L'Equipe remonte les bretelles <br>des clubs français
"Fiasco", "échec global", "faillite collective"… À L'Equipe, les mots ont manqué pour qualifier le parcours des clubs français en Ligue des champions. Pourtant, si le constat paraît justifié à première vue, l'analyse est partiale et la présentation des faits parfois orientée.
"Pour la première fois depuis 1987, la France est absente du Top 16 européen"… C'est ainsi que Vincent Duluc, dans L'Equipe, attaquait son article le 15 novembre dernier ("L'hiver va être long"). Deux jours après le verdict de la Ligue des Champions, le journaliste du quotidien sportif livrait donc cette sentence définitive en guise de présentation des performances françaises.
Comparons ce qui est comparable
Voilà pourtant une curieuse entrée en matière. La comparaison sur la période apparaît en effet assez peu pertinente. L'auteur semble oublier que l'ancienne formule de la Coupe des champions ignorait le principe des poules. Surtout, il omet que depuis quatre ans maintenant, la Ligue des champions n'est plus réservée aux vainqueurs de titres nationaux, mais également à un ou plusieurs de ses dauphins. Ainsi, la compétition actuelle est-elle d'un tout autre niveau que celui qui était le sien entre 87 et 99: le plateau y est bien plus relevé, puisque tous les gros ou presque y sont présents, alors qu'ils étaient auparavant dispersés entre trois coupes différentes. Bien qu'éliminé en 8e de finale lors de l'édition 91-92 de la Coupe des champions, il est ainsi difficile de placer l'OM parmi les équipes du "Top 16" de l'époque: dans le même temps, 16 autres équipes classées l'année précédente aux 2e ou 3e rangs des championnats voisins se disputaient la Coupe de l'UEFA…
Les seules éditions pour lesquelles une comparaison s'avère légitime ne peuvent donc être que celles qui se sont déroulées selon la même procédure d'élimination, à savoir un système de doubles poules. En l'occurrence: les quatre épreuves qui ont eu lieu depuis la session inaugurale en 99-2000. Par conséquent, qualifier cette première absence du second tour de la compétition "d'échec historique" se révèle être un véritable non-sens, sauf à considérer qu'une période de quatre ans puisse être suffisante pour tirer de telles conclusions…
Pas si catastrophique
Et quand on observe les résultats obtenus par les clubs français depuis la saison 99-2000, il apparaît important de relativiser le (prétendu) net recul de leurs performances. Certes, de deux qualifiés en 99-2000 et 2000-2001, on est passé à un seul l'an passé et aucun cette année (1). Pour autant, les situations sont bien différentes. La qualification girondine, fin 99, avec 10 points pris face au Spartak Moscou ou au Slavia Prague est-elle plus méritoire que l'élimination avec 8 points de Lensois jetés en pâture au Milan AC, à la Corogne et au Bayern cette année? On touche ici la première limite d'une pure comparaison comptable, qui ne prend pas en considération un élément pourtant très représentatif: le niveau de l'opposition rencontrée.
Autre argument étayant la thèse d'une baisse globale du niveau des clubs français en Coupe d'Europe: la baisse du nombre moyen des points engrangés par les clubs tricolores en Ligue des champions. Effectivement, celui-ci s'est élevé cette année à 1,28 points en 2002, contre 1,44 les deux années précédentes et 1,83 en 99-2000. Toutefois, Il est intéressant de noter avec L'Equipe que cette année, "les clubs français devancent dans ce classement des pays comme l'Allemagne, la Russie et les Pays-Bas qui ont, eux, des clubs qualifiés pour la deuxième phase". Mais le constater ne suffit pas. Car ce chiffre démontre justement que vouloir juger de la santé globale d'une nation de football à l'aune seule de ses qualifiés au deuxième tour de Ligue des champions est illusoire. Le football néerlandais est-il en pleine forme, qui qualifie l'Ajax, certes, mais voit ses deux autres clubs présents finir derniers de leur groupe?
