois usuelle des coaches, mais ils ne sont pas franchement indispensables. En tout cas, il ne faut pas assimiler ça à de l'information, même si c'est incontestablement du grain à moudre.