L'ombre du retour du fantôme du spectre du dopage
La nandrolone produit son effet, du moins sur le monde du Calcio, ébranlé par une série de sept cas positifs, dont deux concernent des institutions comme la Juve et la Lazio (via Davids et Couto). Ce scandale italien couvait comme une éruption du Vésuve depuis l'intersaison 1998, durant laquelle Zdenek Zeman, alors entraîneur de la Roma, avait exprimé ses soupçons d'un dopage généralisé dans certaines équipes, en désignant implicitement la Juventus. Le juge Guariniello, qui était encore il y a peu l'objet de railleries sur l'inefficacité de ses instructions, les avait commencées —s'en souvient-on?— dans le club turinois, par l'audition de quelques joueurs, dont les tous récents champions du monde Didier Deschamps et Zinédine Zidane. Certains médias avaient évoqué des effectifs dans lesquels les taux d'hématocrite flirtaient de très près avec le seuil autorisé. En pleine affaire du Tour de France, les soupçons de prises collectives d'EPO avaient acquis une certaine consistance. Depuis, les enquêtes transalpines ne sont pas parvenues à prouver l'existence d'un dopage organisé, mais le CONI (Comité olympique italien) été reconnu coupable d'avoir couvert des contrôles positifs et d'avoir été complice de laboratoires et de médecins gravement impliqués dans des recherches et des applications de techniques prohibées, proches de certaines équipes nationales et professionnelles dans différents sports.
Le climat de suspicion latent qui perdure depuis près de trois ans explique en partie le séisme occasionné par les dernières révélations, dans un Calcio déjà miné par les affaires de faux passeports et de racisme, sans compter les échecs européens de ses représentants cette saison. Cette résurgence de la nandrolone donne de nouvelles opportunités à la justice pour ébranler ce qu'elle pense être un mur du silence. En Italie, le dopage est assimilé à une "fraude sportive" et constitue un délit, ce qui explique que les juges devancent les instances sportives, lesquelles attendent les inculpations et les verdicts pour se prononcer.
La nandrolone est un produit star parmi les substances dopantes, avec un destin paradoxal. C'est un "vieux" stéroîde, connu depuis plus de vingt-cinq ans, prisé dans de nombreuses disciplines et que l'on détecte très facilement. A l'heure de l'hormone de croissance ou d'autres méthodes indétectables, il est surprenant que des sportifs se fassent prendre aussi bêtement. Son autre caractère étrange est l'apparition de cas positifs par vagues cycliques (et non cyclistes), épidémies subites qui touchent des sportifs de toutes disciplines, alors que les contrôles sont opérés constamment.
Les individus incriminés protestent de leur bonne foi (comme tout contrôlé positif malheureusement) en invoquant deux explications. La première tiendrait à la présence de produits interdits dans des compléments alimentaires qui ne les mentionnent pas dans leur composition. Elle est d'autant plus crédible que certains de ces produits ont été "contrôlés positifs" à la suite d'analyses, et leurs fabricants condamnés. Mais cette hypothèse pointe l'existence de pratiques ambiguës et mal contrôlées de la part des sportifs, et signale des conditions favorables à un dopage délibéré.
L'autre hypothèse est celle d'une production endogène de nandrolone (ou des métabolites dont la présence dans les urines est actuellement considérée comme la preuve la prise de nandrolone). Elle est au centre d'une controverse scientifique assez vive, dans laquelle des experts donnent des avis totalement divergents.
Les instances sportives et les pouvoirs publics ont jusqu'à présent choisi la certitude de la faute en cas de contrôle, privilégiant l'exemplarité des sanctions plutôt que le réel doute scientifique. La nandrolone apparaît parfois comme le bouc émissaire des substances dopantes, la victime désignée des campagnes contre le dopage, sachant par exemple que le dépistage systématique de l'EPO n'est pas effectué (les tests ont été validés dans le cyclisme, mais aucun programme n'est engagé dans le football — ajoutons que l'EPO est aujourd'hui très probablement dépassée dans la course aux armements biochimiques).
Pour plus de détails sur la nandrolone, voir Nandrolone, ou les déboires de la lutte antidopage.
Les juges italiens, qui ont fait saisir des résultats de tests, soupçonneraient vingt-cinq footballeurs professionnels de s'être administré le fameux stéroïde (Le Monde 23/04). En France, Cyrille Pouget, Dominique Arribagé, David Garcion, Antoine Sibierski et Vincent Guérin avaient été sanctionnés en 1997 (Sibierski avait été blanchi en raison d'un taux dépassant trop peu la limite et Guérin a bénéficié d'un vice de forme — voir son interview de mai 2000), puis Christophe Dugarry en 1999 (l'attaquant avait échappé aux sanctions grâce à un vice de procédure lors du prélèvement). L'épidémie actuelle franchira-t-elle les Alpes, impliquera-t-elle des joueurs français qui évoluent en Serie A?
Entre l'envie de ne pas être dupe, les incertitudes scientifiques, les enjeux politiques et les extraordinaires accents de sincérité des sportifs concernés, il est difficile de se forger une conviction en cette matière. Les développements de l'affaire nous y aideront peut-être, mais ce n'est pas garanti.