On peut en tout cas regretter que l'article de L'Equipe n'ait utilisé cette statistique qu'en complément d'information (un encadré en bas de page), alors qu'elle contrebalance de façon assez évidente la complainte sur le faible niveau des clubs français en Ligue des champions et aurait mérité une place de choix dans l'analyse…
Hors la Ligue des champions, point de salut
Quoi qu'il en soit, la France se retrouve donc "en D2" européenne, comme l'indiquait L'Equipe dans sa "une" de vendredi dernier. Une compétition un peu déprimante ("L'hiver va être long", rappelez-vous…), mais dans laquelle notre pays compte désormais cinq engagés, entre les trois reversés de la compétition reine et deux des trois clubs initialement qualifiés pour la compétition. La France peut donc se faire quelques illusions (lire la Gazette 82) et surtout s'enorgueillir jusqu'ici d'un bilan plutôt sympathique. Si L'Equipe n'a pas jugé bon de rappeler que jusqu'ici, le parcours des tricolores est honorable, nous franchissons le pas.
Certes, l'opposition n'a jamais été très ardue. Mais l'on peut toutefois souligner, que nos voisins d'Europe de l'Ouest, pourtant si brillants en Ligue des champions, ont eux vécu quelques cuisantes déconvenues en UEFA contre des clubs issus de championnats réputés de moindre envergure. Ipswich éliminé par un club tchèque (Liberec), Parme par un club polonais (Cracovie), le Werder par un club hollandais (Vitesse Arnhem), Alaves par un club turc (Besiktas), Chelsea par un club norvégien (Stavanger), Vérone par un club yougoslave (ER Belgrade)... En France, seul Lorient a quitté la compétition prématurément: mais le club, actuellement en L2, s'est quand même permis le luxe de battre 3-1 son adversaire turc lors du premier tour. Malgré un peu brillant 0% de qualifiés en Ligue des champions, cinq des six clubs français qualifiés en coupes d'Europe en début de saison le sont toujours à l'heure actuelle, soit 83%. À titre de comparaison, 71% des clubs allemands sont encore en course, mais 40% seulement des formations anglaises.
On pourrait s'amuser à pondérer ces chiffres au regard de l'importance de la compétition, mais là n'est pas la question: contrairement aux années passées, les supporters français connaîtront un embouteillage de matches européens au mois de décembre. De moindre envergure que celui auquel ils pouvaient s'attendre, mais ne faisons pas la fine bouche. On constate donc que la situation française est plus complexe qu'il n'y paraît. La Ligue des champions ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Et selon le nombre de nos clubs en quarts ou en demis (voire en finale) de Coupe de l'UEFA, le bilan pourra être réévalué à la hausse ou à la baisse par rapport à l'an passé. En cas d'éliminations prématurées de nos ouailles, il sera alors temps de donner raison à Vincent Duluc et de regretter avec lui ce "retour des vaches maigres des années 80".
La morale de l'histoire
Soulignons pour conclure un curieux paradoxe : si cet article adopte clairement un point de vue très critique à l'égard du niveau global des clubs français, des éclairs de bon sens viennent régulièrement infléchir ce point de vue tout au long du papier. Ainsi, "Il faut applaudir Lens des deux mains" et "il n'y a pas grand-chose à redire sur la troisième place d'Auxerre". Pourquoi alors s'acharner à vouloir tirer des conclusions générales sur des situations particulières pourtant très contrastées? Qui est responsable d'une titraille qui vire au catastrophisme ou au misérabilisme alors que, parfois, l'analyse semble démontrer qu'une telle attitude n'est pas justifiée?
Peut-être s'agit-il d'une volonté de hurler avec les loups et de racoler le grincheux, à moins qu'à L'Equipe, on ne craigne aussi de passer un hiver particulièrement long, à attendre impatiemment la remontée des chiffres des ventes au numéro, mises à mal par ces éliminations précoces de la compétition phare (2). Qu'est-ce qu'on peut être mauvaise langue, parfois.
[1] Bordeaux et l'OM en 99-00, le PSG et Lyon en 00-01, Nantes en 01-02 (2) La Ligue des champions fait baisser les lectorats autant que les audiences, dommage que les médias n'aient jamais protesté contre cette compétition.